LE CORSE, LANGUE SYNAPTIQUE : Alanu DI MEGLIO

Scontri di 13.05.2021

 

Retrouver à la fin de cet article la vidéo de l'exposé en langue corse du  Pr.Alain Di Meglio ou cliquer sur le lien ci-dessous: 

https://youtu.be/NX16iv2z0UY

Le corse, langue synaptique

Publié en décembre 2019 in: Amane Gogorza/Wanda Mastor (dir.) Les langues régionales et la construction de l'État en Europe, LGDJ éditions, Collection Grands Colloques, 2019, Paris

L’histoire de la langue corse se pose, à l’instar de la plupart des langues reconnues, de façon monographique comme si l’objet « langue corse » était une détermination stable dans le temps. Il n’en est rien et cette approche est tout autant discutable que l’objet « langue corse », à l’instar des autres langues, est une construction sociale et politique dont le processus est décrit aujourd’hui par la sociolinguistique corse. Ce processus ne peut se dissocier des rapports entretenus entre les codes linguistiques présents sur l’île durant des périodes déterminées.

Il convient donc ici de bien assoir la définition d’une langue de façon générale puis de dire ce que recouvre le nom de « langue corse ». C’est à partir de cet éclairage que nous pourrons retracer le processus sociolinguistique qui mène à la langue corse que nous pouvons dater de façon stable à partir de la décennie 1970.

C’est le concept de langue polynomique, dont l’auteur est le linguiste Jean-Baptiste Marcellesi en 1983, qui s’avère être le socle d’une conception de la langue corse, celle d’aujourd’hui, qui cherche à se démarquer des acceptions les plus courantes, liées généralement à un standard au sein d’un état-nation reconnu.

I.Langue corse, quelques précisions préalables

Ni les linguistes, ni les politiques ni les Corses eux-mêmes n’ont pas de tous temps donné le titre de langue à l’idiome vernaculaire qu’ils parlaient. Nous référons souvent à ce sous-titre de Jacques Thiers (1989, 26) « O Pasquà tamantu scordu ! » (Pascal Paoli, quelle terrible omission !). Dans un anachronisme voulu mais plein de sens, le sociolinguiste du XXe siècle reproche au « Père de la nation corse » de ne pas avoir inclus la langue corse dans les principes fondateurs de la nation au XVIIIe siècle. Le corse et le toscan fonctionnent alors comme deux variétés d’une même langue. La répartition des usages n’est pas contestée et nulle revendication d’un éventuel rééquilibrage n’est constatée. Durant l’indépendance de la Corse (1755-1769), la langue employée par l’administration de Pasquale Paoli est le toscan. De même, nous pouvons aujourd’hui bien attester (Gherardi 2001) que les enseignements de l’éphémère université paolienne (1765-1769) étaient dispensés pour la plupart en latin et, pour quelques-uns, en toscan.

A.Le dialecte rendu caduc

La langue corse n’est donc pas, à l’origine, un attribut de la nation. Nous pourrions recouper de façon historiographique nombre d’occurrences au XIXe siècle qui indiquent que le terme de langue n’est pas usité. Prenons seulement ici deux exemples significatifs, le premier cité lors d’une conférence de Jacques Thiers : celui de Francesco Ottaviano Renucci qui reconnait la valeur de la tradition orale mais qualifie le corse de « dialetto vernacolo » (dialecte vernaculaire) ou encore Santu Casanova, considéré comme le grand précurseur d’une prose factuelle en corse qui écrit en 1901 dans le préambule de son journal : « A Tramuntana est un journal corse et populaire, par conséquent il doit être entièrement écrit dans le dialecte que parlaient nos valeureux ancêtres ».

Au demeurant, le fait de ne pas nommer le corse « langue » ne revêt pas une importance majeure du point de vue strictement linguistique. Il est cependant important du point de vue de la représentation et de la reconnaissance d’un marqueur puissant de l’identité collective des Corses.

