TROILU È CRESSIDA : COSA MI MANCA À MÈ?

Scontri di 13.10.2012

           Le spectacle repose sur une adaptation très libre du Troïlus et Cressida de Shakespeare.
           On connaît l’intrigue de cette pièce qui traite de manière parodique et bouffonne un épisode de l’Iliade démarqué par de nombreux textes et romans de chevalerie.

Le Troyen Troïlus et la Grecque Cressida sont épris l’un de l’autre, mais bientôt la jeune fille, ramené dans le camp hellène, trompera le modeste et malheureux jeune frère de Pâris avec le bouillant héros Diomède. Son oncle Pandarus, hier complice des deux amants, n’aura aucun scrupule à servir d’entremetteur. Instruit de son infortune, Troïlus exhale son dépit et sa douleur et pousse au combat. L’intrigue amoureuse se développe sur fond de tractations diplomatiques, de coups bas, de luttes intestines, de mesquineries qui réduisent l’épopée au rang de fait-divers. Ce n’est pas cette histoire somme toute ténue mais son traitement, entre dénonciation indignée et mise en scène bouffonne, qui fait tout le prix de cette comédie grinçante. Les opérations -y compris les phases de pourparlers- liées au déroulement du conflit entre Grecs et Troyens lors du siège de Troie favorisent l’entrée sur scène de la plupart des héros de cet affrontement : Ulysse, Ajax, Achille, aigrefins, fourbes, cauteleux ou saisis d’emportements déments. C’est l’occasion pour l’auteur de démythifier la légende héroïque et de nous montrer les grands capitaines de guerre comme ils sont en vérité : des personnages à l’âme vile, vicieux, butés, sanguinaires et sacrifiant tout aux lois de la guerre. Shakespeare nous montre ainsi des pantins soumis à des lois absurdes qui condamnent à sa perte le microcosme grec où ils agitent leurs vanités et leurs bassesses. L’amour et la trahison se confondent, l’espoir et l’abattement sont interchangeables ; la parole donnée, les sentiments familiaux ne résistent pas aux appétits dictés par les plus bas instincts. Le monde auquel se réfèrent les idéaux de la chevalerie est en réalité dominé par la plus vile des mesquineries. Il n’est pas possible, dans ces conditions, d’envisager d’autres rapports entre les hommes que le règne d’un ego hypertrophié, indifférent à tout dépassement de soi et uniquement préoccupé de la satisfaction de ses pulsions.

Sur cet arrière-plan psychologique et social peu flatté, l’auteur fait intervenir une succession d’événements saccadés et de tableaux traités d’un pinceau rapide et sûr. Les effets sont nombreux : irruptions, sorties précipitées, exhortations au combat, récits lapidaires, confidences surprises, persiflages, imprécations et défis. La pièce en reçoit un rythme d’une grande vivacité. Le ton, qui s’apaise de loin en loin lorsque s’ébauche une peinture plus fouillée des caractères, revient sans cesse à sa dominante : le sarcasme. Il pratique le registre bouffon et le style grotesque, sans exclure le pathétique et l’amertume par endroits.

ORIENTATION GENERALE DU PROJET

Notre adaptation respecte l’esprit du texte original.
Sans visée didactique particulière, elle s’appuie cependant sur le message shakespearien qui réprouve les effets destructeurs de la guerre et de la brutalité des sentiments et des comportements tant sur le développement des identités individuelles que sur le bon déroulement des relations communautaires et sociales.

