TARRA D'ACOLTA

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"Tarra d'accolta", 35 auteurs insulaires contre le racisme et la xénophobie

L'ouvrage collectif "Tarra d'accolta" a été présenté il y a quelques jours dans les salons de l'hôtel Best Western de Bastia.

La réunion a débuté par l'énonciation de cette citation "On ne peut pas être un homme Corse et être insensible aux malheurs de l'humanité."
Puis la poésie Vis Cosmica, de Ghjuvan-Ghjaseppiu Franchi, a été lue dans sa version Corse puis en Français.

Di quandu in quandu sò ghjudeiu
Ghjudeiu di l’Esodu è Ghjudeiu di u Ritornu
M’anu fattu sappiente in le Meriche
Sò butticaghju ghjudeiu in lu vintesimu circondu di Parigi
E me unghje sò firmate in li muri bianchi di calcina
È u sangue di le me manu
Sò u Ghjudeiu vivu è tistimone annantu à a tarra di l’omi
Hè isciuta a me sterpa quand’ellu nascia u mondu è in la sfiacculata di u frattempu
M’anu chjamatu à quandu Diu à quandu cane
À quandu Omu
Ma lu me pettu hè tabernaculu fidu ci tengu un sognu vechju
U sognu vechju di i mei
L’altri Ghjudei

Tante altre volte sò africanu
Sò l’Africanu u più neru di l’Afriche nere
Sò l’Africanu chì canta à voce grossa in li campi di u Mississipi
Sò quellu pastore sfilanciatu arrittu dapoi sempre à l’appiccià di i mondi
Sò quellu di e sicchie è quellu di e timpeste
Sò quellu di e fureste
Sò eiu l’esiliatu anticu u foscu di centu paesi
M’hà suminatu u ventu cattivu

Africa mamma di l’omi a funa di i seculi avvigne è mi s’avvutula
È lega à turcinellu
È mi ne stò mutu cum’è u tempu in le strette d’Aubervilliers
Ingutuppatu d’un mantillone cù a me spazzura in manu
Sò l’Africanu

Sò l’Arabu di induv’è Renault chì un ghjornu si ne volta
Ed eccumi à issu scornu di sole vechju
Maraviglia è spentafurtuna
Sò l’Arabu chì si ne posa à tagliu di e cunfine vane
Ed eccu in mè atturchjate è nudicute
E pacenzie mille di l’alivu arradicatu
Strappatempu à longu andà di le me feste riccamate
In le cose cuntinivate
A morte taglia à farru dolce
Duv’è noi Arabi

Ma nisuna morte gentile
Pò scute inseme li mio capi
L’alta cundanna hè d’esse vivu
In tutti l’Omi

Forse lu Tempu... Parfois je suis Juif
Juif de l’Exode et Juif du Retour
On m’a fait savant aux Amériques
Je suis commerçant juif à Paris dans le vingtième
Mes ongles sont restés dans les murs blanchis à la chaux
Et le sang de mes mains
Je suis le Juif vivant qui témoigne sur la terre des hommes
Ma race a vu naître le monde et dans la flambée de l’espace de entre-temps
On m’a dit tantôt Dieu tantôt chien
Parfois Homme
et Ma poitrine est un tabernacle où je garde un vieux rêve
Le vieux rêve de ceux
qui comme moi sont juifs

Je suis aussi bien souvent Africain.
Et je suis le plus noir des Africains de l’Afrique noire
Je suis l’Africain qui chante d’une grosse voix dans les champs du Mississipi
Je suis ce pasteur dégingandé debout depuis toujours où les mondes se touchent
Je suis l’homme des sècheresses et l’homme des tempêtes
Je suis l’homme des forêts.
C’est encore moi l’antique exilé l’obscur de cent pays
Un vent mauvais m’a dispersé graine

Afrique mère des hommes la corde des siècles m’entoure, s’enroule sur moi
Et me serre
Et me voici muet comme le temps dans les rues d’Aubervilliers
Emmitouflé d’un grand manteau mon balai à la main
Je suis l’Africain

Je suis l’Arabe de chez Renault qui rentre un jour chez lui
J’ai retrouvé ce coin de soleil ancien
Merveille bonheur éteint
Je suis l’Arabe assis au bord de vaines étendues
Et voici en moi torses et noueuses
Les mille patiences de l’olivier enraciné
Qui à la longue brise le temps de mes fêtes brodées
Dans la continuité des choses
La mort coupe à fer doux
Chez nous les Arabes

Mais nulle mort secourable
Ne peut faire tomber toutes mes têtes
La haute damnation est d’être vivant
en chaque Homme

