DICHJARAZIONE UNIVERSALE DI I DIRITTI LINGUISTICHI

LANGUES MINORÉES, VENT DE LIBERTÉ....

DICHJARAZIONE UNIVERSALE DI I DIRITTI LINGUISTICHI

Actes du colloque (5e FESTIVENTU)

CALVI ,23 octobre 1996

(Actes,4e et dernière Partie)

 

J. THIERS. Joseph CASTELLANI, qui va prendre la parole, représente FRANCE 3 Corse et plus particulièrement le journal Noi, qui est devenu tellement le nôtre comme son nom (« Nous ») l'indique, et dont nous avons peine à imaginer qu'il n’a été mis en oeuvre qu’il y a un an et demi. Je ne sais pas si tous les téléspectateurs sont comblés de satisfaction en regardant Noi tous les jours, mais d'un point de vue strictement objectif, l'intervention quotidienne et régulière d'un journal télévisé en langue corse, comme c'est le cas sur les ondes de Radio France depuis 1983 (5), est un événement très important dans cet environnement que nous caractérisons depuis ce matin comme un peu problématique. De manière un peu cynique, on peut dire que lorsqu'interviennent sur des médias du service public des paroles en langues minorées, ce n'est pas innocent. Ce n'est pas strictement politique ni strictement un alibi. Cela veut dire que, d'une certaine manière, cela représente un poids économique. Si FRANCE 3, si le service public fait intervenir cette parole en langue corse de manière si instituée, c'est parce que cela représente bien un enjeu économique. J'ouvrirai par cette remarque, en forme de question, l'intervention de M. CASTELLANI.

 

M. Joseph CASTELLANI - Je sais que vous êtes tous des auditeurs et des téléspectateurs assidus et, comme l'a précisé J.THIERS, je me bornerai seulement au service public. Comme je n'ai jamais su ordonner la charité, je vais commencer par RCFM qui consacre, au cours de la tranche 6h00-9h00, dans différents journaux, environ une demi-heure d'information en langue corse. C'est la tranche la plus écoutée et à ce moment-là, la langue corse est à parité avec la langue française. En ce qui concerne FRANCE 3, deux choses sont à considérer : d'un côté, l'information et de l'autre, la production. En ce qui concerne l'information, il n'y a guère que le 6 minutes, le Noi, que vous connaissez, qui représente le sixième des trente-six minutes d'information quotidienne. Jusque-là tout est clair et simple. L'iceberg est superbe mais il faut aller voir en-dessous. Il y a en effet des équipes de journalistes recrutés comme bilingues, comme corsophones reconnus, aussi bien à RCFM qu'à FRANCE 3. Je me garderai d'oublier qu'à FRANCE 3 il y a aussi, le samedi, une émission d'une demi-heure réalisée par des animateurs, des producteurs qui, s'ils ne correspondent pas je dirais aux objectifs de la carte professionnelle, ont comme nous, aussi bien à RCFM qu'à FRANCE 3, le souci de la langue corse. Pour rejoindre ce que disait J.THIERS, s'exprimer en langue corse, aussi bien sur RCFM qu'à FRANCE 3, n'est pas innocent. C'est une façon profonde de dire qui l'on est et pourquoi l'on est. En revanche, il y a une question que nous nous posons tous et je reviens à la face immergée de l'iceberg. Il y a les journalistes que l'on voit, que l'on entend mais il y aussi le reste du personnel, à savoir les techniciens, les monteurs, les vidéo, les preneurs de son, etc. J'en parle parce que l'université de Corse et M. THIERS en particulier ont mené en ce qui concerne RCFM un programme de formation des personnels qui a parfaitement marché puisque de plus en plus d'animateurs non corsophones accèdent à l'utilisation quotidienne de la langue. Programme que j'espère voir mis en place prochainement à FRANCE 3. Il n'y a donc pas que les journalistes qui utilisent la langue corse, il y a les vidéos, les techniciens, les administratifs. Et nous ne produisons que six minutes qui sont vécues comme insuffisantes aussi bien par nous que par le public. Comme nous n'avons pas encore le pouvoir de décision, nous nous disons que somme toute six minutes ce n'est pas si mal, même elles ne sont pas intégralement en langue corse. Et là je rejoindrai une question que me posait tout à l'heure une téléspectactrice: mieux vaut parfois un interlocuteur corse qui s'exprime en français plutôt qu'un interlocuteur corse qui s'exprime dans un corse pas très... vous voyez ce que je veux dire. Notre souhait, aussi bien à RCFM qu'à FRANCE 3, est de ne pas nouscontenter des tranches horaires dont nous disposons mais d'élargir ce dont nous disposons. Elargir, cela veut dire pouvoir aborder tous les thèmes que l'information suppose. On parlait tout à l'heure de l'économie, on a parlé de la culture en général, on va parler de l'école ; on doit pouvoir avec la langue corse traiter de tout. Mais cela pose un problème fondamental, surtout en ce qui concerne les journalistes. Je prends le cas très particulier de FRANCE 3, cela veut dire premièrement avoir quelqu'un qui possède une carte de journaliste et, deuxièmement, qui soit reconnu comme corsophone. Il faudra bien un jour que l'on en arrive à établir une convention avec l'université pour assurer une formation spécifique en langue corse aux futurs journalistes corsophones. Car s'il est vrai que nous répondons aux besoins du public, nous répondons à un besoin qui nous est propre. C'est ce que l'on pourrait appeler le militantisme de la langue. Mais je crois aussi que le premier objectif auquel nous sommes tous très attachés, est de transmettre la langue telle qu'elle est, même si chaque jour elle change, fait des emprunts, de façon à restituer au public sa langue et faire en sorte qu'il ait accès à toute l'étendue de cette identité.