Selon le sociolinguistique Philippe Blanchet (2012) « il s’avère qu’aucun critère de spécification et de définition d’une langue n’a jamais été établi. » Principe que nous partageons : la langue est un objet social que nous ne saurions circonscrire de façon nette et objectiver comme un seul et même système. Citons encore Blanchet qui problématise ainsi la définition de langue : « Qu’est-ce qu’une "langue", qu’un "dialecte", qu’un "parler", qu’un "idiome" etc.…? Où s’arrête l’un et où commence l’autre ? Et dans le cas de systèmes linguistiques génétiquement apparentés, où est la limite ? Au-delà de ce problème précis, et cependant si important, c’est toute la question de l’unicité en linguistique qui est posée. » (Ibid.)

Cette question de l’unicité, par la modernité de son approche et usant à bon escient d’un appareil théorique performant, a été traitée par la sociolinguistique corse.

C’est au moment où la loi Deixonne a été étendue à la Corse et que s’est posée la question de son enseignement public que les Corses ont intuitivement donné suite à une conception plurielle de leur langue. La décennie de 1970 à 1980 verra en effet se forger un ensemble de convictions qui aboutiront à cette conception qui trouve une acception unitaire utile à l’identité et plurielle afin d’être conforme à la réalité labile et incertaine de toute langue, comme nous l’avons évoqué plus haut.

La nouvelle conscience linguistique trouvera une étape importante lors de l’édition d’un ouvrage qui va stabiliser l’usage orthographique par le fait qu’il est reconnu et adopté par la quasi-unanimité des utilisateurs du corse écrit. Le manuel d’orthoépie et d’orthographe corse Intricciate è cambiarine, saura trouver l’unité de la langue tout en respectant la variété dialectale géographique. Au-delà des aspects purement linguistiques, l’ouvrage annonce un engagement unitaire dans le respect de la diversité : « Nous appelons langue corse la somme de tous les parlers qui sont utilisés sur le territoire de l’île de Corse. (...) nous rejetons l’idée préconçue d’une clarification par réduction à des formes idéales. » (Geronimi/Marchetti 1971)

Le corse est alors déclaré langue tout en rejetant l’idée d’une norme écrite unique qui, faute d’une réelle autorité politique sur la langue ou d’une assise normative issue de l’histoire, aurait été source de conflit voire de rejet par une bonne partie des utilisateurs et des militants.

Durant cette décennie, l’idée même de hiérarchisation connaitra un net recul. Citons ici par exemple la linguiste MJ Dalbera Stefanaggi (2002) qui dès 1978, au moment de ses premières publications adoptera le terminologie de « langue corse » : « la linguistique moderne l'a bien établi, tout système linguistique en vaut un autre, et il est parfaitement illégitime, linguistiquement parlant, de hiérarchiser les langues selon qu'elles sont ou non officielles, investies de prestige, qu'elles ont ou non accédé à l'écriture, donné naissance à une littérature, à l'élaboration d'ouvrages de grammaire... Dans cette acception, toute variété linguistique peut prétendre au titre de langue, quelle que soit son aire de diffusion, son degré de prestige, l'importance de la culture qu'elle véhicule... et le corse est bien évidemment une langue. »

B.Le corse, langue polynomique

Les années 1970 ont donc épistémologiquement réglé la question de la qualification du corse. Les représentations ne tardèrent pas à évoluer sensiblement et la décennie 1980 marquera le net recul voire la disparition de « dialecte » ou de « patois » dans le vocabulaire social ou politique. L’opposition langue/dialecte étant renvoyée à une acception scientifique et non plus discriminante, purement variationnelle : le dialecte est une variante géographique et s’inscrit dans un continuum linguistique. Le corse ne sera donc plus perçu ni nommé comme un dialecte de l’italien mais bien comme une langue, ayant sa propre variation dialectale, autonome des autres langues reconnues.

Le professeur Fernand Ettori en 1981 avait bien noté cette évolution et parlera de « dialectique de l'un et du multiple » à propos du corse.

C’est sur ces bases que Jean-Baptiste Marcellesi (1984) proposera le concept de « langue polynomique ». Désormais bien connu, ce concept constituera le pilier de tout un appareil de légitimation en faveur de la reconnaissance de la langue corse, jusqu’au vote de l’Assemblée de Corse le 17 mai 2013 proposant la coofficialité des langues française et corse sur l’île de Corse.