Le temps peut-être…

Cette oeuvre collective qui réunit 35 auteurs insulaires a vu le jour à la suite d'un appel de Jean-Pierre Santini. Les participants ont voulu s'insurger contre le racisme et la xénophobie, car il leur paraît évident que la littérature Corse n'est pas en marge de la vie, mais qu'elle est au contraire impliquée. Face à la haine ils ont brandi l'humanisme. Ce livre est né fin août début septembre 2015, pour dénoncer des dérives inquiétantes, que ces intellectuels de sensibilités différentes ont pu remarquer dans la vie de tous les jours, mais aussi découvrir sur les réseaux sociaux. Il leur est apparu qu'il était de leur devoir de se mobiliser, et qu'il ne fallait en aucun cas répondre à la haine par la haine, mais rédiger à plusieurs mains un plaidoyer pour la fraternité! Il leur a semblé aussi que malheureusement les différents partis politiques, occupés par d'autres préoccupations, ne prenaient pas toute la mesure de ce déferlement de violences.

Quatrième de couverture

Je ne sais qui tu es, mais je te vois prendre le livre; le retourner comme on pousse la porte de la maison pour voir s'il y a quelqu'un; le feuilleter comme on glisse un regard à travers les persiennes entrouvertes, à la recherche d'un visage.
Viens! Ne reste pas sur le seuil. Entre! Nous sommes à table. Une grande table. On pensait être une vingtaine et on s'est retrouvé à trente cinq! Posa! Tu aimes les rêves? Viens t'asseoir à côté des poètes. Tu aimes les histoires? Viens à côté des conteurs. Tu aimes décortiquer le passé? Viens et approche ta chaise des historiens. Tu t'inquiètes du présent? Parce que tu entends tous les jours des propos qui te heurtent? Qui te mettent en colère? Viens, je te présente à ceux qui parlent le plus fort.
Tu te demandes aussi pourquoi nous sommes là? Pour nous écarter un peu de ceux qui s'échauffent et hurlent à la ruine dès qu'un inconnu s'approche. Sans rejoindre vraiment ceux qui froidement calculent les bénéfices à faire sur le dos du dernier venu. Alors viens!
Tu aimes la Corse? Depuis toujours? Oh! Qu'est-ce que tu attends! Entre. Depuis peu? Alors, assieds toi n'importe où, et surtout sans façon : chacun d'entre-nous l'aime à sa façon.

(Editions A Fior di Carta)

Puis un diaporama a été projeté permettant au public présent de découvrir 40 citations extraites de cet ouvrage collectif Tarra d'Accolta

"Quand la furie se déchaîne, la barbarie est encore trop loin de nous pour ne pas être un pays imaginaire.
On se contente d'être consternés, alors qu'il n'y a pas un instant à perdre.
Qu'il faut la détruire." Jean-Claude Rogliano

"Allons, prenons garde que les tristes anges noirs de l'inculture, de l'invective et des solutions simplistes, n'arrivent un jour au pouvoir." Michel Ferracci-Porri

"Faire chanter une chanson de la paix en plusieurs langues, dont évidemment l'arabe." Marie-Paule Dolovici

"cette façon d'être l'autre aussi (...) nous permet de découvrir l'étrangeté comme un sentiment familier qui n'apparaît pas comme une menace." Danielle Maoudj

"Il y avait là des soldats français et italiens, des goumiers marocains, quelques Américains et des résistants corses." Jean-Pierre Orsi

"Si tu passes encore un de ces jours par le col de Teghime, n'oublie pas mon fils de venir nous saluer." Jean-Pierre Santini

Les différents intervenants ont été très dignes. Tous se sont exprimés avec sagesse et sagacité. De cette réunion il ressort, que l'édition de ce livre ne suffira pas et que la suite logique à apporter est de mettre en marche les intellectuels afin d'être en première ligne contre ce mouvement fascisant qui tend à prendre de l'ampleur en Corse. Il faut que ce livre deviennent un outil.
Un contact va être pris avec le rectorat de Corse afin que cet ouvrage puisse être distribué dans les collèges et que les auteurs puissent rencontrer les élèves à travers toute la Corse. Une lutte idéologique doit être menée et cela ne pourra se faire que par un travail d'éducation.

Il faut espérer que ces hommes et femmes intelligents et bienveillants seront écoutés et surtout entendus, car pour l'instant ces humanistes, partisans de la fraternité, sont le plus souvent copieusement insultés voire menacés, alors qu'ils n'ont pour armes que des mots et leur pensée.

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