DICHJARAZIONE UNIVERSALE DI I DIRITTI LINGUISTICHI

LANGUES MINORÉES, VENT DE LIBERTÉ....

DICHJARAZIONE UNIVERSALE DI I DIRITTI LINGUISTICHI

Actes du colloque (5e FESTIVENTU)

CALVI ,23 octobre 1996

(Actes,3e Partie)

 

23 ctobre 15 heures, reprise des travaux

 

J THIERS. -Nous pouvons reprendre nos travaux tels qu'ils ont été prévus pour cette journée de colloque "Langues minorées, vent de liberté". Je rappelle que nous avons consacré la matinée à un balayage assez large de la problématique avec essentiellement le besoin et la demande de protection, de promotion, de langues minorées en Corse sous l'éclairage de la Déclaration Universelle des Droits Linguistiques que M. Aureli ARGEMÍ, notre invité et secrétaire général du CIEMEN, nous a présentée à grands traits. Il reste encore quelques exemplaires de ce texte; de toute manière, le CIEMEN les mettra à votre disposition si vous en faites la demande. Je rappelle également que la Déclaration Universelle des Droits Linguistiques sera présentée demain au siège de l'UNESCO à Paris. Il y a donc une concomitance qui honore particulièrement notre colloque puisque l'un des artisans de ce texte a accepté de se trouver ici. Il faut le remercier pour l'honneur qu'il nous fait.

 

L'après-midi est donc consacré à un examen plus sectoriel de la question des langues minorées telle qu'elle se présente en Corse. Nous avons identifié trois secteurs qui nous paraissent importants pour le présent et l'avenir de la langue corse :

- l'économie, envisagée à partir de l'édition. Le thème sera traité par M. Guy FIRROLONI, directeur des Editions ALBIANA ;

- l'école qui cristallise bien des attentes, bien des espoirs et aussi des désillusions. Le thème sera présenté par Claude PANTALACCI et Germaine de ZERBI, administrateurs de l'Association des professeurs de langue et culture corses ;

- les médias du service public, avec Joseph CASTELLANI, rédacteur en chef du journal Noi à FRANCE 3 Corse, un journal emblématique entièrement en langue corse.

La forme que nous avons envisagée est celle d'une présentation du thème en dix minutes environ, et ensuite discussion et échange avec la salle. Je cède la parole au premier intervenant.

 

G. FIRROLONI. - Mon expérience dans le domaine de l'édition remonte à quelques années déjà. Traiter de l'économie de l'édition n'est pas chose aisée. Je partirai de l'idée qu'a exposée Jacques THIERS ce matin concernant la distinction entre « besoin » et « demande ».

Si le besoin exprimé, ressenti, a bien la dimension qui a été exposée ce matin, la demande par contre est relativement restreinte. Quand on parle de l'édition en corse, peut-on y introduire la notion d'économie au sens où on l'entend habituellement ? Quand on parle d'économie, on dit qu'il y a un marché, une réponse à ce marché ou la tentation de créer ce marché. Si l'on en reste au niveau du marché et de la réponse à ce marché, avec une petite calculette, voire les doigts de la main, la réponse est extrêmement simple en considérant que le bassin de lectorat potentiel de toute oeuvre écrite et publiée en langue corse est extrêmement restreint. Il est potentiellement de 250.000 à 300.000 personnes, si l'on prend les Corses de l'extérieur et, si l'on peut dire, les autres publics qui s'intéressent à la production insulaire. Ce bassin de lectorat est allé en se réduisant depuis un certain nombre d'années, peut-être parce que son adéquation avec le besoin ressenti, notamment dans les années 1970 et le début des années 1980, faisait qu'une publication en langue corse ou se rapportant à la question corse, trouvait assez facilement un public, même si celui-ci était évidemment limité. Depuis un certain nombre d'années, on assiste donc de façon régulière à une baisse sensible de cette demande, de cet espace de clients.