Nous nous proposons d’aller ici un peu plus loin dans les conséquences de cette conception duelle (unité/diversité) de la langue corse. Le concept de langue polynomique est ainsi défini : « Langues dont l'unité est abstraite et résulte d'un mouvement dialectique et non de la simple ossification d'une norme unique, et dont l'existence est fondée sur la décision massive de ceux qui la parlent de lui donner un nom particulier et de la déclarer autonome des autres langues reconnues ».

Les bilans, interprétations, travaux et applications de la polynomie ont été nombreux durant ces trente dernières années. Le concept a permis de dépasser la problématique de l’imposition d’un standard et a contribué au sentiment d’inter-tolérance linguistique. Jacques Thiers (2018) observe bien par ailleurs que les professeurs Fernand Ettori et Jean-Baptiste Marcellesi, tous deux originaires de l’extrême-sud de la Corse, « ont puisé dans la pratique de la variété de la région de Portivechju la conscience et l’intérêt d’une attitude « variationniste » dans l’important débat autour de la norme linguistique ».

Cette inter-tolérance ou cette faculté de l’approche polynomiste à engendrer des attitudes plus ouvertes (Sorba 2016) vaut essentiellement pour la langue corse, même si le concept est potentiellement transposable.

Pour autant, le concept ne règle pas la question de l’objet qu’il traite. Nous voulons dire par là que la polynomie ouvre la possibilité de « l’un et du multiple » mais, par définition, ne peut postuler une circonscription nette de l’objet « langue corse », qui comme toute autre langue, ne peut définir de façon exacte ni son centre ni ses limites. C’est pourquoi il convient de répondre à la question du nom qui est donné (de quoi le corse peut-il être le nom ?) puis d’évaluer les nouvelles potentialités qui découlent de cette spéculation.

II.Continuité et contiguïté sociolinguistique du corse

A.Où commence et où s’arrête le corse ?

Cette question pourrait se poser pour n’importe quelle langue « car un nom ne voit rien et ne sait rien de ce qu’il représente. » (Andrée Tabouret-Keller 1999).

Pour le corse nous avons vu que le concept de polynomie avait permis à son appareil de légitimation de s’accommoder de sa variation afin de s’affranchir de tout préalable de norme unique et de tradition savante pour pouvoir s’affirmer, soit comme langue dans l’ensemble roman, soit comme la langue d’une île et d’un peuple.

Nommer l’objet, c’est aussi pouvoir en faire l’histoire en tant que tel. Or, au-delà de la bibliographie existante, qu’elle soit linguistique (Dalbera-Stefanaggi 2002) ou sociolinguistique (Arrighi 2002), nous pouvons, fort de la difficulté à circonscrire une langue, remettre la langue corse dans son contexte historique et contemporain par une approche plurilingue.

En fait, en adhérant à ce postulat de Patrick Sériot (1996) : « La linguistique spontanée des traceurs de frontières est une pensée du discontinu et de l'homogène, alors qu'une linguistique de terrain fait apparaître une situation complexe, hétérogène et continue. », nous pouvons avancer à notre tour un discours alternatif en prenant en compte l’ensemble des langues présentes sur l’île et situer le corse dans un ou plusieurs continuums successifs plutôt que de l’identifier comme un seul système, unique nommé et circonscrit, ce qui s’avère impossible par essence même.

En diachronie, nous pouvons bien identifier un continuum entre latin, corse et toscan jusqu’au XVIIIe siècle. Même si le français marque une distance linguistique plus grande avec le corse, il entre bien en contact à partir du XIXe siècle et crée au XXIe siècle des locuteurs qui, s’ils sont corsophones, sont à l’évidence obligatoirement francophones.

Un lettré corse du XIXe siècle comme l’abbé Paulu Matteu Della Foata pouvait écrire en quatre langues : toscan, corse (variété taravaise), français et latin. On peut aisément penser que l’usage social, et même littéraire, ne s’organise pas de façon cloisonnée : il n’est que de considérer comment sont interprétés certains chants rédigés en toscan mais réalisés, oralisés en corse. Que penser encore de cette variété d’italien mâtinée de corse (ou l’inverse que les Corses nomment U crusca), plus prestigieuse, décrite par Pascal Marchetti (1989, 75) ainsi : « Le locuteur y conserve certaines qualités du dialecte » de nature phonologique mais aussi des « traits morphologiques ou éléments lexicaux de l’italien littéraire ».

