Reconnaissance et légitimité de la littérature insulaire de l'Outre-France : une production (ultra)périphérique

 

Avant d'aborder la question de genre mineur dans lequel s'inscrit la nouvelle d'origine insulaire, il convient de situer la littérature insulaire de l'Outre-France - troisième forme des discours de l'exiguïté - dans l'ensemble de la production littéraire d'expression française sans se heurter à ce fameux « miroir où l'excellence française pouvait se contempler » (Le Bris, 44). Ce constat a effectivement été le cheval de bataille d'autres critiques, dont Jean-Marc Moura qui, dans Littératures francophones et théorie postcoloniale, récuse la notion arbitraire du canon littéraire occidental (Moura, 2005). En effet, certains auteurs écrivent en français, hors l'Hexagone, et sont systématiquement exclus des anthologies ou absents des rayons de librairie, en raison de leur situation de périphérie.

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L'analyse de la production littéraire des régions de la France insulaire ainsi que de sa réception, doit s'inscrire dans ce que Béatrice Mangada appelle une francophonie transculturelle ; elle revient sur le propos de Moura pour « justifier le besoin de considérer une autre francophonie postcoloniale sans racines ni frontières mais plutôt transculturelle, qui se nourrit, entre autres, de traversées vitales et créatives au carrefour de langues et cultures » (Mangada, 2014 : 35)

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C'est ainsi que le Salon du Livre ou encore le Festival des Outre-mers deviennent des vitrines importantes pour les littératures en situation de périphérie dont les îles si bien que « la page (...) devient lieu de partage et aussi non-lieu, un lieu de voix et de parole transmise » (Imasango, 2012 : 135-136). Il s'agit là d'une situation de communication importante que Moura dénomme la scénographie :

Celle-ci articule l'œuvre et le monde et constitue l'inscription légitimante d'un texte. Par la scénographie l'œuvre définit les statuts d'énonciateur et de coénonciateur, l'espace et le temps à partir desquels se développent l'énonciation (...) associant une position d''auteur' et une position de 'public' (Moura, 109).

Si vitrine il y a, ce genre de manifestation culturelle et artistique se heurte à la difficulté de classification critique. Il suffit d'écouter Paola Ghinelli qui a très bien illustré pour un corpus de textes caribéens que « les écrivains que j'étudiais ont souvent manifesté leur malaise face à l'association systématique de leur œuvre à un adjectif (noir, caribéen, francophone, ...) » (Ghinelli, 2005 : 9). De surcroît, la Tahitienne Chantal Spitz explique dans un recueil d'interventions intitulé Pensées insolites et inutiles, « Notre littérature existe parce que nous existons (...) Elle n'a pas à être qualifiée classifiée étiquetée par d'Autres qui ne la lisent qu'au travers des filtres de critères rassis éculés. Elle n'est ni insulaire ni émergente ni postcoloniale » (Spitz, 2006 : 167). Outre le refus catégorique d'adjectifs classificateurs du discours dominant occidental, il se manifeste, dans ces prises de position assez réfractaires, une vision de l'espace qui a un fonctionnement à part. Il s'agit ici du phénomène d'insularisation qui, selon Paré, existe aussi dans les littératures d'origine non-insulaires comme celle de l'Acadie où elle représente une « condition intériorisée de l'exiguïté insulaire » (Paré, op. cit., 31), point sur lequel nous reviendrons plus tard. Quant à l'Océanie, ce repliement sur un espace plutôt ouvert mais lié a été décrit par Epeli Hau'ofa comme « une mer d'îles » (« sea of islands »), à l'encontre d'une vision continentale du monde dans laquelle l'espace de l'île reste forcément un espace isolé, voire exotique « du bout du monde » (Hau'ofa, 2008).