 

A. ARGEMÍ. - Vous en êtes au stade où nous étions avant, nous les Catalans ; c'est une question que je pose : cette présence du corse dans les médias est-elle plutôt symbolique, c'est-à-dire on regarde comme on parle corse aujourd'hui, et les gens sont déjà satisfaits avec cela ? Ou bien cela crée-t-il la sensation que l'on concède quelque chose mais sans arriver à la normalité, c'est-à-dire on vous donne un peu de pain mais on ne vous donne pas le pain ?

 

J.THIERS. - Pour répondre de manière très précise à la question de Aureli je crois qu'il est important de noter que dans ce créneau quantitativement très réduit, le corse connaît une situation de tremplin depuis des années. Ce qu'il ne trouve pas au plan quantitatif, il le trouve comme sollicitation au plan qualitatif. Mais parce qu'il a fait depuis des années son intervention dans l'espace public, il est sommé de s'actualiser pour dire des choses qu'il n'avait jamais dites. Même si les résultats sont quelquefois l'objet de discussions extrêmement âpres pour savoir si les solutions linguistiques utilisées sont bien conformes à l'esprit de la langue, même si ces débats existent, il n'en reste pas moins qu'au niveau général, la langue corse a connu, parce qu'on l'a plongée dans cette situation, véritablement une accélération, une sollicitation qui est très importante au plan de son histoire et qui la met en situation de se colleter vraiment à la modernité. Cela est un acquis majeur mais il est de l'ordre du symbolique plus que du factuel.

 

J.CASTELLANI. -. Depuis le 17 avril 1995, date de sa création, au niveau de toutes les éditions régionales, donc à identité bien précise, y compris ce que l'on appelle les locales, c'est-à-dire tous les six minutes que l'on fabrique depuis Toulon jusqu'à Rennes, Strasbourg, Bayonne, le journal est en tête au niveau du taux d'écoute, ce que l'on appelle les parts de marché. A lui seul, Noi réalise plus de 70 % de taux d'écoute, ce qui est effarant comparé à l'édition nationale de France 3 qui fait 17 à 25 %. Chose également intéressante, depuis qu'il existe, Noi  fait gagner des téléspectateurs, la réaction du public va croissante et la demande est de plus en plus forte. Six minutes ne suffisent donc plus et cela nous oblige à changer la formule du Noi , en gardant le cadre horaire de six minutes mais en faisant en sorte, premièrement, d'accéder véritablement à ce que l'on appelle l'actualité en termes de métier, et deuxièmement, de permettre aux équipes qui travaillent pour le Noi d'avoir accès à d'autres champs d'expression, d'autres magazines. Cela veut dire qu'à terme, dans les deux ou trois ans qui viennent, la langue corse gagnera du terrain au niveau de toute la production de l'information à FRANCE 3 CORSE. Ce n'est donc pas si symbolique qu'il y paraît.