1. Pour ce faire nous mettons en scène deux personnages centraux, d’abord isolés, puis rejoints par les personnages de la pièce de Shakespeare à mesure que se précise la remontée du temps mythique dans l’histoire de nos deux personnages. ELLU/ELLA, types humains contemporains, deux personnalités (homme/femme) appelées l’une vers l’autre par un comportement de séduction. Ils sont le rappel et d’une certaine manière, l’incarnation « moderne » du couple de la légende homérique. Nous tentons cependant d’accentuer cette modernité en mettant en relation leurs dires et leurs comportements en relation avec un sens de l’absurde et une sensibilité à la réification de l’humain caractéristique de la conscience de notre temps. D’abord différenciés par leurs caractères et leurs réactions affectives l’un par rapport à l’autre, ces deux personnages révéleront progressivement dans des contextes parallèles l’égocentrisme de leurs constitutions respectives (« Cosa mi manca à mè ? » s’écrient-ils périodiquement en rythmant le récit et le spectacle des raisons de leur auto-satisfaction).
L’explication figurée de la méfiance misanthropique et misogynique de ELLU nous est fournie précisément par le recours aux épisodes qui narrent l’infortune amoureuse de Troïlus dans la fable shakespearienne. Quant au personnage féminin, ELLA se veut rattachée, par généalogie mythique, à la figure de Nausicaa dont elle dit avoir reçu en legs la sensibilité et le malheur.
En effet dans des contextes particuliers favorables à l’évocation (rêveries, méditations ou au contraire ruptures brutales des « climats »), affleurent par intermittences, puis se précisent des réminiscences où les deux personnages principaux se voient/croient dotés d’une mémoire enfouie où ils apparaissent comme des victimes de l’autre, une image qu’ils tentent de substituer à un présent qui leur renvoie leur égoïs
me-solitude.
Les niveaux de représentation basculent alors et la scène appartient à ce temps évoqué, celui du mythe et de sa représentation shakespearienne et bouffonne.
Le retour au présent n’apporte, dans ces conditions, aucun apaisement. Reste une seule ressource: reprendre, un peu plus haut, l’éloge de la guerre et de la domination sur les autres.

2. Il nous fallait en contrepoint un regard constamment lucide et pénétrant. Nous le voulions aigu, critique sans complaisance, sarcastique jusqu’au grotesque. Nous le trouvons dans le personnage du bouffon Thersite (« Grec difforme et insulteur ») que nous dotons d’une épaisseur et d’une complexité qu’il n’a pas dans la comédie shakespearienne. Ce personnage bouffon, langue de vipère, difforme et d’une laideur monstrueuse est dépourvu de toute morale, de tout sentiment pur et désintéressé. C’est en cela surtout que notre TERSITE se démarque car nous en faisons une conscience blessée qui se révèle dans , un personnage ambigu susceptible de souffrance. Il revêt une grande importance dans notre construction car il accompagne et structure le déroulement des événements :
 En annonçant des événements à venir (prologue omniscient qui tend jusqu’au tragique les situations évoquées),
 En soulignant les travers et les vices des personnages et des actions représentés (énonciation « éthique » qui perce à jour l’hypocrisie, les faux-semblants, les conventions de cœur et de pensée, les machinations et les crimes contre l’homme),
 En réagissant souvent avec une jubilation cynique aux péripéties représentées (une fonction plus « théâtrale » qui rétablit les droits et le climat de la comédie bouffonne),
 En révélant enfin à des moments rares mais denses le pathétique de situations qui nous ramènent toujours au spectacle d’une humanité malmenée par sa propre condition et les tempêtes de ses passions.

STRUCTURE :

1ère partie (de 20 à 30 mn)

(le temps et l’espace représentés sont contemporains ; précédant les courts moments de remémoration du mythe, de très brefs tableaux (durée d’instantanés, quelques secondes en discontinu) représentant une scène de l’Iliade (pour Ellu) ou de l’Odyssée (pour Ella) sont utilisés pour entr’ouvrir la scène au temps du mythe et lancer les récits...