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Comment la production d'anthologies et de recueils de nouvelles des terres insulaires de culture livresque se situe-t-elle par rapport aux objectifs d'une littérature-monde en français, d'une part, et, par rapport aux propos de Paré concernant l'expérience de l'exiguïté, d'autre part ? L'insularité serait-elle vécue comme une expérience de l'exil ou comme une ouverture sur le monde ? (…)

Les réseaux d'interdépendances : le passage du local au mondial

Les principes d'une littérature-monde en français et les textes prenant pour sujet les expériences de l'exiguïté, dans le sens où Paré entend ce terme, se rejoignent dans leur désir d'exposer « la diversité des cultures et des langues » (Paré, op. cit., 25). Cette diversité se manifeste à travers une ouverture sur le monde et répond ainsi aux exigences des auteurs de l'ouvrage collectif, Pour une littérature-monde, qui se proposent de « donner forme, visage, à l'inconnu du monde, et à l'inconnu en (nous) » (Le Bris, op. cit., 27-28). Pour mieux comprendre le cas des anthologies et des recueils de nouvelles d'auteurs insulaires, il convient de constater avec Paré le lien essentiel entre la condition d'isolement des écrivains de l'exiguïté et leur tendance à « situer l'espace où l'on vit (ici) par rapport aux espaces voisins, en saisir le réseau d'interdépendance dans son actualité et dans son évolution » (Paré, op. cit., 163). Cette question d'interdépendances nous semble particulièrement intéressante dans le cas des ouvrages collectifs de petite forme dont l'essai et la nouvelle.

Pour décrire un (…) aspect de ce réseau d'interdépendances qui rend compte d'un passage du local au mondial dans l'espace insulaire de la France d'Outre-mer, nous ne pouvons pas nous empêcher d'évoquer le problème d'identité qui nous permettra de mieux comprendre la remarque suivante de Paré : « tout se passe comme si l'écrivain de l'exiguïté, souvent sans écho critique et sans public réel, mettait l'accent sur l'action (au sens théâtral) de l'écriture. Écrire, c'est donc se faire entendre écrivant » (Paré, op. cit., 41). Ce besoin de se faire entendre rappelle les propos de Patrick Chamoiseau qui se souvient, dans Écrire en pays dominé, des moments plus ou moins tragiques de la départementalisation de 1946, dont « cette disparition quasi totale des productions réelles (...), cette courbe exponentielle d'importations massives (...), ces aliénations extrêmes de l'école et des médias (...), cette consommation mimétique des normes occidentales, cet assistanat hyperbolique » (Chamoiseau, 2002 : 76) qui donne, selon Chamoiseau, une fausse impression de ce qu'il appelle « une 'participation' au monde » (Ibid., 81). Dans le contexte de la départementalisation des îles créolophones (ou d'ailleurs dans les îles du Pacifique Sud), l'action se situe, selon Chamoiseau, à l'encontre « des images, des pensées, des valeurs qui ne sont pas les tiennes » (Ibid., 17) pour devenir l'acte de naissance d'un discours identitaire : « Écrire, ici, c'est emmêler cette ombre et cette lumière, trouver concert intime de sucre fermenté et de sang éperdu » (Ibid., 53). Nous ne sommes pas loin des discours violents de la Corse Marie Ferranti que nous avons analysés ailleurs (Baage, 2013). Citons aussi le narrateur de la nouvelle « La Réunion des pitons, des cirques et des remparts » du Réunionnais Jean-François Samlong, « C'est très important pour un écrivain d'écrire et d'être lu (...). Aussi important que de respirer. L'écriture comme une respiration de l'âme » (Samlong, 2012 : 29). Le cheminement de la volonté de se faire entendre écrivant, dans un contexte insulaire, doit ainsi retenir notre attention. (…)