Par conséquent, si l'on a de prime abord un raisonnement économique, en considérant qu'il y a un plus et un moins, il est évident que la littérature, la poésie, tout ce qui relève de l'expression corse a un sérieux souci à se faire. De ce point de vue économique on peut considérer que cela a très peu de sens. Je parle de l'édition papier, je n'en dirais pas autant de l'édition musicale dont il faut aussi parler et qui, pour des raisons complètement différentes, est peut-être plus adaptée à la réponse à ce besoin dont on parlait ce matin. Peut-être aussi qu'au niveau national, voire international, la méthode de diffusion du produit est plus adaptée à un système économique qui est en mesure de recevoir ce genre de choses. Aujourd'hui, il est donc de tradition de dire que les groupes corses -je pense en particulier à I Muvrini, A Filetta mais également à tous les autres qu’on ne peut énumérer ici- se vendent très bien, en termes économiques !, et sont très présents. Il y a à cela différentes raisons qui ne sont pas dans mon propos mais que chacun d'entre nous a pu identifier, notamment cette forte demande de l'identité, du spécifique, du différent, voire de l'économique par certains côtés. On a pu voir ainsi au mois de février dernier à Bercy une magnifique opération commerciale où tous les ingrédients du marketing étaient réunis pour proposer quelque chose d'assez construit (2). De ce point de vue, cela a été exemplaire.

Pour en revenir à l'édition papier, on peut donc considérer que cela n'est pas aujourd'hui, au sens de la calculette et de mon expérience, une opération économiquement viable. C'est même tout le contraire. Dans un bilan comptable d'éditeur, lorsqu'on identifie les productions en langue corse, elles ne vont pas dans la colonne "produits vendus", créateurs de chiffre d'affaires, mais dans la colonne « marketing, image de marque, communication », de façon à pouvoir financièrement amortir l'opération dans l'année comptable de référence. Vous voyez donc le décalage qui existe simplement parce qu'il n'y a pas aujourd'hui un bassin de lectorat en motivation, en demande suffisante pour que la chose soit possible.

C'est une vision qui, encore une fois, relève de la simple utilisation d'une machine à calculer, froidement comptable. Alors est-ce simplement cela l'économie ?

