DE CORSICA 2000 À 2024 ?

          Pour les dernières décennies du siècle on ne retient d’ordinaire que l’érosion de la pratique de la langue. C’est une inquiétude légitime mais elle masque les bouleversements qualitatifs, profonds et durables, qui ont entraîné une large ouverture de l’espace symbolique de notre langue et la volonté de traduire ce progrès dans l’action littéraire et culturelle. Le corse était naguère utilisé comme un dialecte.

Grâce aux efforts des militants, relayés par l’adhésion de l’ensemble du peuple corse, il est devenu une langue à part entière pour la conscience populaire, quelles que soient les difficultés et les dangers qui menacent sa pratique et hypothèquent son avenir.

          C’est à ce point qu’intervient notre responsabilité d’acteurs sociaux et de citoyens. Le militantisme en faveur de notre identité ne peut se satisfaire d’une déploration, nostalgique et hypocrite, de ce qui a été perdu. D’un point de vue éducatif est-il par ailleurs pertinent et raisonnable d’exiger des générations les plus jeunes qu’elles s’intéressent, se passionnent, se dévouent, voire se sacrifient pour une langue que leurs aînés délaissent tous les jours un peu plus ?

          Pour que se découvre l’avenir, il faut répondre enfin à la nécessité glottopolitique ou, comme disent les Catalans, opter résolument pour la “ normalisation linguistique ”. En somme mettre les moyens pour rendre normal, aisé et général l’emploi du corse dans toutes les occasions et contextes de la vie individuelle et sociale. Dans ce domaine, la recherche-action des dernières décennies a élaboré un éventail de propositions et de projets précis. Or rien de sérieux ne pourra se faire concrètement sans l’officialisation du corse. Cette mesure est normale et indispensable. Elle se trouve pourtant sans cesse repoussée, y compris dans les esprits les mieux disposés. Privés de cet appui, les résultats obtenus ne suffiront pas à enrayer l’érosion. Si le corse meurt comme pratique, il n’y aura donc pas une larme à verser. Les Corses, ayant alors jugé secondaire d’en perpétuer l’usage, l’auront déposé avec vénération dans le reliquaire de leur identité.

Pour le reste, la voie qui est suivie depuis trente ans semble la bonne car les résultats enregistrés sont loin d’être nuls, en dépit des prétentions individuelles à gouverner le patrimoine collectif et des frilosités de tout poil. Plus inquiétants à mes yeux sont les retards obstinés dans la réalisation d’instruments indispensables et théoriquement programmés. A quand, en effet, les descriptions générales de la langue (dictionnaires et grammaire), l’histoire de la littérature, les outils didactiques pour l’ensemble des publics, les programmes télévisuels, l’enseignement à distance, etc... ? Au lieu de cela, une floraison de réalisations dont la cohérence n’existe bien souvent qu’en discours et qui pèchent de n’être pas le fruit d’un travail d’équipe soudée oeuvrant selon un programme dûment arrêté.