 

A.ARGEMÍ - C'était une question, pas une affirmation. En Catalogne aujourd'hui, nous avons deux chaînes de télévision totalement en catalan et deux autres chaînes en partie en catalan. Le problème que nous avons maintenant, comme pour toutes les chaînes de télévision, est celui de l'audience. Pour obtenir plus d'audience, cela dépend de la qualité. La qualité est le référent. Si le journal télévisé est meilleur en catalan qu'en espagnol, les gens regarderont le journal en catalan. C'est une question commerciale, une question de mentalité et de façon de présenter les choses. Mais avant, nous étions dans votre situation. Il y a eu la demande, et la demande a poussé à élargir les émission en catalan. Donc je vous félicite parce que c'est un point de départ. Quand une langue arrive à être une langue acceptable, le public et la société l'acceptent comme une langue normale. A tous les niveaux. Et je pense que la Corse, pour ce que je viens d'entendre, est sur le chemin de la normalité. C'est un grand pas.

 

J.CASTELLANI. - Nous avons en commun avec TV3, et avec toutes les autres chaînes de télévision je pense, le souci de la qualité. Il y a un élément d'appréciation que je voudrais porter à votre connaissance, qui est relativement récent puisqu'il date de moins d'un an. Une fois que le Noi a été mis en place, il y a eu des réactions. Nous avons reçu des appels téléphoniques dans un premier temps puis, de plus en plus, du courrier et qui plus est, du courrier en langue corse ! C'est donc notable. Cela va de la critique aux louanges mais ce qui est intéressant, c'est qu'il y a un véritable échange entre le public et la télévision. Et c'est ce qui importe.

 

J.THIERS. - On voit, dans ce secteur comme dans le précédent, que malgré toutes les difficultés qui persistent, une évolution positive se fait, me semble-t-il si j'ai bien compris, de la quantité à la qualité de l'intervention, de la réaction du public. Il nous reste à examiner si le même phénomène est observé concernant le corse à l'école. Pour ce faire, nous allons donner la parole à Germaine DE ZERBI et à Claude PANTALACCI.

 

C.PANTALACCI. - Au risque de paraître provocatrice, je reprendrai ce qui a été dit ce matin : on respecte une minorité pour qu'elle reste minoritaire. En tant qu'enseignants de langue et culture corses, c'est un peu l'impression que nous avons. On peut paraître peu généreux vis-à-vis de l'Etat et la région qui semblent nous combler de leurs bienfaits mais il faut savoir un certain nombre de choses. Les journaux renvoient parfois une image qui n'est pas tout à fait exacte. Depuis la loi DEIXONE, il y a eu indéniablement un développement et une avancée considérables. Mais bien que des postes de professeurs certifiés soient mis au concours par l'Etat, bien que la région accorde des moyens fort généreux aux ateliers de langue corse, il reste des problèmes qui sont peut-être marginaux en apparence mais qui pour nous sont vraiment très importants.

Tout d'abord, il y a des critiques parce que cet argent qui est donné -déversé comme on a pu le lire récemment dans un journal sur la langue corse- nedonne de résultats, ne fabrique pas de corsophones. Cela crée aussi beaucoup d'espoirs car si l'on a des moyens, on va pouvoir développer cette langue que nous avons tellement envie de développer. Malheureusement, lorsque l'on est sur le terrain, on est parfois très désillusionné. Pourquoi ? Parce qu'il y a le problème de l'opinion publique et la manière dont est perçu l'enseignement de la langue corse. On en a parlé ce matin, il y a une grande différence entre la réalité linguistique et la perception, la représentation que les gens se font de leur langue. Lorsqu'on demande aux parents d'inscrire leurs enfants aux cours de corse, leur première question est : "pourquoi faire, à quoi cela va-t-il servir ?" Car malgré tous ces bienfaits de l'Etat et de la région conjugués, nous n'avons en règle générale que des cours optionnels, c'est-à-dire viennent aux cours ceux qui veulent. Vu comme cela, c'est très bien mais les heures de cours affectées au corse sont souvent marginales, aux frontières de la dernière ou de la première heure, parfois entre 12 heures et 14 heures. Ce serait intolérable pour un cours de français ou de mathématiques. Pour le corse, c'est acceptable. A travers tout cela, on se rend compte qu'il est nécessaire de se situer dans des structures très officielles qui donneront à la langue corse un statut véritable, respectable, une dignité qu'elle n'a manifestement pas aujourd'hui. Je pense que la signature de la Charte, si nous réussissons à l'obtenir, la Déclaration Universelle des Droits Linguistiques, seront un appui considérable pour les enseignants de langue et de culture corses.

