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Francese

LITERATURA E SUCETA: A Traduzzione è e so teurie

Bref aperçu des théories contemporaines de la traduction , Bernd Stefanink, Université de Bielefeld)

Jusqu’à la seconde guerre mondiale la traduction avait été considérée plus ou moins comme un art. C’était l’affaire de philosophes, d’écrivains, des bilingues spécialisés dans différents domaines scientifiques, des philosophes, des écrivains/traducteurs… Toutes leurs réflexions avaient en commun le fait qu’elles n’étaient pas sytématiques.

La réflexion contemporaine sur la traduction a été déclenchée par William Weaver. On peut y distinguer cinq approches  théoriques:

- Approches basées sur des théories linguistiques: structuralisme, linguistique pragmatique, linguistique du texte.
- Approches basées sur des théories littéraires: “Translation Workshops” aux Etats-Unis (Ezra Pound), “Polysystem theory” (“manipulation school”), l’Ecole tchèque
- Approches basées sur des théories philosophiques; ex: Steiner (Heidegger), Paepcke et Stolze (Gadamer), Benjamin, romantiques allemands
- Approches basées sur la pratique: Ecole de Paris: Seleskovitch, Lederer; ESIT
- Approches empiriques basées sur l’examen des procédures de traduction (Krings, Loerscher)

 

Approches basées sur des théories linguistiques

Linguistique structurale et traduction automatique

Travaillant pendant la guerre au décodage des messages secrets ennemis à l’aide d’ordinateurs, Weaver en est venu à considérer la langue comme un code, qu’il suffisait de décoder. L’opération traduisante était considérée comme une opération de transcodage, dont on espérait qu’elle pourrait être réalisée par des ordinateurs
 

Le mot comme unité de traduction

Pour cela il fallait procéder à des analyses de la langue susceptibles d’être saisies par l’ordinateur. La phonétique structurale avait découvert les traits pertinents, permettant de cerner ce qui distinguait les sons les uns des autres du point de vue de leur fonction dans l’acte de communication. La sémantique structurale a introduit cette analyse en traits distinctifs au niveau du lexique, fournissant au traducteur humain à la fois une directive et un critère d’évaluation: la fidélité en traduction, pensait-on, consistait à trouver, dans la langue cible, le mot qui reproduisait le maximum des sèmes contenus dans le mot de la langue source.

MOUNIN évoque de ce fait l’intérêt que pouvait présenter “la recherche des unités sémantiques minima” (1963:95):

            Si de telles ‘particules de sens’ existaient, la traduction deviendrait quelque chose d’aussi
simple que l’analyse et la synthèse en chimie (1963:97)

C’était une illusion! Mounin et d’autres pensaient résoudre ainsi les problèmes de la traduction automatique. Les choses ne sont pas aussi simples. Le rapport de la commission ALPAC. Créée en 1964 pour procéder à l’évaluation des résultats des recherches en vue de la traduction automatique, a constaté qu’ils étaient maigres. Les recherches centrées sur le mot comme unité de traduction avaient conduit à un relatif échec.
 

Le syntagme et la phrase comme unité de traduction

L’insuffisance des résultats acquis par cette recherche sur la sémantique du mot, a poussé les chercheurs à étendre leurs recherches au syntagme et à la phrase. Ainsi, pour le traductologue anglais CATFORD il ne s’agit plus de chercher le “mot juste” dans la langue cible, mais de trouver les “translation equivalents” utilisés dans des situations identiques. C’est également à ce niveau que se situent les travaux de stylistique comparée de VINAY et DARBELNET, qui ont essayé de catégoriser les différentes procédures utilisées lors des opérations traduisantes et qui ont dégagé 7 procédures de traduction auxquelles se laissent réduire toutes ces opérations.
Cependant, en introduisant la notion desituation, la définition de CATFORD préfigure déjà la pragmatique!

