Redécouvrir l'héritage d'Aristote un enjeu plus que jamais actuel

 

Par Laure Filippi--06 mars 2019

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La rencontre interdisciplinaire inédite qui débutait mardi à l'Institut d'études scientifiques de Cargese réunit une vingtaine de chercheurs internationaux spécialistes d'un philosophe à la pensée salvatrice pour notre époque.

Plus de deux mille ans après sa mort, Aristote pourrait-il être le "phare" salvateur d'une époque troublée ? La vingtaine de chercheurs de renommée internationale actuellement rassemblée à l'Institut d'études scientifiques de Cargese en est en tous les cas convaincue. Organisée par la fédération de recherche environnement et société (Fres), la rencontre interdisciplinaire qui s'ouvrait mardi vise en effet à explorer l'actualité de l'héritage du philosophe grec de l'Antiquité, à la croisée des sciences et des arts.

"Aristote se distingue notamment par le fait qu'il s'est penché sur presque tous les domaines de connaissance de son temps, de la biologie à la physique, en passant par la métaphysique, la logique, la poétique, la politique, la rhétorique et même l'économie, souligne à cet égard Françoise Graziani, professeure de littérature comparée à l'université de Corse, directrice de la Fres et membre du comité scientifique du colloque, aux côtés notamment de Pierre Pellegrin, directeur de recherches honoraire en philosophie des sciences au CNRS. Mais Aristote ne s'est pas contenté d'explorer ces différents domaines, il les a de surcroît connectés les uns aux autres. Il est l'inventeur de l'interdisciplinarité et cette interdisciplinarité peut aujourd'hui nous permettre de mieux penser notre monde et les problématiques auxquelles nous sommes confrontés."

Comprise au sens large comme une invitation à penser par soi-même et à interroger le monde, la philosophie aristotélicienne offre en ce sens des clefs pour articuler les sciences de la nature et les sciences de l'homme.

"Aider à repenser les changements que nous vivons"

"La physique d'Aristote est une science englobante, une science des êtres en mouvement basée sur un principe de changement perpétuel et d'interaction de toutes les parties, qui fait de l'univers un ensemble vivant dans lequel tout est lié,explique Françoise Graziani, spécialiste de la réception de la pensée du philosophe dans la littérature et les arts en Europe, durant la Renaissance. Dès lors, cette approche peut nous aider à repenser dans leur globalité les changements que nous vivons à tous les niveaux, qu'ils soient politiques, économiques ou éthiques, entre autres."

Dans la perspective d'articuler les sciences entre elles et d'analyser les rapports entre théorie et pratique, tout en examinant les applications concrètes des concepts, le colloque, ouvert à tous, s'attachera notamment à montrer que "la réflexion philosophique n'est pas une affaire de spécialistes" mais qu'elle est, au contraire, "plus que jamais nécessaire pour répondre aux enjeux du vivre ensemble et sortir d'une dictature de la pensée unique, d'autant plus préoccupante qu'elle est molle", estime la chercheuse.

À travers les interventions de professeurs émérites venus de France, des États-Unis, de Grèce, de Belgique, ou encore d'Espagne, l'unité du système des sciences aristotélicien sera ainsi mise en exergue, permettant de saisir l'actualité du principe d'interconnexion.

"Aristote a développé l'idée selon laquelle tout est composé, le corps humain étant, comme le corps social, composé d'une âme connectée à un corps, précise Françoise Graziani. Au niveau des systèmes politiques, il a par exemple théorisé le seul viable, contraire à la République de Platon, qui est le modèle d'une cité fondée sur la reconnaissance de la diversité des langues, des coutumes et des religions."

Un multiculturalisme perçu comme "salvateur", à la faveur de la redécouverte d'une pensée "non dogmatique", longtemps écartée par le positivisme et le cartésianisme. Des "choix idéologiques" et une "hyperspécialisation" qui ont, peut-être, atteint leurs limites .