Reste le problème en direction des enfants. Un enfant passe plusieurs heures par jour devant la télévision. Or, la télévision n'a pas encore les moyens de fournir des heures de spectacles pour enfants en langue corse. Cela serait pourtant le bain linguistique idéal. Les enfants regarderaient la télévision le matin, au petit déjeuner et au lieu de regarder un dessin animé en langue française, ils auraient un dessin animé en langue corse et donc le bain linguistique. On peut espérer que le niveau des médias donnera une production en ce sens mais cela me semble difficile. En tant qu'enseignants -nous sommes maintenant environ 80 professeurs certifiés sur l'académie- nous avons pensé qu'il était utile de créer une association d'enseignants de langue et culture corses. Très souvent le but de ces associations est de défendre les intérêts catégoriels. Dans notre esprit, au moins pour ceux qui étaient présents à la première réunion de création, il s'agissait plutôt de travailler ensemble des objectifs dirigés vers la défense, la promotion, le développement de la langue corse, avec comme but définitif l'enseignement obligatoire. Tant que l'enseignement ne sera pas obligatoire, il y aura une discontinuité dans l'enseignement qui empêchera les enfants de devenir corsophones à l'école. Comme je le disais ce matin avec un peu de véhémence peut-être, l'école me semble indispensable aujourd'hui. Pour des raisons diverses, les parents ne sont plus capables ou n'ont pas envie de faire la démarche de transmettre la langue corse. Il appartient donc à l'école de les remplacer pour que les enfants qui nous sont confiés aujourd'hui puissent un jour transmettre au quotidien la langue corse à leurs enfants qui la continueront à l'école. Alors bien sûr, vu de l'extérieur et selon certaines régions où il y a des enseignants en langues minoritaires, nous faisons presque figure de privilégiés. Récemment, un enseignant d'occitan m'a dit : "Vous avez tout ça et vous vous plaignez !" Oui, nous nous plaignons parce que justement nous sommes minoritaires. On nous respecte mais nous restons minoritaires. C'est sans doute cela qui nous gêne le plus. Il y aurait certainement des aménagements à faire, simplement avec les textes. Et l'un des buts de l'association, dans l'état actuel des choses, est d'obtenir au moins la stricte application des textes. Car selon l'établissement et le chef d'établissement, on interprète. Les textes sont certes faits pour être interprétés, spécialement en France ; si le proviseur ou le directeur de collège est favorable à l'enseignement de la langue corse, la vie de l'enseignant dans son établissement en est complètement changée. A l'inverse, cela peut être l'enfer. Un professeur de corse est soit un professeur gadget, soit un professeur comme un autre.

Voilà ce que je voulais dire. Germaine DE ZERBI va maintenant vous détailler l'état des lieux qui n'est pas catastrophique mais qui n'est pas, à mon avis, très brillant.

 

G.DE ZERBI. - Je ne vais pas trop détailler, ce serait fastidieux, je vais simplement apporter quelques éclairages complémentaires. Claude PANTALACCI a mentionné la loi DEIXONE qui, en France continentale, hexagonale, remonte aux années 1950-1952. En Corse, c'est vingt ans après. Et nous avons dû nous battre pour que la langue corse bénéficie dans les années 1972 de la loi DEIXONE dont elle avait été exclue avec d'autres langues régionales de France. Donc vingt ans de retard par rapport à la loi DEIXONE hexagonale. Nous sommes en 1996, quels sont les résultats vingt après ? Eh bien, si l'on considère les mannes financières de l'Assemblée, les ateliers de langue corse sont effectivement richement pourvus et dotés de matériel informatique, etc. Mais notre problème ne vient pas de là. Il nous manque deux choses. Tout d'abord, malgré les efforts qui ont été faits, il nous manque encore des méthodes d'apprentissage, des manuels. Situons-nous sur le plan du corse en tant que langue étrangère, puisque c'est toujours ainsi qu'il a été considéré par l'Education nationale ; LVE2, LVE3, c'est une langue étrangère. Par rapport à la pléthore de livres qui existent en italien, anglais ou en espagnol, il nous manque le matériel véritable pour apprendre les bases progressivement et efficacement aux enfants. Les matériels audiovisuels sont encore suffisants et trop succincts. Il y a certes des mannes financières au niveau du matériel et le nombre de professeurs certifiés est tout à fait satisfaisant. Depuis la création du CAPES, il y a chaque année une promotion importante de candidats reçus, mais le problème maintenant se situe au niveau du nombre d'élèves. Et là, il y a deux choses : il y a la prise de conscience du peuple corse qui n'est pas encore suffisamment forte pour qu'un nombre assez important d'enfants suivent les cours et pour que la langue corse ne continue pas à péricliter. Et il y a l'Etat qui n'assume pas ses devoirs vis-à-vis d'un peuple comme le nôtre qui a perdu la conscience et la nécessité de parler corse. Les enfants peuvent apprendre le corse mais les familles, elles ne sont pas au courant ou ne sont pas convaincues de la nécessité d'apprendre la langue. Comme l'a dit Claude PANTALACCI, "cela sert à quoi ?" Effectivement cela sert à quoi le corse ? Cela sera l'objet d'un débat gigantesque, peut-être avez-vous ce matin déjà mentionné ce genre de question : comment faire pour qu'il y ait une prise de conscience plus grande et comment faire pour que l'Etat assume ses devoirs ? Ce sont les deux grandes questions.