  La pragmatique

La linguistique pragmatique, initiée par J.-L. AUSTIN  et J. SEARLE, a attiré l’attention sur le fait que le sens d’un énoncé ne pouvait être saisi seulement à partir de la valeur sémantique de cet énoncé, mais  devait être considéré dans la situation dans laquelle il est énoncé. La communication est fondée sur des actes de langage, dont la valeur illocutoire varie selon les contextes situationnels. C’est cette valeur illocutoire que le traducteur doit saisir et rendre de façon adéquate en langue cible.

Exemple: Ainsi, lorsqu’un Roumain aborde un autre Roumain dans la rue pour lui demander le chemin avec l’habituel “Nu va suparati”, cette formule ne doit pas être traduite par un “Ne vous énervez pas” qui serait sa sémantique normale en dehors de ce contexte précis – traduction sémantique qui risquerait plutôt d’énerver l’interlocuteur (qui ne montrait aucun signe d’énervement justifiant cet appel intempestif au calme) -, mais  par un “Pardon!” ou par un “Excusez-moi de vous déranger!”. L’acte illocutoire consiste à attirer poliment l’attention .

  La linguistique du texte

L’évolution de la linguistique structurale vers la linguistique du texte a eu des répercussions importantes sur la conception de la traduction. Alors que la linguistique contrastive avait centré l’attention sur les études contrastives, qui avaient pour objet la “langue” (au sens saussurien du terme), la linguistique du texte a fait prendre conscience du fait que le traducteur traduisait la parole”, que les mots n’avaient pas un sens une fois pour toutes, mais ne prenaient leur sens que dans le cadre du texte. Quant au sens du texte, il n’était pas dans le texte, mais venait au texte dans la saisie de celui-ci par le récepteur: une théorie du sens qui était induite par les réflexions de Heidegger.
La théorie de la traduction devenait tributaire d’une théorie de l’action qui disait que le sens de toute action dépendait du but auquel elle tendait.
 

La “Skopostheorie”

Cette évolution dans la réflexion théorique a eu des répercussions très concrètes sur la démarche traduisante. Des stratégies “bottom up” on passait aux stratégies “top down”(2): avant de se demander si tel syntagme en langue cible était bien l’équivalent de tel autre en langue source, on devait se poser la question de la finalitéglobale du texte, de sa fonction, ou encore de son “skopos”, pour employer la terminologie de Katharina REISS et de Hans VERMEER (1984), telle qu’ils l’exposent dans un ouvrage commun intitulé Fondements d’une théorie de la translation (= Grundlegung einer Translationstheorie).
Pour clarifier cette notion de “fonction”, Katharina REISS a développé une “typologie des textes pertinente pour le traducteur” basée sur les trois fonctions fondamentales du langage dégagées par Karl Buehler – textes informatifs, textes esthétiques, textes appellatifs chacun des ces types de texte faisant appel à des stratégies traduisantes différentes.
Mais, si le type de texte peut être une façon implicite de déterminer la fonction, il  existe une instance supérieure – explicite -  pour le faire, celle du “donneurd’ordre. Le donneur d’ordre peut décider le maintien de la fonction ou, au contraire, le changement de la fonction du texte.

Approches tributaires des théories littéraires Pour Edmond Cary “la traduction n’est pas une opération linguistique, c’est une opération littéraire” (cité par Mounin 1963:13) et il rajoutera que pour traduire de la poésie, il faut être poète. Aussi ces théories se réfèrent-elles uniquement à la traduction littéraire et surtout à la traduction de la poésie. Elles ont été fortement marquées par les idées des sémioticiens, comme Roland Barthes (“lectures plurielles du texte”) ou Umberto Eco (“Struttura apperta”) qui ont montré que c’est par le lecteur que le sens vient au texte, reprenant l’idée plus générale de Heidegger que c’est par la perception qu’en a l’être humain que le sens vient aux choses.

C’est ce genre de théories qui a donné naissance aux Etats Unis aux “Writing and Creativity Workshops” et aux “Translation Workshops”, dont un des grands inspirateurs a été Ezra Pound.

Ezra Pound et les ‘Translation Workshops’:

Aux Etats Unis l’approche théorique s’est faite et se fait encore dans les ‘translation workshops’, dont un des plus connus est celui de l’université d’Iowa. On s’y occupe uniquement de traduction littéraire et principalement de la traduction de poèmes.