La notion du fragment : l'effet anthologique et la petite forme

Si les signataires du manifeste ainsi que les interventions de l'ouvrage collectif chez Gallimard récusent l'institutionnalisation du système de production, de publication et de circulation, ces considérations ont amené Françoise Lionnet à réfléchir à la nécessité de relire le canon à partir de ce qu'elle nomme le « cosmopolitisme créole » (2013). Cette nouvelle approche du centre littéraire consiste en un renouvellement stratégique de notre conception de la langue française, de la littérature et du monde : selon Lionnet, la langue et littérature se créolisent et il est temps de considérer l'endettement du centre vis-à-vis de la richesse complexe qu'apporte ces autres textes et parlers « du bout du monde » à la « république mondiale des lettres » au sens où Pascale Casanova entend ce terme. Pour reprendre le terme de Magdelaine-Andrianjafitrimo, les paroles d'outre-mer donnent à lire un dialogisme complexe qui « laisse paraître les mémoires culturelles, collectives, littéraires, écrites et orales » (Magdelaine-Andrianjafitrimo, op. cit., 43-44). Ce genre de dialogue et de réappropriation de mémoires voire de fragments des imaginaires se manifeste surtout dans un cas particulier de collaboration pour lequel Paré a relevé la dimension existentielle des fragments textuels : « les petites littératures souffrent très souvent d'une hypertrophie du discours anthologique (...), les plus petites littératures, dans leur fragilité, se donnent l'illusion d'exister en accumulant les répertoires et les anthologies (inventaires producteurs) » (Paré, op. cit., 116).

Moura décrit cet effet anthologique ainsi : « Ces anthologies, représentatives de toutes les régions francophones, (...) réunissent dimensions mémorielle et prospective. Il s'agit de montrer qu'existe une littérature, la composition est créatrice » (Moura, op. cit., 116). Mais il convient de souligner avec les deux critiques que l'intérêt que nous portons aux anthologies, voire aux recueils de nouvelles, s'explique à travers le manque de reconnaissance de certaines petites formes doublement marginalisées, à l'époque contemporaine, tandis que le repli sur le régionalisme normand ou corse de Maupassant et Mérimée représentent des lieux stratégiques de la littérature métropolitaine du xixe siècle.

Dans le répertoire des anthologies que nous avons retrouvées dans certaines librairies d'Ajaccio, de Bastia et de Saint-Denis de la Réunion, nous avons remarqué la force stratégique de l'appareil paratextuel de deux anthologies réunionnaises, Littératures francophones de l'océan Indien (Joubert et al., 1996) et l'Anthologie de la littérature réunionnaise (Antoir et al., 2004). Les préfaces insistent, entre autre, sur la volonté de faire découvrir un ensemble de textes « passionnants » mais la préface de cette dernière anthologie de 2004 va encore plus loin quand elle évoque les difficultés du champ littéraire réunionnais dont les littératures sont « peu connues », voire souvent l'objet d'un malentendu. Celui-ci se fonde aussi parfois sur une simple paresse intellectuelle qui entraîne trop souvent le lecteur à lire de l'exotisme ou du misérabilisme là où ce qui est en jeu est la question du rapport au lieu, à la fondation, aux origines, aux mythes et aux légendes issus d'un patient travail de créolisation des imaginaires (Ibid., 2).

Cette créolisation des imaginaires dépasse donc le cadre du fragment intertextuel du romanesque et revêt une fonction existentielle dans le paratexte des anthologies de la littérature d'origine insulaire. Quant au Pacifique Sud, Alice Te Punga Somerville soutient que cette « mer d'anthologies » (« sea of anthologies ») glisse vers la dérive car les anthologies se composent dans la discontinuité du fragment et du fragmentaire, aux dépens de l'invisibilité du texte intégral (Te Punga Somerville, 2010). Si le discours anthologique d'origine insulaire privilégie le fragment, il prend une dimension synecdochique qui se dégage merveilleusement bien dans le paratexte de la collection de nouvelles qui s'intitule « Miniatures : Nouvelles du monde ». Publié à Paris, cette collection assez récente compte actuellement 32 tomes parmi lesquels nous retrouvons naturellement les quatre formes de discours de l'exiguïté de Paré. De fait, la maison d'édition annonce sur son site web que les nouvelles du monde incitent au voyage pour entraîner le lecteur « vers des terres lointaines ou moins lointaines. Elles vous ouvrent à d’autres cultures, d’autres croyances, d’autres histoires. Les grandes plumes de la littérature contemporaine vous emportent loin, loin, loin... » (Magellan & Cie éditions). La quatrième de couverture de Nouvelles de la Réunion revendique de la même façon son rôle au monde :

Alors que la mondialisation des échanges progresse, que le monde devient un pour tous, des mondes miniatures s'imposent, des pays et des régions entières affirment leur identité, revendiquent leur histoire ou leur langue, réinvestissent pleinement leur espace. Quoi de plus parlant qu'une miniature, la nouvelle, pour lever le voile sur ce monde-là, celui d'une diversité infinie et porteuse d'espoir (Astier, op. cit. ) ?

