GRAND RETOUR

La Vierge du Grand Retour de Raphaël Confiant (Paris, Gallimard, 1996) et A barca di a Madonna de Ghjacumu Thiers (Ajaccio, Albiana, 1996) feront l’objet d’une présentation critique EN DEUX TEMPS par Anna GIAUFRET, professeur à l’Université de Gênes.

Présentation du film « La visite » (2006) de Serafino Fasulo et Gabriele Benucci, fiction et documents d’après le livre de G.Thiers. La projection du court-métrage (entrée gratuite) sera suivie de commentaires et débats dirigés par Anna Giauffret.

 

Anna Giauffret présente la comparaison qu’elle a réalisée des deux romans en compagnie de sa collègue Carla Fratta. L’année 1996 voit la parution, dans l’espace francophone, de deux romans dont l’arrière-plan historique est le même: le pèlerinage de Notre Dame de Boulogne sur le territoire français entre 1943 et 1948.

A partir de l’analyse de ces deux romans les deux critiques dégagent les raisons de cette convergence thématique, de la remontée dans l’imaginaire, à la moitié des années 90, d’un événement qui a profondément marqué les populations martiniquaise et corse.

 

La toile de fond historique

 

L'évènement autour duquel s'organisent les intrigues des deux romans est l'arrivée de Notre Dame de Boulogne ou Notre Dame du Grand Retour sur les deux îles, respectivement en 1947 (Corse) et en 1948 (Martinique): les statues, parties de Lourdes, devaient retourner dans leur lieu d’origine, à Boulogne-sur-Mer. Ce «pèlerinage à l'envers», dans lequel c'est la Madone qui se déplace vers les fidèles, fut organisé par l'Episcopat français et se déroula du 28 mars 1943 au 29 août 1948. Ainsi qu'on l'apprend de sources historiques, «quatre reproductions de la statue nautonière de N.-D. de Boulogne ont sillonné la France; elles ont ainsi parcouru plus de 100000 kms, entraînant des foules à pied qui, en priant et en chantant, accompagnaient la Madone» (L.Perouas, p.37). A la fin de la guerre, le pèlerinage ne fut pas interrompu: le succès populaire poussa le clergé à faire parcourir à la statue de la Vierge toutes ces régions du territoire français qu'elle n'avait pas encore traversées, à l'exception des évêchés dont les responsables se montrèrent contraires à ces formes de religion populaire proches de l'idolâtrie et de certaines municipalités communistes où la procession fut interdite.

L'adhésion grandissante au communisme de la population française, suite à la contribution du parti à la Résistance, est justement une des raisons que les historiens (et les auteurs des deux romans) donnent pour expliquer l'effort d'organisation fourni par l'église: il s'agirait d'une ultime tentative pour ramener les masses vers la religion catholique. C'est d'ailleurs la polysémie du mot «retour» qui est intéressante: les textes de l'époque parlent aussi bien du retour de la statue de la Vierge à Boulogne, que du retour, sous ses auspices, des hommes partis à la guerre (prisonniers, déportés, etc.), ainsi que du retour de la France à Dieu et des hommes à la religion » (L.Perouas, p.48).

 

L. PEROUAS, «Le Grand Retour de Notre Dame de Boulogne à travers la France (1943-1948). Essai d'interprétation», Archives de sciences sociales des religions, année 1983, vol. 56, n° 1, p. 37-57.