Les idées qui ont le plus influencé le travail dans ces workshops sont  celles d’Ezra POUND, même si souvent elles ont souvent été déformées et mal interprétées, jusqu’à faire dire le contraire de ce qu’il voulait dire.
La ‘théorie’ de Pound était fondée sur le concept d’”énergiedans la langue. Les mots  sont en quelque sorte une cristallisation du vécu historique d’une culture, ce qui leur donne une force, une énergie toute particulière. C’est cette énergie qu’il faut traduire.
Cette notion d’énergie véhiculée par les mots a donné lieu à des abus. Ainsi Frederic WILL, qui a dirigé le translation workshop de l’université de Iowa à partir de 1964, a fait état de cette notion d’énergie, le thrust’, comme il l’appelle, derrière les mots, pour en déduire que les mots ne sont que des “indicateurs” de sens, que le traducteur doit saisir intuitivement et dont il doit s’inspirer pour créer son oeuvre à lui en langue cible.
A la suite de Will les praticiens-traducteurs dans les workshops se sont réclamés de Pound pour prendre leur licence poétique. Ils ont été jusqu’à faire usage de cribs  dans les workshops, c’est-à-dire de canvas, de traductions mot-à-mot, qui  étaients censés fournir le contenu du poème à traduire à un poète de la langue cible, qui, lui, devait refaire un poème à partir de ce canvas et ce poème était censé être la traduction du poème dont le canvas était tiré.

  La “Polysystem theory”:

Traducteur et professeur de traduction à l’université d’Amsterdam, James HOLMES, est issu de cette tradition des ‘translation Workshop’. Avec André LEFEVERE ils créent la ‘Polysystem Theory’. La Polysystem Theory est une théorie de la littérature qui ne limite pas ses recherches à la littérature ‘noble’ mais se propose d’étudier avec le même sérieux les autres genres littéraires, disant qu’ils forment tous un ensemble de systèmes, qui à son tour doit être analysé dans le cadre plus vaste des systèmes culturels.
Pour les tenants de la P.S.T.  la littérature traduite devient un genre littéraire parmi et d’autres sera étudié du point de vue de son apport à la littérature et à la culture en LC.
A ce groupe de chercheurs néerlandais vient se joindre Susan BASSNET, de Grande-Bretagne. Considérant que toute traduction est de toute façon une “manipulation du texte source, ils ne se soucient plus du point de vue de sa conformité avec l’original en LS, mais considèrent qu’il suffit qu’un traducteur déclare son texte comme une “traduction” pour que l’on ne discute pas s’il a rajouté ou changé des choses selon l’inspiration déclenchée par sa saisie du texte source. Ils publient leurs idées dans un volume édité par Theo HERMANS: The Manipulation of Literature: Studies in Literary Translation, (New York, 1985)
 

L’école tchèque

Lefevere avait reproché aux théories tributaires de la linguistique d’être “réductionnistes” et appelait ses défenseurs des “néo-positivistes”. Aux “herméneutes”, par contre, comme il appelait ceux qui ne juraient que par les théories littéraires, il reprochait de ne pas être scientifiques.
L’école tchèque tient à la fois des deux. Issue de théories sur la poésie, formulées par les Formalistes russes, elle obéit également à des principes structuralistes. C’est Roman JAKOBSON qui, quittant Moscou pour fonder l’Ecole de Prague, avait véhiculé les idées des Formalistes russes sur l’oeuvre d’art. Leurs recherches portaient sur la nature de l’oeuvre d’art poétique: il s’agissait de déterminer l’essence de l’oeuvre d’art, ce qui faisait que l’oeuvre d’art était une oeuvre d’art. Pour Jakobson la “poéticité”, les traits stylistiques qui  faisaient que le poème était un poème avaient une existence pour soi, séparable du contenu.
Reprenant les idées que Jakobson a exposées dans “On Linguistic Aspects of Translation”, Jiry LEVY  se donne pour tâche de séparer les procédés stylistiques d’un poème ou de l’oeuvre littéraire en général, de les isoler et d’établir ainsi pour chaque langue un inventaire de ces procédés. Le traducteur isolera de même le contenu de son poème, le traduira, puis “traduira” les éléments stylistiques, c’est-à-dire, remplacera les procédées stylistiques de la LS par ceux de la LC.