Rapidement, l'état des lieux : à l'école primaire, la situation est nettement insuffisante parce que les instituteurs ne sont pas tenus de faire du corse. C'est présenté d'une façon me semble-t-il trompeuse, car l'Etat, l'Education nationale sont tenus de répondre à la demande de toute famille qui demande que son enfant fasse du corse. Or, c'est faux. lls ne répondent pas à la demande. Et ce n'est pas assuré pour plusieurs raisons : l'instituteur ne parle pas le corse ou s'il sait le parler, il n'est pas formé ou n'a pas envie et rien ne l'y oblige. Par conséquent, à l'école primaire où les bases devraient être assurées, l'enseignement du corse ne se fait pas. Quand l'enfant arrive en sixième, au collège, la demande est très importante. Depuis quelques années, il y a des progrès. Mais dans la mesure où le corse est une langue optionnelle, les enfants l'apprennent pendant deux ans, et quand ils passent en quatrième où ils doivent choisir une seconde langue vivante étrangère, le corse étant en concurrence avec l'anglais, l'italien, l'espagnol, etc, il disparaît, et les effectifs chutent. On passe de classes de sixième où il y a des centaines d'enfants, trente élèves par classe, deux ou trois classes par collège, soit 80 %, à des classes de quatrième où il n'y a plus que 5 % d'élèves parce qu'ils apprennent une seconde langue étrangère. On comprend les familles mais c'est un cercle vicieux. Le corse n'a pas à être une langue étrangère. Au lycée, c'est la même chose, nous en récupérons très peu. Le point positif, c'est que commençant à avoir un âge plus que canonique, je peux comparer avec la situation d'il y a trente ou quarante ans lorsque le corse n'existait pas. Il y a donc un progrès notable mais avec 5 %, on ne sauve pas une langue, c'est insuffisant. On en revient alors au débat : l'obligation sauvera-t-elle la langue ? On me dit de tous côtés que s'il y a bien une chose qui ne la sauvera pas, c'est l'obligation parce qu'elle deviendra un vrai repoussoir et plus personne n'en voudra. Donc tout sauf l'obligation. Alain DI MEGLIO (6) avait complété en disant que peut-être l'obligation ne sauverait pas la langue corse, mais ce dont nous sommes sûrs, c'est que si elle n'est pas obligatoire elle mourra très rapidement et inévitablement.

Des parents qui sont en faveur de la langue corse, des amis, des militants n'ont pas mis leurs enfants en classe de corse parce qu'ils pensent que le corse, on l'apprend de toute façon, cela entre tout seul, et ce n'est pas la peine de faire des efforts et d'alourdir encore des horaires qui sont déjà lourds. Pour eux, c'est acquis, cela se fait tout seul. Le corse est sauvé, ce n'est pas la peine de bouger ni d'en faire en classe.