Géographiquement, le corse n’est pas nécessairement confiné à l’île. Évoquant une épigraphe présente sur une chapelle dans la région de Perfugas en Sardaigne, le linguiste Mauro Maxia (1999, 101) atteste que les données prises en compte montrent que l’inscription est datée du XVe siècle et relève d’un : « contesto sociale e linguistico caratterizzato da una forte presenza corsa. L’epigrafe risale a un periodo in cui dall’incontro del sardo e del corso si era gia formata la varieta dialettale oggi denominata “gallurese”. » Les linguistes des deux rives s’accordent à dire qu’il y a bien une forte continuité entre le corse du sud et le gallurais.

Autre exemple, puisé cette fois dans le corse d’une émission de la radio de service public. L’écoute de Mediterradiu démontre toute la dimension étendue (et sans doute moins attendue) du concept de polynomie. La proximité linguistique avec l’italien est ici renégociée non pas en termes d’hégémonie mais bien par une sorte d’économie du commun qui cherche à (re)bâtir des espaces d’échanges linguistiques et culturels. L’évolution des rapports corse/italien est notable : si le début du XXème siècle avait recherché l’affirmation d’un rapport langue/dialecte, on voit bien par cette émission que toute hiérarchie est abolie au bénéfice de la compréhension commune qui cherche à construire un espace d’intérêt commun d’échelle européenne.

Ces exemples de continuité pourraient être multipliés et retissent, au moins potentiellement, le discours sur la langue corse et ce qu’elle peut recouvrir en son nom.

B.Le nom de « langue corse »

Pour la sociolinguiste Cécile Canut (2001) donner un nom à une langue « résulte d’un processus constructiviste : c’est faire exister une réalité qui ne l’était pas auparavant, c’est homogénéiser, clôturer un ensemble de réseaux ou d’éléments à l’origine en relation les uns aux autres de manière hétérogène. » Le concept de langue polynomique confirme en grande partie cette définition par le fait de fonder la langue corse « sur la décision massive de ceux qui la parlent de lui donner un nom particulier et de la déclarer autonome des autres langues reconnues » et de procéder à une mise en commun du corse, par divers canaux d’une normalisation linguistique lente mais effective, toujours en cours. Mais il s’en démarque aussi par l’acceptabilité de la variation, y compris dans la norme et les attitudes par les préceptes de la polynomie appliquée. Le caractère sinon homogène mais unitaire est en fait donné par le nom « langue corse » purement déclaratif, construit à partir de l’argumentaire qui récuse toute forme de hiérarchisation et/ou d’hégémonie linguistique et relève de l’identification d’un groupe qui se reconnait dans/par cette langue.

Après avoir démontré le principe d’inscription dans une continuité (au sein d’un continuum linguistique -  Prudent 1981, Dalbera Stefanaggi 2002), nous avançons ici le principe d’une contiguïté par le fait même de donner un nom à la langue afin de la distinguer des autres, notamment de celles qui sont géographiquement ou linguistiquement voisines (ici principalement l’italien et le français). Alain Viaut (2004, 7) dans sa réflexion sur les limites et les frontières linguistiques avance une idée bâtie par la géographie sociale : « c’est la quantité et la nature des adhésions individuelles et socialisées à une même représentation de l’espace qui finit par construire un territoire et une pratique de la territorialité ». Nous sommes dans ce cas par le processus d’ « individuation sociolinguistique » qui donne un nom à la langue et l’attribue à un territoire.

Cette objectivation d’une réalité linguistique plurielle (l’hétérogénéité et le continuum) conjointe à une réalité socioculturelle et/ou politique unitaire (le nom de la langue) cherche à répondre à une problématique récurrente ici énoncée par Sériot (1996) : « Le problème est de savoir comment, à partir d'un continu hétérogène ont pu être distingués des objets-langues discontinus et homogènes, dont les limites ont pu être pensées comme assimilables à celles d'une nation. »

C’est dans la deuxième partie de cette assertion que la Corse est en train d’élaborer une conceptualisation originale entre continuité et contiguïté.

III.Pour une langue corse synaptique ?