Cette double minorisation de l'espace, l'île, et du sous-genre, la nouvelle, est particulièrement remarquable dans les recueils d'origines cubaine, haïtienne, guadeloupéenne, corse, malgache, réunionnaise, mauricienne, nouvelle calédonienne, islandaise, voire singapourienne, sans oublier le tome sur le thème des indépendances. Ces recueils se proposent d'offrir un ensemble cohérant qui, selon Evrard, peut se conjuguer sous de diverses formes dont l'unité du cadre géographique ou la récurrence d'un thème. Ces caractéristiques retiendront notre attention dans la dernière partie. Avec la mondialisation de l'espace, ces discours insulaires anthologiques seraient-ils appelés à préserver le divers en voie de disparition, comme le veulent d'ailleurs les partisans du projet littéraire sans frontières ?

Partir sans passeport : les expériences de l'écart

Afin de répondre à cette question, nous nous pencherons sur un dernier recueil, édité chez idem en France, étonnamment mal diffusé et, dès sa parution, indisponible sur Amazon. Partir sans passeport montre encore une autre perspective intéressante du fragment textuel qui dépasse le divers. Dans l'ensemble, ce recueil de douze nouvelles de onze auteurs d'origine ultramarine, propose de nombreuses formes de voyage dans des contrées qui, selon la quatrième de couverture, « paraissent lointaines depuis Paris alors qu'elles en sont toutes proches à travers les médias qui les inondent tous les jours » (Partir sans passeport, 2012). Cette tension entre l'ici et l'ailleurs s'annonce avec la présentation visuelle de la couverture, six horloges avec six espace-temps dont celui de Nouméa (Nouvelle Calédonie), Paris (France), Cayenne (Guyane), Fort-de-France / Pointe-à-Pitre / Saint-Barth (Martinique / Guadeloupe), Saint Denis (Réunion) et Bora-Bora / Tautira-Tahiti (Polynésie française), en toile de fond bleu, symbolisme de la mer ou du ciel de l'outre-mer. Parues à l'occasion de la deuxième édition du festival des Outre-mer à Paris en 2012, les nouvelles dépeignent toute une série de voyages proches et lointains, en métropole, dans l'Outre-mer français ou ailleurs, pour construire en quelque sorte une unité de lieu du recueil de nouvelles visant des terres en situation de périphérie qui se présentent bel et bien comme « 'caillou' qui, bien que français, n'était pas vraiment la France » (Imasango, 2012 : 102), ou encore, « île aux antipodes de la Métropole » (Ibid., 104), voire « rocher microscopique et volcanique » (Dracius, 2012 : 74). Il en résulte des expériences de l'exil et de la migrance ou ce que Paré a récemment appelé tout simplement des figures symboliques attribuées à l'exil, la notion centrale d'exiguïté : « L'exil, ce sera tout ça : une détresse certes, mais aussi une illumination des lieux habitables qui échappent à notre regard » (Paré, 2014). Cette microscopie des lieux (in)habitables crée un jeu de correspondances entre les différentes histoires. C'est ainsi que dans l'ensemble, les nouvelles donnent à voir une volonté chez les personnages de s'éloigner ou se rapprocher de la terre natale : « Cet homme était un exilé volontaire à l'antipode des Antilles. Car les Christmas étaient tout simplement situées de l'autre côté du globe ; c'était le coin le plus loin de la Martinique, sa région d'origine. Le trou du cul du monde (...). L'exil maximal » (Valère, 2012 : 219). Ce recueil de nouvelles renvoie ainsi à son statut, à l'heure actuelle, dans le sens où il se présente comme une représentation du « monde dans son éclatement » (Evrard, op. cit., 6).