A mon sens, l'économie, ce n'est pas cela. Tout d'abord parce que les acteurs qui ont une fonction économique dans une région déterminée, vivent aussi dans cette région, vivent avec les espoirs, les projets, avec les initiatives conçus dans cette région. Par ailleurs, il en va de l'économie comme du reste, les choses se placent très souvent en termes de pari. Peut-on imaginer aujourd'hui être éditeur dans une région comme la Corse sans par définition s'intéresser à l'espace que représente la langue corse quand on sait la valeur et l'importance que cela représente à nos yeux. Cela a été suffisamment dit ce matin. Je serais donc tenté de dire qu'il est nécessaire, quand on est éditeur en langue corse, d'aller vers ce genre de productions. Pour autant, il y a immédiatement un danger qui, à mon sens, est très réel, c'est celui de l'édition "alibi" consistant à dire : "Je suis éditeur en Corse je dois donc nécessairement produire en langue corse parce que de façon marginale cela donnera une image à ma maison et après tout cela fait du bien." Je crois qu'il faut dépasser cette situation en considérant d'une part qu'il y a en matière économique des publics à créer, et donc des investissements à faire. Si nous traversons actuellement une période difficile et ce n'est pas seulement le cas de l'édition mais de nombreuses formes d'expression -c'est le cas aussi de ce que l'on appelle notre réalité politique-, j'ai la conviction profonde que c'est quelque chose de passager en soi et qu'il est nécessaire de s'engager dans un processus beaucoup plus créatif visant à terme à créer les conditions de l'existence d'un marché qui ne permettra jamais aux gens de s'enrichir, mais qui permettra qu'une véritable vie s'installe de ce point de vue. C'est pour cette raison que dans le domaine de l'édition, il faut donner aussi un sens à l'action que l'on mène et y introduire un facteur temps sans lequel aucune construction n'est possible, surtout en matière d'économie. Aujourd'hui, dans le domaine économique, on pense systématiquement "produit fini à rentabilité immédiate", "vision à court terme", "construction d'un projet dans des délais relativement brefs". Pour ma part, je crois que nous avons dans notre particularité, notre spécificité, bien des choses à construire, y compris dans ce domaine, d'autant que les besoins tels qu'on a pu les identifier ce matin, existent réellement. L'expression de ce besoin, provisoirement enfouie, viendra, à condition que demain, par l'action que l'on peut mener sur d'autres terrains et l'action de l'édition y participe aussi, on soit capable d'imposer une démarche sur le plan politique, notamment au niveau de l'enseignement de la langue. C'est quelque chose de déterminant. Nous parlions ce matin assez longuement de l'étendue du chantier ; eh bien, la situation de l'édition, qui est un support, un véhicule, passera aussi par le travail que l'on fera, par la prise de conscience politique d'une communauté de la nécessité d'installer demain l'enseignement obligatoire du corse, à la portée de tous, de la maternelle à l'université, par une politique de diffusion beaucoup plus dynamique et organisée. De ce point de vue, des tentatives se mettent en place au niveau de l'Association des éditeurs de la Corse dont le travail est certes embryonnaire mais prometteur dans ce domaine. Il y a aussi toute une série d'actions dans un cadre politique identifié mais qui réclament la vigilance et l'intervention de chacun. Car là aussi, il faut se méfier des attitudes "alibi" qui consisteraient à mettre en place deux ou trois classes bilingues pour dire : "Regardez, je vous ai donné quelque chose". Il faut une politique d'ensemble. Cela me paraît aujourd'hui évident si l'on veut que derrière l'édition joue son rôle et constitue ces supports indispensables pour véhiculer le plus d'expression possible. Quand je parle de l'édition, c'est au sens large du terme, que ce soit l'édition papier, des formules très audiovisuelles ou bien demain lnternet et autres. L'ensemble des supports qui peuvent servir de véhicules à cette structure doivent être considérés. Mais cela n'a de sens que dans le cadre d'une politique globale. Et si à terme cette politique globale ne se met pas en chantier, il en ira de l'édition comme du reste. Nous parlions ce matin de la sauvegarde de la langue, ce sera la même chose.

C'est fondamentalement la question qu'il nous faut résoudre si nous voulons aller vers une activité économique significative dans le domaine de l'édition d'une manière générale. Cela entrera dans le cadre d'une politique beaucoup plus globale. Voilà ce que je peux vous dire sous l'angle d'un professionnel de l'édition.

 

J.THIERS. - Merci à Guy FIRROLONI d'avoir replacé la langue minorée au centre de nos préoccupations dans un secteur pour ainsi dire métaphorique de cette volonté de voir la langue regagner un lieu qu'elle n'aurait jamais dû abandonner, celui du centre de la vie elle-même.

Y a-t-il des questions ou des réactions à cette première intervention ?

 

M. Laurent LEMOINE. - L'édition est-elle déficitaire au niveau de la production en langue corse ? Y a-t-il un intérêt plus grand pour la culture corse, l'histoire de la Corse en langue française ?

 

G.FIRROLONI. - Oui, nécessairement. L'édition corse est confrontée à plusieurs problèmes dont le premier est celui du bassin de lectorat, de 250.000 personnes environ. J'ai publié à la fin de l'année dernière un livre intitulé Vendetta et banditisme en Corse au 19e siècle, une thèse écrite par un Anglais, Stephen WILSON. Ce document a reçu un accueil intéressant du public mais sa diffusion a été extrêmement marginale sur le continent parce que le système de diffusion de la production livresque suit en France des canaux très particuliers où l'on privilégie des productions entrant dans un cadre précis. Si demain vous publiez un album des aventures d'Astérix, deux ou trois millions d'exemplaires seront mis en librairie très vite. Dans les circuits de distribution de l'édition française aujourd'hui, on sait traiter les produits de cette nature mais pas les productions ayant un caractère très spécifique comme le livre que je viens de citer, sauf bien sûr dans les librairies spécialisées.