La langue corse, dans son chantier de légitimation, est mûre pour bâtir un argumentaire qui la rend fonctionnelle parmi d’autres langues voisines, selon la définition de JM Eloy (2004) qui parle de proximité, de famille linguistique, soit un ensemble de langues marquées par des ressemblances sensibles, de degrés variables de facilité d’intercompréhension. Nous postulons donc ici un continuum qui n’est plus seulement dialectal mais global, à définir selon la situation d’usage de langue, formelle, culturelle ou informelle.

Nous sommes arrivés à un moment de l’histoire de la langue corse où les locuteurs, les usagers, tout utilisateur du corse, par les attitudes tirées de la polynomie sociolinguistique, peuvent établir des passerelles vers les langues proches dans la mesure où les interactions et/ou les fréquentations culturelles l’exigent. Dans ces situations, la langue, qui ne renie en rien son nom ni son socle vernaculaire, s’étend par « synapses » (terme emprunté à la biologie), que nous posons ici comme une zone contextuelle où son locuteur la déclare utile à l’intercompréhension et où il peut s’autoriser, y compris dans une situation formelle, à équiper spontanément cette langue d’éléments lexicaux ou syntaxiques d’une autre langue qu’il possède dans son répertoire verbal, même sans en avoir une connaissance très avancée et dès que la conscience de la rupture de compréhension s’opère. C’est donc ici la vie de la langue qui décide de ses apports et de ses rapports.

Cette utilisation « synaptique » de la langue minorée engendre une variabilité/fonctionnalité permise par le discours de sa légitimation en changeant le rapport à la norme.

Ici la pratique sociale qu’est la langue se double ou se mêle d’une pratique culturelle en fonction des contextes. Cette approche par connexions plus ou moins importantes dépasse l’interlecte, lequel manque d’une dimension glottopolitique. En effet, il devient inutile de céder à la tentation taxinomique, au demeurant toujours discutable, dans la mesure où le nom de la langue demeure abstrait et d’essence sociopolitique.

Cette pratique peut s’inscrire dans le cadre des langues partenaires (Matthey/Conti 2015) en prenant en compte une complémentarité harmonieuse et dépourvue de hiérarchies mais l’idée de synapse induit une fusion dans le continuum des situations plurilingues.  Elle se rapproche encore du concept de langue collatérale (Eloy 2004) ou de « langue pont » de façon générale.

La langue corse synaptique définit une langue qui s’est identifiée par son processus d’individuation mais qui assume sa pratique plurielle et variable dans une double dimension : tout d’abord par sa variété dialectale interne acquise par diverses descriptions mais aussi par ses possibilités d’usage sur ses marges, en continuité avec d’autres langues nommées (déclarées distinctes). Mais en fait, c’est évidemment la posture du locuteur qui décidera de l’usage de la langue en tant qu’outil mais aussi en tant que marqueur d’identité.

Certes, tous les jugements ou les représentations sur la langue corse ne vont pas dans ce sens mais nous objectivons notre propos par la synthèse d’une somme d’éléments liés à l’histoire de cette langue et reliés aux principes généraux d’évolution décrits et défendus par la sociolinguistique corse.

Entre théorie, praxis et pratique, la langue corse synaptique forge pas à pas son acception par l’usage qu’en font ses théoriciens, ses locuteurs et ses utilisateurs professionnels (enseignement et médias notamment). Elle avance sa singularité sociale et politique en se laissant nommer de façon distincte mais assume sa réalité sociolinguistique à côté d’autres langues où les locuteurs négocient ses connexions en fonction des utilisations.

Dans son processus en cours qui cherche à se distinguer des grandes langues à tradition académique, le corse ménage une contigüité par l’individuation, aménage une mitoyenneté permanente et fonctionnelle par des situations créées ou informelles et promeut des continuités en dissolvant les frontières, au demeurant toujours abstraites.

Au-delà des aspects sociolinguistiques, ce modèle potentiel cherche à participer à un projet de société plurilingue (au sens donné par le CECRL) où les Corses, par une expression démocratique incontestable aujourd’hui, revendiquent un statut d’officialité dans un cadre original. Ce dernier se pose en alternative au processus des états-nations du XIXe siècle qui ont construit de façon hégémonique et au mépris des cultures déjà présentes un modèle de type homogène et discontinu que nous jugeons aujourd’hui caduc et inadapté pour la Corse : un territoire, une langue, une nation.

