Mathieu Graziani - 1
Attività altre
"Les Grecs définissaient au sens propre leur univers, et principalement la terre habitée ou oecoumène, en lui assignant des limites. Ce qui en était exclu faisait partie de l’apeiron, terme polysémique signifiant à la fois « inexpérimenté » et « sans limite ». La terre habitée se caractérisait donc comme une zone rendue cohérente par l’intercommunication de ses peuples, chaque communauté n’étant jamais coupée de celles qui occupaient le même « secteur » qu’elle, le tout organisé de manière relativement concentrique autour d’un (ethno)centre, à savoir le monde égéen. Plus un peuple en était éloigné, plus il se démarquait, dès les balbutiements du logos géographique, des critères d’appartenance à une sorte d’identité hellénique civilisée.
Il existe pourtant très tôt une tendance à idéaliser certains peuples des confins, des extrémités. Les Hyperboréens participent de cette conception proposant comme paradigme paradoxal de vertu les peuples les plus éloignés. L’étymologie supposée de leur nom (« ceux qui vivent au-delà du vent du nord ») et donc de leur localisation, couplée à la dimension spéculative de leur existence, en fait une entité collective radicalement autre : censés se trouver au degré suprême d’éloignement et donc de sauvagerie, ils vivent en fait au-delà des limites connues et n’ont en réalité que faire des standards du centre. Cette étrangeté s’exprime notamment par leur mention dans de nombreux mythes fondateurs, dont les manifestations textuelles, souvent contradictoires, nourrissent dans un premier temps un imaginaire paradisiaque. Les Hyperboréens entrent ainsi dans la mythistoire comme peuple béni. Dans un second temps, particulièrement marqué par l’avènement de la puissance romaine, les mythes qui leur sont rattachés se dépouillent de cette représentation surhumaine pour subir les conséquences des progrès de la géographie physique : s’ils vivent aux confins nordiques du monde connu, les Hyperboréens ne peuvent finalement plus être qu’un concept toponymique évoquant l’impossibilité de toute vie civilisée.
C’est un bref éclairage sur les métamorphoses de ces représentations géographiques et littéraires que propose cet exposé." (.GRAZIANI)