Par ailleurs, le livre de Pierre POGGIOLI, par exemple, Le journal de bord d'un nationaliste s'est vendu à 7.000 exemplaires dont 6.200 en Corse.

 

L.LEMOINE. - Mais on le trouvait à la FNAC. Il avait réussi à s'engouffrer dans un créneau.

 

G.FIRROLONI. - Lorsque j'ai publié le livre d'Ange CASTA, La parabole corse", on le trouvait aussi à la FNAC. Le livre de Pierre POGGIOLI a été en effet largement médiatisé. L'attention des médias est capitale dans ce domaine. Il y a eu un grand papier dans le Monde. Pourtant le rapport a été de 6.200 exemplaires en Corse et 800 exemplaires sur le continent. Quand on parle de l'édition corse, se pose donc toujours le problème du bassin de lectorat. Pour autant, l'édition de produits en langue corse ou se rapportant à la Corse faite par des éditeurs continentaux, existe depuis un certain nombre d'années et est quand même importante. Mais elle n'est pas à l'abri des mouvements, de la situation économique du pays, et elle l'est d'autant moins, à l'image de l'édition française, que c'est un secteur extrêmement sensible. En situation de morosité, d'une façon générale, si la consommation de viande diminue de 0,4 %, la consommation du livre va diminuer de 20 à 25 % sur un secteur. Parce que là aussi, il faut bien différencier ; entre la collection Harlequin et la dernière thèse publiée au PUF, cela n'a strictement rien à voir, mais quand on parle de statistiques dans ce domaine, on englobe tout. Il faut donc être prudent sur ce point.

Pour en revenir à votre question et terminer, l'édition corse n'est pas en situation euphorique pour deux raisons à mon avis. Premièrement, la situation générale de l'édition n'est pas tellement favorable. Deuxièmement, il y a chez nous un certain abandon de la part du public. Quand on publiait un livre au début des années 1980, dès lors qu'il s'agissait d'un livre se rapportant à la Corse, tout le monde l'achetait parce que c'était quasiment un acte militant. Il y avait une situation, un environnement qui répondait de façon très rapide. Aujourd'hui, il y a, dans l'édition comme ailleurs, une certaine distanciation. Et c'est un réel problème. C'est d'autant plus un problème qu'il faut le considérer dans le temps, dans une configuration, dans un contexte. D'où la nécessité de l'action, la nécessité d'intervenir de façon décisive dans ce domaine et d'être extrêmement dynamique. Quand on est au milieu de la mer, il faut nager. On parle de péril au niveau de la langue, d'un certain nombre de périls qui se sont installés ; je crois qu'il est utile aujourd'hui d'avoir conscience de cet ensemble de paramètres. Un second souffle est nécessaire. Autrement, nous ne nous en sortirons pas.

 

Mme Germaine de ZERBI. - Au risque d'anticiper sur le thème qui nous est dévolu je voudrais dire un mot des rapports de l'édition et de l'école. S'il n'y a pas de lectorat corse, quelles en sont les raisons ? Je ne reviendrai pas sur l'esprit de nos bienheureuses réunions de l'ADECEC (3) où notre regretté Antoine VEUVET terminait ses interventions par la conclusion "la langue obligatoire", mais s'il n'y a pas de lectorat en Corse, y a-t-il un lectorat en français ? Il y a quelques années, le Nouvel Observateur avait publié un article incendiaire sur la Corse et les Corses qui ne lisent pas. Les Corses lisent-ils en français moins que les gens de l'Hexagone ? Il semblerait que oui ; et s'il n'y pas de lecteurs en Corse, on ne peut pas brûler les étapes. Il y a cinquante ou soixante ans, dans l'entre-deux-guerres, les gens parlaient encore le corse. Tout le monde ne savait pas le lire mais il y avait dans chaque maison, dans chaque communauté, une ou deux personnes qui faisaient la lecture publique. Tout le monde ne pouvait pas lire le corse mais pouvait y accéder de cette manière. Aujourd'hui, avant d'arriver à une édition possible et un lectorat important en Corse, il faudrait commencer par renforcer la connaissance de l'oralité du corse. J'ai publié il y a quinze ans le Cantu Nustrale (4) qui était entièrement en langue corse et qui avait connu un succès foudroyant. Quinze ans après, quand nous avons voulu rééditer cet ouvrage dans une édition revue et corrigée et considérablement augmentée, l'éditeur nous a dit : "il faut faire une édition bilingue". En quinze ans, les choses n'ont donc pas avancé et s'il n'y a pas l'appui du bilinguisme, l'appui du français, le corse ne peut plus se lire.