• Scène de séduction entre les deux personnages principaux. Genre : pantomime tango passion avec chœur (groupe hommes-femmes conduit par TERSITE) paraphrasant comiquement la rencontre et les jeux de séduction.
• Dialogues : Ellu-confident(s), (rythme soutenu): « Cosa mi manca à mè ? » Rapide évocation satisfaite de l’itinéraire biographique parcouru, avec chant (thème : « la fortune personnelle ») et couplets de bravoure (« regrets des temps héroïques », « éloge de la guerre », cf.par ex. in Mère courage de Brecht). Sur l’intervention du confident affleure et se précise le motif d’une généalogie alléguée (Troïlus>Ellu) où la démesure actuelle prétend s’expliquer par le mythe. La misogynie et le donjuanisme seront ainsi présentés comme une revanche de la réalité sur la trahison de Cressida.
• Dialogues : Ella-confident(s), (rythme d’abord lent, puis accélération ): « Cosa mi manca à mè ? » Confidences conventionnelles (les émois de l’amour) : élégie amoureuse, avec chant (thème lamentu: « Nausicaa aimée puis abandonnée »), le trouble de sentiments charmants et dolents à la fois. On sent poindre cependant, puis s’affirmer une attitude qui transforme peu à peu la silhouette de la victime et fait d’Ella le symétrique exact du personnage masculin. Cette métamorphose se fait au cours du dialogue (thème : « conquêtes »)
• Nouvelle rencontre Ellu/Ella. Pendant que s’instaure le dialogue amoureux et que prélude le thème musical de la toute première scène entraînant le couple dans une danse vers le fond du décor, apparaît le choryphée, d’abord invisible des protagonistes...
• Celui-ci prend bientôt possession de l’avant-scène pour annoncer la 2ème partie (son rôle est celui du prologue ; récit à plat des événements qui vont suivre ; ton désabusé, voire cynique par endroits). Son commentaire sarcastique révèle l’envers des personnalités, dévoile les motifs profonds et prend en charge une transition qui nous confrontera à l’univers brutal de la pièce shakespearienne. Ainsi se clôt la première partie sur un constat conforme au « message » de Troïlus et Cressida : sous les serments et témoignages d’amour s’exerce la volonté exclusive de jouissance et de domination. S’y mêle le plaisir trouble et malfaisant de l’hypocrisie, de l’infidélité et de la dissimulation.

2ème partie : de 45 à 50 mn.

( Elle nous transporte dans l’espace et le temps de la fable shakespearienne, troués par endroits par des flashes qui ramènent au présent des deux personnages, traités comme des tableaux (séquences danse traitées en images fixes par ex.)

• Notre texte est bâti sur l’évocation des événements qui conduisent inéluctablement à la guerre. Il se développe sur une sélection de deux types de scènes :
 les interventions de Thersite: AII,sc.1 et 3 ; AIII, sc.3 ; AV sc.1, 2, 4, 7. Nous en retenons des fragments pittoresques (portraits satiriques des chefs grecs et troyens) ainsi que la scène 2 de l’Acte V en totalité. C’est la scène de l’infidélité. Elle réunit Diomède et Cressida qui se croient seuls tandis que Thersite, Ulysse et Troïlus, dissimulés par la nuit, sont témoins de leur trahison. La douleur de Troïlus s’exprime dans un lamentu. Nous accentuons la valeur dramatique de la scène en en faisant une cause directe de l’affrontement entre Grecs et Troyens.
 les scènes de combat (avec inclusion de chants guerriers): AV, sc.4, 5, 6, 7, 8, 9.
 L’agitation et le carnage sont grands. On dénombre les morts : il y en a autant de part et d’autre. Grecs et Troyens se glorifient pareillement de leur valeur au combat.
• La conclusion revient naturellement à TERSITE qui nous montre les deux silhouettes enlacées (Cressida/Diomède) qui apparaissent au fond de la scène, échappent à la pénombre pour revenir sur le devant de la scène en dansant le tango-passion. TERSITE les interrompt et prend la place du cavalier...

Quelques indicateurs de réalisation :
Comédiens : 15
Chants : 5
Durée approximative du spectacle (hormis chants et musique ) : 1h15-1h30