Une île où séduire Virginie

Clicanno.re Le Journal de La Réunion, 27.04.2008

 

Ecrivain. Trois ans après "Une empreinte française”, Jean-François Samlong sort "Une île où séduire Virginie » 
(chez L’Harmattan) et offre une autre approche du célèbre roman de Bernardin de Saint-Pierre. A travers ce travail 
de réécriture se déploient une version de l’histoire et une vision du monde propres au héros lui-même.

Jean-François Samlong, on connaît les réécritures de « Robinson Crusoë », mais pas celle de « Paul et Virginie » de Bernardin de Saint-Pierre. Pourquoi une démarche si peu courante ?

"La réécriture d’une œuvre célèbre, connue de tous, est un exercice des plus hasardeux. Mais au-delà de l’exercice de style, j’ai voulu rendre un hommage à Bernardin de Saint-Pierre tombé un peu trop vite dans l’oubli. Pourtant, à mes yeux, le roman « Paul et Virginie » reste un classique du genre, sur fond de romantisme et d’humanisme. Dans ce roman, Bernardin de Saint-Pierre émet des critiques à l’égard de Paris et des grands de ce monde, des critiques qui restent toujours d’actualité. Sans compter ses propos sur l’Europe. Mais pour revenir à l’histoire elle-même, j’ai voulu procéder à un changement de point de vue en donnant la parole à Paul. C’est lui qui raconte son histoire d’amour avec Virginie, non plus le vieil homme au bâton…”

Qu’est-ce que cela change ?

"Cela change tout pour plusieurs raisons, même si la trame ne bouge pas : tout d’abord, Paul prend en charge son histoire et il raconte ce qu’il a vu, entendu et vécu, alors que le vieil homme raconte ce qu’on a bien voulu… lui raconter ; ensuite, Paul devient acteur, il assume sa destinée et retrouve sa dignité ; enfin, et c’est l’un des points importants, il donne un sens à sa vie, et sa vie ayant désormais un sens, il n’a plus aucune raison de mourir après l’épisode du naufrage.”

Ce travail de réécriture n’est-il pas un prétexte pour développer vos propres idées ? Votre vision du monde ?

"Il est vrai que tout beau texte est un prétexte à mûrir sa propre réflexion, à méditer, à se remettre en cause, mais aussi à montrer la continuité d’une pensée, d’une philosophie, d’une génération d’écrivains à l’autre. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui, depuis la parution de « Paul et Virginie » ? Si peu de choses. Les Mauriciens comme les Réunionnais doivent partir, quitter leur île pour trouver un emploi en France ou dans d’autres pays ; certains ont la chance de revenir dans leur pays natal, d’autres pas. Et lorsque Bernardin de Saint-Pierre écrit : « Pour être protégé des grands il faut servir leur ambition ou leurs plaisirs… », voilà une pensée qui n’a pas pris une seule ride, à l’heure de la mondialisation et des peuples affamés à Haïti, en Afrique…”

Quelles sont les contraintes d’un travail de réécriture de ce genre quand on est… écrivain soi-même ?

"La seule contrainte, c’est le respect de l’écrivain et de l’œuvre. Il faut aimer cet écrivain et son œuvre. Il faut accepter la rencontre avec cet écrivain au cœur même de l’œuvre connue, tout en démarrant un roman qui ne sera peut-être pas publié. Ce qui me fait dire que le plus important c’est la rencontre, le débat, le questionnement, le jeu de la réécriture. C’est aussi un défi qu’on se lance, et Bernardin de Saint-Pierre a dû souvent rigoler quand il m’a vu m’arracher les cheveux face à mes platitudes ; quand il m’a vu à bout de souffle, cherchant des solutions pour donner une épaisseur psychologique au personnage de Paul ; quand il a vu que j’étais sur le point d’abandonner la partie, de couler au fond de mon écriture…”

Vous avez, malgré tout,persisté... 

"Deux points essentiels m’ont encouragé à poursuivre l’aventure de l’écriture : le thème de l’esclavage/marronnage avec le personnage de Lala et des noirs marrons ; la perspective de changer l’avenir de la société en changeant le destin de Paul qui, après de longues hésitations, a accepté de se rendre au chevet du vieil homme agonisant…”

Quel a été l’accueil réservé à votre roman, « Une île où séduire Virginie » ?

"Le fait d’être publié chez L’Harmattan donne à l’ouvrage une durée de vie acceptable. Je sais que ce roman ne disparaîtra pas des rayons des libraires trois mois après sa parution. Ensuite, je viens d’être contacté pour une traduction du roman en anglais. Cette traduction sera publiée en même temps que la traduction de « Paul et Virginie » de Bernardin de Saint-Pierre, en un seul volume. Nous serons tous les deux, si ce projet se réalise, sous la même couverture. C’est une idée qui me plaît beaucoup. De la même façon que Paul aimait se protéger de la pluie en venant se placer sous le jupon de Virginie.”Entretien : Alain Junot