 

Approches tributaires de la réflexion Philosophique

George Steiner: L’approche herméneutique
Pour Steiner, se faire “herméneute” c’est se mettre dans la peau de l’écrivain, afin de saisir, dans une projection empathique, le sens de ce qu’il veut dire et le transférer dans la langue cible. Steiner voit l’opération traduisante comme un mouvement en quatre temps: “Trust” (confiance), “agression”, “incorporation” et “restitution”.

“Trust”:Le traducteur prend un risque en abordant un texte: sans avoir soumis ce texte à un examen, il lui fait confiance en assumant qu’il véhicule un sens.
“Agression”: Steiner se base sur Heidegger (qu’il a étudié de très près, puisque trois ans après After Babel (1975), il écrira un livre sur Heidegger (1998)), pour dire que chaque acte de compréhension (chez Heidegger “Erkenntnis”) est une agression.. Le traducteur pénètre dans le texte source pour lui voler son sens, qu’il veut emporter comme butin de guerre.
“Incorporation”:Après l’avoir agressé et détruit, le traducteur s’incorpore le texte source, il le fait sien, il l’avale et le digère, en quelque sorte.
“Restitution”:Les trois actes qu’on vient de décrire ont créé un déséquilibre. Ici Steiner se base sur l’anthropologue structuraliste Levi Strauss, qui dit que dans un système (culturel) tout se tient et que si on enlève ou rajoute un élément dans un système on le déséquilibre. Par les trois actes précédemment décrits les deux systèmes en présence ont été déséquilibrés: celui de la langue source, auquel j’ai enlevé, et celui de la langue cible, auquel j’ai rajouté. Il faut maintenant rétablir l’équilibre en restituant.

Dans la conception de cet acte de “restitution” Steiner est très influencé par les idées des romantiques allemands et de leurs continuateurs comme par exemple Walter Benjamin qui plaide pour la “transparence” de la traduction, dans laquelle il veut retrouver non seulement le sens de l’original, mais, décelable en filigrane, jusqu’à la langue de l’original.
Ceci l’amène à dire que l’idéal à atteindre en traduction, ce serait la traduction interlinéaire (qu’il appelle aussi traduction mot-à-mot) fidèle, c’est-à-dire fidèle au sens et à la forme: “The true interlinear is the final, unrealizable  goal of the hermeneutic act”.
La tâche idéale – et irréalisable - du traducteur serait de rétablir – par ses traductions “parfaites”, reproduisant de façon identique le texte source en langue cible - l’état paradisiaque d’avant Babel; tâche impossible, car rien n’est parfait (Steiner dixit).

Approches basées sur la pratique: la théorie interprétative
La théorie interprétative a été développée à l’ESIT (Ecole Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs, fondée en 1957) à partir d’observations faites à propos de la traduction simultanée et consécutive, de nature orale. Si d’aucuns ont cru devoir admirer la capacité de mémoire des interprètes, il n’en est rien: l’interprète n’a pas une mémoire des mots, mais une mémoire du sens qu’ils véhiculent, l’interprète ne peut travailler que s’il retient le sens et traduit le sens. Ceci implique une réflexion sur la nature du sens.

  Théorie du sens

La théorie du sens sous-jacente à la théorie interprétative est basée sur l’opposition entre l’implicite et l’explicite.

Au niveau des mots
 Les mots ne dévoilent/n’explicitent jamais qu’un aspect de la chose qu’ils désignent, et ceci de façon différente d’une langue à l’autre. Ainsi le français dans trou de serrure trouvera pertinent et mettra en relief le fait que le trou se trouve dans la serrure, alors que l’anglais insistera sur la finalité du trou, qui est d’y pouvoir introduire une clé et l’appelera key hole, un trou pour une clé. De même le français et l’anglais explicitent un autre aspect du mot tiroir (français tiroir, angl. drawer mettant en relief le fait  que pour ouvrir le tiroir il faut tirer) que  l’allemand Schublade (Schub- de schieben = “pousser”).
 