 

J.THIERS. - Pour traduire cette situation en termes plus généraux, je crois que ce sont les conditions de maintien, de survie et de perpétuation d'une langue qui ont changé. Et les gens ne sont pas avisés, informés par une éducation linguistique adaptée des conditions de survie et de promotion d'une langue. Il est vrai qu'autrefois, dans une société où les instruments, les canaux de diffusion de la langue étaient ceux de la proximité, l'intervention de la puissance publique était peut-être moins nécessaire, moins indispensable puisqu'il s'agissait seulement de préserver l'assise traditionnelle de la langue. Aujourd'hui, dans la mesure où les communautés n'existent plus en tant que telles mais se sont fondues dans des modes de vie, dans des structures qui sont ceux d'une société ouverte et moderne, il est bien évident que les responsabilités sont en partie déplacées. C'est pourquoi les gens qui ont véritablement à gérer la situation de la langue sur le terrain, qu'il s'agisse de l'édition, des médias ou de l'école, se tournent vers la puissance publique, non pas vers l'intercesseur qui apportera toutes les solutions, mais vers celui qui apportera les conditions minimales de la survie de la langue. La promotion, l'épanouissement, et finalement ce qu'il peut y avoir de positif et de gratifiant dans une langue, n'est pas de l'ordre de l'intervention je dirais générale ; elle est de l'ordre de la qualité que chacun des enseignants peut apporter dans son enseignement et du rapport que l'écrivain peut avoir avec sa langue dès lors qu'il a le sentiment d'écrire quelque chose de fort dans sa langue qu'il ne pourrait pas dire dans une autre langue. La qualité, c'est aussi la manière dont un journaliste, un producteur d'une émission d'animation, soigne sa prestation. Mais cette qualité, quels que soient les progrès accomplis depuis une vingtaine d'années, ne peut pas s'exercer utilement, ni obtenir des résultats significatifs et véritablement lisibles si n'intervient pas ce moyen exponentiel qu'offrent  la puissance publique et l'intervention généralisée du corse dans l'espace public. Je crois que l'enjeu est là et, d'une certaine manière l'alternative. Comprenons-nous bien, je crois que Claude PANTALACCI et Germaine DE ZERBI ne militent pas pour quelques heures de corse supplémentaires ou pour que monsieur Untel, principal du collège X, accepte de placer le corse dans un créneau horaire plus favorable. Cela est bien sûr significatif pour un enseignant qui connaît bien la situation du corse dans les établissements mais là n'est pas le fond du problème. La sauvegarde et la promotion d'une langue minorée ne peut pas être une affaire de moyens supplémentaires. Aureli ARGEMÍ nous expliquait ce matin la situation de l'Irlande, ce n'est pas l'obligation du gaélique qui sauve le gaélique. Mais, nous le disions tout à l'heure aussi, le caractère outrageusement facultatif du corse le condamne à la périphérie d'abord et au déclin demain. Nous sommes conscients des processus qui sont engagés. Il s'agit donc, non pas de transférer la responsabilité du peuple corse et de la faire endosser à la structure de l'Etat mais, dans une intervention citoyenne, de faire en sorte que l'Etat et plus généralement les institutions supranationales, répondent à la nécessité de mettre en place pour les langues minorées un cadre véritablement viable. C'est cela qui est en jeu. Les acteurs des langues minorées sur le terrain ne détiennent pas les clefs de l'avenir.

 

C.PANTALACCI. - Je voudrais signaler, pour l'exemple, des choses qui ne se savent pas. J'estime que l'opinion publique a le droit de savoir. Le moindre cours dans un collège ou dans un lycée dépend d'un emploi du temps parfaitement établi et remis aux professeurs le jour de la rentrée. Or, dans au moins deux établissements que je ne citerai pas, le professeur de corse à la rentrée n'a pas son emploi du temps et n'a pas ses élèves. Et cela semble tout à fait normal. Depuis cinq ans j'enseigne le corse dans un lycée ; chaque année, à la rentrée, j'ai mon emploi du temps parce que j'ai de la chance, mais je n'ai pas d'élèves. C'est-à-dire qu'il m'appartient d'aller faire "la danse du ventre" dans les classes pour attirer les élèves à mon cours, en leur expliquant que c'est intéressant, qu'ils vont apprendre des choses sur leur pays, son histoire, ses traditions, etc, j'essaie de ne pas trop parler de la langue pour ne pas les effrayer. Et c'est seulement quand je les ai capturés, parce qu'il n'y a pas d'autres mots, quand je les ai attirés en leur parlant de l'histoire, des traditions, que j'embraye sur les cours de corse. C'est inadmissible! Le professeur de musique dans le même établissement a son emploi du temps, le professeur de dessin a son emploi du temps, sa liste d'élèves, le professeur de corse non. On ne cesse de nous reprocher de ne pas fabriquer de corsophones, encore faudrait-il nous en donner les moyens... On nous met aussi dans une situation de concurrence insupportable avec d’autres options et avec l’étude du latin que l’on voudrait substituer complètement au corse, alors que l’étude de ces deux langues est d’un intérêt culturel indéniable pour une situation de la Romania...

