LITTÉRATURES-MONDES :« LES FRANCOPHONIES OCÉANIENNES »

 

Eccu quì sottu un paragrafu strattu di u conturesu ch’ella face Lise GAUVIN in Fabula di u 27 di nuvembre scorsu. Pensemu chì u lettore farà subitu subitu a diferenza cù u scrittore è lettore di a pruduzzione corsa. Oghje chì ghjè oghje, ci si pare chu mischju –cuscente è vulsutu- trà corsu è francese, quand’ellu si tratta di robba literaria, affacca solu in certi generi belli precisi (teatru comicu è stalvatoghji pè u più...)

 

Plurilinguisme textuel

 

Plurilinguisme textuel

6 Pour les écrivains océaniens comme pour les autres écrivains francophones opérant dans un contexte plurilingue, les questions de langue constituent un enjeu capital. Comment faire entendre dans la langue française les inflexions de voix particulières aux locuteurs océaniens ? Comment affirmer par ailleurs l’existence des nombreux idiomes que se partagent les collectivités tout en évitant le piège de l’exotisme ? Situation paradoxale d’écrivains qui, empruntant la langue du colonisateur, sentent encore souvent le besoin de se justifier. Ce que Chantal T. Spitz règle de façon lapidaire en affirmant : « L’histoire m’a produite parlant-lisant-écrivant de langue française, elle ne m’a pas façonnée sentant-pensant français » (p. 153). La même auteure, si elle n’hésite pas à écrire de courts textes en reo ma’ohi, ne se sent pas investie du « devoir divin » d’écrire dans cette langue. Diverses stratégies sont alors mises en place afin de faire entendre les particularités du français pacifique ou d’intégrer certaines expressions d’une autre langue dans le texte.

7L’article d’Odile Gannier relève des procédés déjà présents dans Le Mariage de Loti. En effet, Loti introduisait des mots tahitiens en italiques dans son récit, suivis de la traduction entre parenthèses. Il allait même jusqu’à pratiquer l’alternance codique en donnant le double texte d’un passage. De façon encore plus subtile, dans Les Immémoriaux, par le rythme et la structure de sa phrase, Segalen « tend à faire croire à une autre langue que le français contemporain, une langue épique, qui évoque la traduction des grandes gestes sacrées que le récitant doit retenir » (p. 156). Ces « techniques d’emprunt » se systématiseront dans la littérature océanienne récente. On y retrouve aussi bien des dialogues en langues vernaculaires suivis de leurs traductions, que des mots laissés tels quels qui constituent ainsi des « blancs » du texte. Glossaires ou notes de bas de page s’ajoutent parfois au récit, à la demande de l’éditeur, afin de le rendre plus accessible au lecteur étranger. Mais il arrive que des passages entiers restent non traduits, soulignant ainsi la part d’opacité inhérente à toute culture. Un tel défi à la transparence fait partie des « stratégies de détour » identifiées par Édouard Glissant et auxquelles l’écrivain est convié dans la mouvance du postcolonialisme.

8 Rappelant le souhait glissantien d’une « symphonie des langues », Audrey Ogès examine les manifestations d’une interlangue chez la Calédonienne Déwé Gorodé autant que chez les Polynésiennes Flora Devantine et Chantal T. Spitz. Ce qui donne lieu à des procédés regroupés, selon les catégories mises au point par Patrick Sultan, sous les termes de « greffe » (mots empruntés à une autre langue), et de « repiquage » (tournures agrammaticales, néologismes). Il peut s’agir d’une relexification de la langue française ou d’un remaniement de la syntaxe en fonction de l’effet à produire. La langue devient alors « un travail artisanal qui, même s’il nécessite de l’ordre, du rangement, reste basé sur une liberté absolue » (p. 231).

9 L’œuvre de Dewé Godoré est à nouveau convoquée, cette fois par Hamid Mokaddem qui analyse la réinterprétation de l’histoire calédonienne à travers une poésie inspirée de l’oralité chez cette auteure, ou par le biais du théâtre chez Pierre Gope, où on relève aussi bien l’usage entrecroisé du nengone et du français que des registres diversifiés des deux langues. L’article de Stéphanie Geneix-Rabault sur la « créativité littéraire et les voix contemporaines slamées » en Nouvelle-Calédonie démontre, exemples à l’appui, que les musiciens-slameurs sont affranchis dès leurs premières créations de la langue française « normée » (p. 173). Ceux-ci n’hésitent pas à utiliser des tournures mélangées et hybrides parfois qualifiées de « français kaya » ou « kayafou ». Métissage linguistique, culturel, musical qui imprègne également le registre de la chanson et qui « permet de dépasser les rapports de domination du français tout en portant des traces tangibles de l’espace océanien multilingue d’où il émerge » (p. 188). Ces créateurs de poésie orale ont ainsi intégré à leurs œuvres une certaine attente implicite du public.