Au niveau des phraséologismes

La même idée peut être exprimée de façon différente selon les langues. Ainsi l’anglais explicite l’idée de ‘faire quelque chose de superflu’ par le phraséologisme to bring coal to Newcastle, le français par le phraseologisme porter de l’eau à la rivière, l’allemand par Eulen nach Athen tragen (=porter des chouettes à Athènes). L’implicite est le même, l’explicite est différent.
 

Au niveau du texte

Le même chose vaut pour le sens au niveau du texte. Le sens ne se livre pas immédiatement. Avant de traduire, le traducteur doit se faire interprète, il doit dégager le sens du texte, c’est-à-dire “le vouloir dire de l’auteur. Et c’est ce sens qu’il doit traduire.
 

Bagage cognitif/contexte cognitif La saisie du sens ne se fait pas sur un fond de virginité. Au cours de sa vie le récepteur du texte a accumulé dans sa mémoire un vécu cognitif et affectif, que Lederer (1994) résume, pour plus de simplicité, sous le terme de “bagage cognitif”, se basant pour cela sur la constatation de Jean Piaget que “La vie affective et la vie cognitive sont inséparables, bien que distinctes” (Lederer 1994:37)

 Le sens d’un texte jaillit de la mise en contact du bagage cognitif du récepteur avec les mots du texte qui servent quasiment de détonateur, et déclenchent ce jaillissement du sens. La “compréhension” d’un nouvel élément de vécu – et la lecture d’un texte en fait partie – consiste à mettre ce nouveau vécu en rapport avec des expériences vécues similaires et de l’évaluer par rapport à ce fonds de vécu existant dans la mémoire.
Un autre élément intervenant dans la compréhension d’un élément du texte, c’est le contexte cognitif, le savoir accumulé tout au long de la lecture du texte.

La Déverbalisation

C’est l’acte essentiel à la saisie du sens, par lequel le traducteur transcende le niveau des mots pour s’approprier le sens d’un texte, qu’il devra ensuite reverbaliser dans la langue cible, en tenant compte des conditionnements du récepteur (langue, culture, etc).

Approches psycholinguistiques, basées sur l’examen des procédures de traduction

Lorsque, en 1986, H. P. KRINGS a publié son étude sur “ce qui se passe dans la tête des traducteurs” (Was in den Koepfen von Uebersetzern vorgeht) il a repris des méthodes d’observation introspective dans la tradition des Claparède et autres et les a appliquées  au processus de traduction. Les TAP’s (=Thinking Aloud Protocols) doivent servir à anlyser les processus qui se passent dans la tête des traducteurs. Il est évident que l’objectif utopique - que se pose primordialement Lörscher (1991) dans une étude similaire, et qui est évoqué plus modestement comme un résultat possible par Krings - d’aboutir par le biais de ces recherches à un savoir épistémologique, est illusoire.
Là où cette méthode d’investigation introspective peut, par contre, aboutir à des résultats utiles, c’est en didactique de la traduction. Les TAPs offrent en effet une foule d’informations sur le type de problèmes qui se posent aux apprentis traductologues et sur les démarches choisies pour les résoudre, bref: elles fournissent ce que les didacticiens appellent un “inventaire des besoins”.
Les recherches de Krings ont inspiré un autre type de recherches qui se situe, de fait, au carrefour des TAPs et des recherches dans le domaine de l’ethnoscience entreprises aux Etats Unis par des sociologues comme GARFINKEL: l’ethnotraductologie.(3)
Garfinkel a créé l’ethnoscience. Cette discipline qui s’intéresse à “l’ordre des choses dans la tête des gens” (Gülich 1990:73) suppose que chaque individu véhicule des notions ‘naïves’ relatives aux différentes sciences – le terme ‘ethno’ suggérant ‘d’une manière ou d’une autre qu’un membre dispose du savoir commun de sa société en tant que savoir du quoi que ce soit”– notions qui sont susceptibles d’êtres mises en évidence à travers une analyse de son discours. Ainsi ”l’ethnomédecine s’intéresse aux connaissances, au savoir commun et quotidien dont disposent les membres d’une société concernant les maladies et les façons de les guérir, et non pas aux maladies elles-mêmes et au savoir des experts” (Gülich:1990:73). De même des traducteurs, qui n’ont jamais été confrontés aux théories de la traduction “agissent conformément à une théorie latente qu’ils ont intériorisé de façon consciente, ou inconsciente ou encore mi-consciente au cours de leur pratique”(4), comme le démontrent mes recherches menées à l’aide d’analyses conversationnelles (cf. Stefanink 1995, 1997, 1999, 2000):