 

Références bibliographiques

Arrighi, Jean-Marie (2002) Histoire de la langue corse, Gisserot, Paris

Canut, Cécile (2001)  « À la frontière des langues. Figures de la démarcation », Cahiers d'études africaines 2001/3 (n° 163-164), p. 443-464.

Dalbera-Stefanaggi, M. (2002) Langue ou dialecte ?. Dans : Marie-Josée Dalbera-Stefanaggi éd., La langue corse (pp. 3-6). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France.

Eloy, Jean-Michel (2004) Des langues collatérales. Problèmes linguistiques, sociolinguistiques et glottopolitiques de la proximité linguistique. Paris, L’Harmattan.

Gherardi, Eugène (2003) « Aux origines de l’Université de Corse » in J. Fusina (dir.) Histoire de l’école en Corse, Albiana, Ajaccio

Marcellesi Jean-Baptiste, 1984, « La définition des langues dans le domaine roman : les enseignements à tirer de la situation corse », in Actes du XVIIe congrès de Linguistique et Philologie Romanes, vol. 5, Sociolinguistique des langues romanes,
p. 307-314

Marcellesi J.-B (T. Bulot et Ph. Blanchet co-éd.), 2003, Sociolinguistique. Epistémologie, Langues régionales, Polynomie, L’Harmattan, Collection Espaces Discursifs.

Marchetti, Pascal (1989) Le corse, un idiome à la mer, Albatros, Paris

Maxia Mauro (1999) Studi storici sui dialetti della Sardegna settentrionale, Studium adf Sassari http://maxia-mail.doomby.com/medias/files/studi-storici-sui-dialetti-della-sardegna-settentrionale.pdf (consulté le 02/01/2019)

Matthey Marinette et Conti Virginie (éd.), 2015, Cohabitation des langues et politique linguistique. La notion de « langue partenaire ». Actes du colloque de Champéry (2014). Neuchâtel, éd. Délégation à la langue française.

Prudent, LF, (1981) « Diglossie et interlecte », Revue Langage n°61 Bilinguisme et diglossie, Larousse, Paris

Patrick SERIOT (1996) « La linguistique spontanée des traceurs de frontières », in P. Sériot (éd.), Langue et nation en Europe centrale et orientale, du 18ème siècle à nos jours, Cahiers de l'ILSL (Univ. de Lausanne), n° 8, 1996, p. 277- 304.

Rispail, Marielle, coord. (2017) Abécédaire de sociodidactique, 65 notions et concepts, Publications de l'Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne

Sorba, Nicolas (2016) Évolution du concept de langue polynomique au sein de la société corse, doctorat NR sous la direction du pr. Jacques Thiers, Université de Corse

Tabouret-Keller, Andrée (1999) « Le nom des langues. Un ambassadeur aveugle ignorant de ses missions » in Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1999, n° 26, L’honneur du nom, le stigmate du nom

Thiers, Jacques (1989) Papiers d’identité(s), Albiana, Ajaccio

Thiers, Jacques (2018) « Élaboration, distanciation, polynomie : les feux croisés de la sociolinguistique corse », in http://www.interromania.com/corsu-cismuntincu/documents/langue-corse-et-sociolinguistique-14404.html (dernière lecture le 03/01/2019)

Viaut, A., 2004, « La frontière linguistique de la ligne à l’espace : éléments pour une schématisation », Revue de sociolinguistique en ligne Glottopol n° 4 – juillet 2004, Langue de frontières et frontières de langue (http://glottopol.univ-rouen.fr/numero_4.html)

 

 

 


Nous utilisons ici le vocable « toscan », même s’il s’agit déjà de l’italien comme langue commune de l’aire italique. Le terme « italien » ne sera toutefois réellement officiel qu’à partir de l’unification italienne en 1860.