 

G.FIRROLONI. - G.DE ZERBI pose la question "Y a-t-il un lectorat en Corse, même d'expression française ?" Je crois qu'il faut tordre le cou à un cliché que l'on entend souvent, selon lequel peu de gens lisent ici. Je suis assez sceptique quant à cette affirmation, j'en veux pour preuve un élément intéressant : le fonctionnement d'une Bibliothèque pour tous. A Aiacciu, la bibliothèque compte environ 600 adhérents, donc des gens qui viennent régulièrement. La bibliothèque de Corti, qui a une antenne à Sartè, connaît une demande assez conséquente et fonctionne très bien. Je n'ai pas de statistiques véritablement significatives mais je crois que les librairies de même type que celles qui existent en Corse, à situation égale, dans des villes de même nature, de même structure, sont, en termes de chiffres d'affaires, dans des situations sensibles. Par conséquent, je pense qu'il faut tordre le cou à cette affirmation. Je pencherai même pour penser le contraire. D'autre part, sous l'angle professionnel, personne ne nie que depuis quelques années le soufflé est un peu retombé parce qu'on a changé de situation. Pour autant la nécessité de faire un certain nombre de choses se manifeste clairement. De ce point de vue, l'expérience de la Catalogne serait sans doute éclairante mais à mon avis, nous détenons un ensemble d'éléments qui nous permettrait de dire : "Voilà ce qu'il faudrait faire". Je parlais tout à l'heure de la diffusion du livre et d'informations ; il existe par exemple une tentative pour faire un trimestriel, un véritable organe dont chacun s'accorde à dire qu'il manquait. C'est le cas aussi du travail que je fais, que veut faire la télévision, que veut faire la radio. La diffusion de la langue corse et l'intérêt pour la production en langue corse ne se développera pas par hasard, ce ne sera pas un phénomène spontané. Cela ne viendra qu'à partir du moment où nous aurons véritablement une attitude dynamique, dans une politique globale, générale, qui va des institutions jusqu'aux militants de base. C'est la condition nécessaire. Alors cela doit-il passer par la publication sous une forme bilingue ? Je pense que nous aurons plus d'indications ; pour l'instant, il y a des tentatives, rien n'est exclu. On peut tout imaginer, on peut tâtonner dans différentes voies, nous trouverons bien la solution. Est-ce que ce sera le bilinguisme ou autres, je ne sais pas. Mais à l'expérience et en regardant ce qu'ont fait les autres, nous devrions pouvoir nous en sortir.

 

A.ARGEMÍ. - Il est difficile de répondre à la question parce qu'il y a, à mon avis, un contexte très différent. La Corse est une communauté linguistique très restreinte alors que la Catalogne représente potentiellement un marché de 8 millions de lecteurs. Il y a donc une différence importante ; cependant les phénomènes à mon avis se ressemblent beaucoup. Tout d'abord, le public catalan, jusque dans les années 1970, ne lisait pas en catalan parce qu'il ne connaissait pas la langue écrite. Mais il ne lisait pas non plus beaucoup en espagnol. Ce n'est pas un peuple de lecteurs. Prenons le cas de l'Islande que l'on peut comparer à la Corse au point de vue du nombre d'habitants. Dans la seule capitale islandaise, on édite sept journaux et on les vend ! Cela veut dire qu'il y a un public énorme de lecteurs et qu'il y a un marché puisque l'édition de livres était déjà relativement importante. Alors en Corse, probablement que les lecteurs soit ignorent la langue écrite, soit n'ont pas envie de lire en corse. Peut-être aussi n'ont-ils pas l'habitude, ne sont-ils pas portés à lire. Ensuite, l'édition d'un livre coûte très cher parce qu'il doit être traduit. En Catalogne, même s'il y a un potentiel de huit ou dix millions de lecteurs, l'offre de livres, c'est-à-dire le nombre de titres en catalan, est importante. On édite plus de dix livres par jour, en comptant le samedi et le dimanche. Chaque année, 4.000 titres nouveaux sont publiés et il y a en plus des rééditions. L'offre est donc énorme mais le problème, ce sont les lecteurs. Y a-t-il assez de lecteurs pour cette offre énorme ? L'édition doit être une édition réduite du point de vue du nombre d'exemplaires.