L’analyse conversationnelle des dialogues enregistrés en cours de traduction
m’a révélé que chacun de mes étudiants avait un comportement généralement assez cohérent (…) s’apparentant, à un niveau plus général, aux préceptes d’ordre théorique (Stefanink 1999:77)

Le retombées de ces recherches introspectives ne se limitent cependant pas à des satisfactions didactiques. Elles ouvrent aussi des perspectives nouvelles à des tentatives de saisir ‘in vivo’ des processus de créativité, telles qu’elles sont étudiées par des chercheurs comme Kussmaul qui, en partant des découvertes de la protosémantique, d’une part et des recherches sur la créativité, d’autre part, s’inspirant des notions de “pensée latérale” d’un de Bono (1972:72), ou de “pensée divergente” d’un Guilford (1975:40), s’efforcent de suivre les processus d’enchaînement de la pensée (le “chaining” de Lakoff:1987).
Lakoff nous donne l’exemple des mots anger, lust and rape. Ces mots ne font pas partie du même champ sémantique et a priori rien ne devrait nous inciter à les associer. Si néanmoins le locuteur est amené à les associer, c’est sur la base d’expressions toutes faites (locutions toutes faites, métaphores lexicalisées, etc), qui reflètent l’imagination populaire (“Folk theories”). Dans le processus de compréhension, ces mots engendrent des “scénarios” (aus sens que Fillmore attribue à ce terme) dans l’esprit du récepteur. Celui-ci est envahi par un enchaînement de connotations métaphoriques, qui se bousculent dans sa tête à la façon d’un brain-storming. Son esprit est littéralement pris d’assaut, par un déferlement d’associations métaphoriques. Je dis “déferlement”, parce que la rapidité avec laquelle se déroule le processus est d’une importance majeure pour le processus de créativité (cf./ Preiser 1976:60).
Lakoff nous donne trois scénarios possibles à l’intérieur desquels les métaphores suivantes viennent à l’esprit du locuteur 1) anger is fire (par ex.:Those are inflammatory remarks. She was doing a slow burn. He was breathing fire. Your insincere apology just added fuel to the fire. After the argument, Dave was smoldering for days, etc. Lakoff 1987:388). Nous retrouvons cette idée de feu dans le scénario de lust: Lust is heat (par ex.: I’ ve got the hots for her. She is an old flame. Hey, baby, light my fire. She’s hot stuff. He was consumed by desire. etc. Lakoff 1987:410).
Outre cette connotation de feu qui relie lust à anger, Lakoff trouve dans lust deux autres connotations métaphoriques - lust is war et lust is a physical force (Lakoff 1987:411) – deux images qui se retrouvent également dans la catégorie des images suscitées par le mot rape, ce qui amène Lakoff à formuler l’hypothèse peu rassurante que la relation entre sexualité et viol aux Etats Unis est due à des connotations communes véhiculées rspectivement par chacun de ces mots.
Les méthodes d’investigation introspective basées sur l’analyse conversationnelle doivent permettre l’étude des différentes étapes de la pensée qui mènent à de telles solutions créatives.
Une autre tentative d’accéder aux processus de créativité littéraire est celle qui est menée dans le domaine de la poïétique par des écrivains qui, à travers un dédoublement de leur personnalité, tentent de jeter un regard objectif et scientifique sur leur comportement créateur essayant de saisir ce qui a transformé leur intuition en création artistique.
En effet, si c’est l’intuition créatrice, qui est à l’origine de l’oeuvre d’art, (cf. par exemple le “mécanisme de la mémoire involontaire”; cité par Mavrodin 1994:79, 90, 92 et passim), ce qui en fera une oeuvre d’art, c’est la saisie rationnelle de ce don intuitif par la “ratio”, une opération analytique consciente. La création artistique n’est possible que par la rencontre de deux types de connaissances: la connaissance intuitive, irrationnelle, d’une part, et la connaissance rationnelle, d’autre part (Mavrodin 1994:92). L’homme de génie est celui qui sait tirer profit des éléments que le hasard met à sa disposition, comme nous le dit Paul Valéry (cité d’après Mavrodin 1994:7). Il doit en quelque sorte ‘domestiquer’ par la raison, ce qu’il a saisi intuitivement par l’effet du hasard.
Comment cela se passe-t-il? Comment s’opère cette intégration du hasard dans la création artistique par la saisie rationnelle? Voilà ce que se proposent les chercheurs en poïétique, tels que Irina Mavrodin, qui est également auteur et traducteur de Proust, dont elle examine le processus de création artistique, entre autres dans Mâna care scrie.