Il s’agit ici d’une conférence en corse donnée à Cervione en août 1992 « Sintimi dialettale è cuscenza linguistica » (sentiments dialectaux et conscience linguistique). Mise en ligne sur le site Interromania (http://www.interromania.com/corsu-cismuntincu/literatura/cumenti-e-pare/sintimi-dialettali-e-cuscenza-linguistica-10747.html) dernière consultation 30/12/2018

Lettré et écrivain corse de langue italienne né en 1767 et mort en 1832. Thiers le cite ainsi « A dignità literaria si puderà ottene per l’estru corsu, ma ùn si tratta di a lingua corsa chì ferma dialetto vernacolo » (la dignité littéraire pourra s’obtenir pour l’inspiration corse, mais il ne s’agit pas de la langue qui demeure « dialecte vernaculaire »)

En 1974, la loi Deixonne donnant la possibilité d’un enseignement facultatif pour les langues régionales en France a été étendue au corse qui en avait été exclu (avec le flamand et l’alsacien) en 1951, au moment de la promulgation de la loi.

Nous faisons ici allusion à son ouvrage Langue corse, une approche linguistique publié en 1978 chez Klincksieck (Paris)

Il serait trop long ici d’en tirer un bilan pour la Corse, nous renvoyons ici tout particulièrement aux divers travaux concernant la polynomie corse de J.M.Comiti, A.Di Meglio, P.Ottavi, S.Quenot, R.Colonna ou N.Sorba

Parler en crusca ou druscu (selon les régions de Corse), du nom de l’université de l’Accademia della Crusca à Florence

On peut voir cette épigraphe sur la façade externe de la chapelle romane de Santa Vittoria del Sassu (Perfugas, Sassari) 

« contexte social et linguistique caractérisé par une forte présence corse (…) L’épigraphe remonte à une période au cours de laquelle la rencontre du corse et du sarde débouche sur la variété dialectale aujourd’hui nommée gallurais (ou galluréen ) » (traduit par l’auteur)

Il s’agit d’une émission radiophonique hebdomadaire de la station de Radio France décentralisée en Corse (Radio Corsica Frequenza Mora, RCFM) qui propose un concept mutualisé avec des radios de Sardaigne, Sicile et Toscane. L’animateur corse utilise la langue corse avec ses confrères italiens qui usent eux normalement de l’italien standard.

L’individuation est l’identification d’une langue par ses locuteurs natifs comme distincte des autres langues : « l’individuation sociolinguistique est le processus par lequel une communauté ou un groupe tend à systématiser ces différences, à les sacraliser, à les considérer comme déterminantes, à en faire un élément de reconnaissance » (JB Marcellesi, 2003). Son opposé est la satellisation, qui est l’acceptation de la subordination de la langue régionale à une autre langue reconnue.  

La synapse (du grec syn = ensemble et haptein = toucher, saisir ; signifiant connexion) désigne une zone de contact fonctionnelle, une région d'interaction entre deux cellules nerveuses (entre neurones et/ou autres cellules) qui constitue une aire de jonction permettant le flux des informations, stimuli,…

Nous reprenons ici les éléments théoriques fournis dans l’ouvrage Abécédaire de sociodidactique coordonné par Marielle Rispail (2018)

Soit un code intermédiaire qui peut être considéré comme hybride. En général, ce type de variété qui joue sur deux ou plusieurs langues, plus ou moins identifiée est dépréciée voire stigmatisée par une vision uniciste (ou puriste) de la langue.

   « La notion de partenariat permet d'envisager une relation égalitaire entre les langues, alors que l'histoire enseigne plutôt que, en situation de contact, la langue la plus prestigieuse absorbe ou fait reculer les autres, ou que des conflits linguistiques apparaissent dans le cas où les langues en contact bénéficient d'un même statut. » http://www.ciep.fr/sites/default/files/atoms/files/veille-editoriale-mai-2016.pdf (consulté le 04/01/2019)

Cadre européen commun de référence pour les langues de 2001 https://rm.coe.int/16802fc3a8  «  l’approche plurilingue met l’accent sur le fait que, au fur et à mesure que l’expérience langagière d’un individu dans son contexte culturel s’étend de la langue familiale à celle du groupe social puis à celle d’autres groupes (que ce soit par apprentissage scolaire ou sur le tas), il/elle ne classe pas ces langues et ces cultures dans des compartiments séparés mais construit plutôt une compétence communicative à laquelle contribuent toute connaissance et toute expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent. »

 

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