Il y a aussi une chose, et je pense qu'ici on peut rejoindre la politique linguistique du gouvernement en Corse, c'est que l'édition catalane a une aide officielle. Quelqu'un écrit un livre, automatiquement l'institution achète au moins 300 exemplaires pour les répartir dans les bibliothèques publiques de la Catalogne. Le coût du livre est donc plus bas parce qu'il y a une subvention. Mais on considère cela comme provisoire, c'est-à-dire à l'avenir le public catalan augmentera et sera capable de lire la production catalane de tous les jours. Nous avons d'autres problèmes. Par exemple, il y a aujourd'hui en Catalogne quatre journaux quotidiens en catalan. Or, le journal catalan qui a le plus de diffusion du point de vue national atteint seulement 60.000 exemplaires. On a pourtant donné beaucoup de subventions pour faire un journal normal. Pourquoi la réponse n'est-elle pas à la hauteur de l'offre ? C'est peut-être le contenu, peut-être le manque d'habitude du lecteur catalan. Il y a aussi un changement de mentalité à faire. Depuis quinze ans maintenant de politique linguistique favorable au catalan, on n'a pas encore réussi à changer les habitudes. Je pense que vous avez le même problème, c'est-à-dire que le lecteur corse potentiel est plutôt porté à lire en français qu'en corse. L'édition doit donc être réduite parce que cela coûte très cher et peut-être aussi que l'offre n'est pas importante actuellement en Corse. Un peu comme à l'époque de Franco ; il y avait une certaine tolérance, on pouvait publier quelques livres en catalan mais il y avait seulement des lecteurs militants, l'offre était donc réduite. Un changement de mentalité est nécessaire. Il faut apprendre à livre en corse ou en catalan pour sauver l'édition en langue propre. Le catalan est obligatoire dans les écoles et pourtant on n'a pas encore réussi à résoudre le problème en 1996.

 

J.THIERS. - Merci Aureli. Nous n'allons pas évidemment épuiser le sujet. Cette journée est à vrai dire une journée non de colloque mais plutôt de séminaire, et il s'agit d'inventorier un certain nombre de pistes que nous pourrons reprendre par la suite. Je m'adresse ici aux étudiants du DESS de Communication qui ont eu le privilège d'interviewer Aureli ARGEMI à Barcelone l'an dernier, qui ont poursuivi cette réflexion à travers une publication qui sortira le mois prochain et qui pourra être aussi l'occasion d'un retour sur ces problèmes d'édition qui ne sont pas aussi transparents qu'on pourrait le penser de prime abord. En effet, nous l'avons vu ce matin aussi, l'institution de l'enseignement obligatoire d'une langue n'implique pas une montée immédiate du lectorat. Il y a un certain nombre d'étapes à franchir. Et s'agissant de littérature et non plus seulement de textes, se trouve en question l'édification véritablement des instruments critiques qui permettent non seulement la diffusion d'une littérature en langue minorée mais aussi la formation, la mise à disposition d'une publication large, non seulement de l'alphabétisation mais aussi de la possibilité de juger des contenus. Cela suppose aussi l'édification d'une institution littéraire qui transforme une production littéraire en véritable littérature. C'est un vaste débat que je vous propose de reprendre à une date ultérieure. Merci à Guy FIRROLONI et Aureli ARGEMÍ.

(À suivre)