A-t-on besoin d’une théorie de la traduction?
Il nous semble avoir montré dans cette étude que, s’il existe d’excellents traducteurs qui n’ont jamais abordé le moindre ouvrage théorique, la réflexion théorique qui s’est développée à la suite des échecs – provisoires ?- de la traduction automatique a néanmoins sérieusement fait avancer les conceptions qu’on pouvait avoir de l’opération traduisante. On peut même se demander si les apories rencontrées dans l’application des conceptions linguistiques à la traduction n’ont pas contribué à l’avancement des recherches en linguistique, l’échec de la traduction automatique illustrant la nécessité d’un dépassement du structuralisme linguistique vers la pragmatique.

Références bibliographiques
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Catford, J.C. (1965): A Linguistic Theory of Translation. An Essay in Applied Linguistics.
London
Fleischmann, Eberhard/Kutz,Wladimir/Schmitt, Peter A. (1997): Translationsdidaktik.
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Garfinkel., H. (1984): “The Origins of the Term Ethnomethodology”, dans:
Ethnomethodology (éd. par Ralph Turner) Jarmondsworth. Trad. Française: “Sur
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Gülich, E. (1990): “Pour une ethnométhodologie linguistique. Description de séqunces
conversationnelles explicatives”, dans  Charolles, M/Fischer, S/Jayez,J. (eds): Le
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Lakoff, George (1987): Women, Fire and Dangerous Things. What Categories Reveal
about the Mind. Chicago: University of Chicago Press.
Lederer, Marianne (1994): La traduction aujourd’hui, Paris: Hachette
Loerscher, Wolfgang (1991): Translation Performance, Translation Process and
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Mavrodin, Irina (1994): Mâna care scrie. Bucuresti:Editura Eminescu
Mavrodin, Irina (19982): Poïetica si Poetica. Craiova: Scrisul Românesc
Mounin, Georges (1963): Les problèmes théoriques de la traduction, Paris:Gallimard
Reiss, Katharina/Vermeer, Hans (1984): Grundlegung einer Translationstheorie,
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Stefanink, B. (1995): "­­L'ethnotraductologie au service d'un enseignement de la traduction centré sur l'apprenant", in Le langage et l'homme, 1995, n 4 (octobre) S. 265 - 293.
Stefanink, Bernd (1997): “’Esprit de finesse’ – ‘Esprit de géométrie’: Das Verhaeltnis
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Steiner, George (1975): After Babel; trad. Dupa Babel (1983), Bucuresti:Editura Univers
Vinay, J.-P./Darbelnet, J. (1958): Stylistique comparée du français et de l’anglais.
Méthode de traduction. Paris: Didier

(1) Cet article a déjà paru dans Le Français dans le Monde, n° 310 (Mai-juin 2000), pp. 23-27
(2) Cf. Neubert 1988
(3) Cf. Stefanink 1999