 

J.THIERS. - Puisqu’il n’y a pas d'autres questions ou réactions, je dirais comment j'ai commencé à militer pour le corse. C'était précisément à l'occasion d'un cours de latin. Dans les années 1970, j'avais été chargé par l'inspecteur pédagogique régional de cours de recyclage à l’intention des professeurs de collège pour l'initiation au latin en cinquième. Au lycée de Bastia, j'avais organisé une grande séance où je présentais les bases de la latinité linguistique à un ensemble de collègues qui n'avaient jamais étudié le latin et se trouvaient en situation de devoir en enseigner les rudiments à la rentrée d'octobre suivant. Je me rappelle avoir écrit au tableau "agricola capram curat ", "l'agriculteur soigne la chèvre" (c’était correct grammaticalement, inexact culturellement !. Un collègue s'est alors levé dans la salle et a dit « Ma allora, hè a capra cum’è in corsu ! » ("Mais alors, c'est « a capra » comme en corse !") Et pour moi, cela a été un déclic. C'est vraiment anecdotique mais j'ai alors compris ce qu'étaient véritablement les vertus d'une langue enfouie. Le problème aujourd'hui, c'est qu'il existe de moins en moins une langue enfouie. Il faut donc que la structure publique, qu'il s'agisse de l'éducation, des médias, ou tout simplement de l'institution politique, prenne en main ce besoin. Car il s'agit bien d'un besoin, même si la demande est fluctuante. Il faut donc que ce besoin soit traité comme un véritable besoin, un besoin éducatif, un besoin social, un besoin public, et qu'il soit géré. Si ce n'est pas fait, les germes du conflit n'en seront pas pour autant supprimés. Nous savons très bien que dans les situations que nous vivons, dans les situations minorées, les minoritaires sont d'autant plus attachés à poursuivre leur conflit qu'ils sont moins assurés de posséder leur patrimoine. Je veux dire que, même dans une vision de stricte économie, il est de l'intérêt public, de l'intérêt de la structure politique, de donner droit à cette demande.

Je crois que désormais, avec des textes d'intérêt général, qui dépassent précisément les politiques nationales, comme la Charte Européenne pour la Défense et la Promotion des langues minorées, avec aujourd'hui un texte cadre comme la Déclaration universelle des droits

linguistiques, tous les instruments au niveau général existent pour doter d'un véritable statut les langues minorées là où elles connaissent actuellement leurs difficultés. En conclusion de ce séminaire du Festiventu, il me faut encore remercier les participants à cette journée, les participants actifs du côté de la tribune et ceux qui ont bien voulu apporter leur intérêt à nos travaux, et vous donner rendez-vous peut-être à une autre édition du Festiventu l'année prochaine. Mais peut-être y aura-t-il entre-temps d'autres initiatives, peut-être organisées par l'Association des professeurs de langue et de culture corses, par les médias ou par le secteur de l'économie, de l'édition, au cours desquelles nous aurions l'occasion d'approfondir ces différentes questions qui ont été aujourd'hui seulement effleurées.

Merci à tous.

La séance est levée à 17 heures.

 

(1) CIEMEN, 242 bis Rocafort, 08029-BARCELONA. Tél. 003433443800  Fax. 003433443809

(2) Allusion à « Chanter, parler, fêter la Corse », deux journées organisées à La Mutualité et à Bercy en janvier 1996 par le « Collectif pour Bercy ». Le groupe I Muvrini y a remporté un grand succès. Cf. sur l’ensemble 7A l’asgiu n°4.

(3) Depuis 1976 l’ADECEC (adresse : 20221.CERVIONI) organise une journée annuelle de la langue corse.

(4) Anthologie du chant corse.

(5) Noi est diffusé le soir (6 minutes) ; quant à RCFM, station régionale de Radio-France, elle diffuse tous les matins et à plusieurs reprises un journal en langue corse, véritable laboratoire et observatoire de la parole médiatique corse.

(6) Alain DI MEGLIO est professeur certifié de corse et chargé de cours à l’Université de Corse