L'exil et la migrance prennent une forme particulièrement intéressante dans trois nouvelles martiniquaises. Dans « Le jour où le temps s'arrêta en Martinique » de Charles-Henri Fargues et « Chabin-an » de Judes Duranty, un échec personnel met les personnages principaux à l'écart d'une communauté enthousiasmée qui fête la victoire de leur yole ronde favorite. Cet écart prend la forme d'exil volontaire dans la nouvelle « Christmas Island » de Laurent Valère lorsque le personnage principal, le gars, s'installe dans « un lieu, un monde si lointain, si différent qu'à jamais ce tour de la Martinique des Yoles Rondes ne vienne perturber sa sérénité (...) L'antipode de la Martinique (...) c'est Christmas Island » (Valère, 2012 : 225-226). Le gars se sent sain et sauf auprès d'une Chinoise d'Indonésie « avec une forte capacité d'émerveillement (...) Surtout quand il lui parlait des choses de la Martinique, (...) la France et toutes ces histoires étranges constitutives de l'insularité française d'outre-mer. Des concepts inconcevables en plein océan indien, à deux mille cinq cents km de l'Australie » (Ibid., 222). Mais il y découvre une flagrante réappropriation des techniques de la régate martiniquaise de la part d'un pêcheur indonésien qui s'était inspiré d'un site en ligne.

L'exiguïté du geste de rupture se donne à lire comme une « irruption dans le champ du visible de certaines logiques de la distance habitées » (Paré, 2014). Dans un espace exogène, l'exilé ne se réjouit pas de la réappropriation des conditions de la victoire par un étranger qui crée une sorte de diaspora d'adeptes. De surcroît, dans l'espace endogène, la rupture avec l'expérience collective de grande envergure, les yoles rondes, comporte des risques importants.

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Pour conclure, nous avons montré que la littérature de France insulaire dont la petite forme fait émerger des mondes qui restent réfractaires à une définition univoque, que cela soit en termes de « littérature(s) francophone(s) » ou de « littérature-monde en français ». Il convient de suivre le modèle de Chris Bongi qu'il développe dans Islands and Exiles, 1998. Il y prône deux types de lectures du fragment insulaire :

« The island is a figure that can and must be read in more than one way: on the one hand, as the absolutely particular, a space complete unto itself and thus an ideal metaphor for a traditionally conceived, unified and unitary, identity; on the other hand, as a fragment, a part of some greater whole from which it is in exile and to which it must be related (...) the island is thus a site of a double identity »

(Ces deux types) représentent à la fois le lieu par excellence du tout-monde dans le sens où Glissant entend ce terme, et le lieu par excellence de l'exil. Dans ce sens-là, l'hypertrophie du discours anthologique et la présence des recueils de nouvelles véhiculent ces deux types de représentations. La première représentation est métonymique, l'île devient le carrefour des cultures mais risque d'être mis en valeur à des fins économiques et commerciales. La deuxième représentation est emblématique d'une tension permanente entre l'ici et l'ailleurs, observation que nous avons faite quant au recueil Partir sans passeport.

Toutefois, la petite forme dans son rapport aux marges prend encore un autre sens si on considère l'observation récente d'Ari Blatt : dans le cadre de son intervention lors du 33ème colloque international d'Études Françaises et Francophones en 2016, il constate un retour au régionalisme dans la littérature de l'extrême contemporaine, qui s'éloigne des connotations négatives de la campagne. Ce constat permettra effectivement de créer un espace pour toute forme d'insularisation, au sens où Paré entend ce terme, présente aussi dans certains recueils de nouvelles tels que Partir sans passeport, tout en mettant en évidence que « la littérature de France n'est qu'un îlot qui bruit, psalmodie et crée en français au milieu d'un archipel de langue française » (Waberi, 2007 : 72). Pour Robert Viau, les propos de Waberi incarnent le cœur d'une querelle autour d'un concept qui veut que « la littérature française soit placée dans un centre normalisateur et que les autres littératures de langue française ne représentent que des îlots excentrés et dispersés. Il renvoie l'écrivain français à sa propre insularité au sein d'un ensemble plus vaste » (Viau, 2013 : 91).