L'ENSEIGNEMENT MUTUEL ANNEXE 2

ANNEXE 2

 

A PROPOS DE L’UNION DES METHODES D’ENSEIGNEMENT

 

Le Journal de la Corse ouvrait largement ses colonnes aux articles qui vantaient la méthode d'enseignement mutuel sans en dresser la popularité contre l'enseignement simultané dispensé par les frères des écoles chrétiennes. Dans la conduite pédagogique quotidienne, le recteur Mourre maria les deux méthodes. En soumettant les éléves des écoles mutuelles aux exercices religieux, à l'apprentissage du catéchisme et à la confession, et en répandant dans les écoles des frères le matériel pédagogique qu'il recevait du libraire Colas, imprimeur de la Société de Paris, via la préfecture, il espérait rapprocher les deux enseignements par les pratiques pédagogiques et en confondre la nature par l'autorité qu'il exercerait également et simultanément sur chacune des deux écoles sises au chef-lieu du département.

Monsieur Mourre se trouva en état de produire un règlement pour les deux écoles sur lesquelles il était assuré de pouvoir exercer une surveillance quotidienne et qui devaient, à ses yeux, tracer la voie à suivre pour les établissements à venir.

 

 

"PRECIS DES REGLEMENTS DES ECOLES

DES FRERES ET DE L'ENSEIGNEMENT MUTUEL"

 

"Chaque leçon commence et finit par une prière. Chaque jour lcs élèves assistent à la messe, sous la conduite de leur maître. Ceux qui ne savent pas lire ont des chapelets, et pour les mettre en état de s'en servir, on leur apprend le Pater et l'Ave Maria en latin et en français.

 

Chaque jour ils apprennent par coeur deux ou trois demandes et réponses du catéchisme qu'on leur explique en même temps ou dont on réserve l'explication pour le samedi. Ils sont tenus de se confesser au moins une fois tous les deux mois et de rapporter au maître un billet de confession. Il serait fort à désirer qu'ils pussent sc confesser exactement tous les mois. Ceux qui sont en âge de faire leur première communion y sont préparés cn particulicr par des instructions convenables.

 

De la police générale

Outre la police interne de l'école les élèves. dans l'intervalle des leçons, sont soumis à une police extérieure qui s'exerce par des survcillants choisis parmi les élèves les plus sages, lesquels font leur rapport au maître en présence de toute l'écolc.

 

Des punitions

Pour les fautes graves les frères emploient la férule. C'est un instrument formé de deux morceaux de cuir cousus ensemble de la longueur de onze à douze pouces y compris le manche. Une de ses extrémités présente une surface rondc ou ovale d'environ deux pouces de diamètre.

Dans l'école d'enseignement mutuel les punitions consistent principalement en des écriteaux marqués qui désignent la nature dcs fautes. Ce sont des tables que l'on passe au cou des élèves au moyen d'une ficelle sur lesquellcs est écrit en gros caractères un des mots suivants: Malpropre Bavard. Paresseux. Joueur. Désobéissant. Orgueilleux. Colère. Jaloux. Haineux. Vindicatif.

Suivant la gravité de la faute ils portent ces marques plus ou moins longtemps, assis, debout, à genoux, ou en faisant le tour de l'école au milieu des huées de leurs condisciples. ,

 

Des récompenses

Les frères récompensent leurs élèves en leur offrant des images pieuses, des chapelets, des livres, des billets portant exemption de punitions légères. Dans l'école d'enseignement mutuel, outre lcs distributions annuelles de prix, on donne en récompense aux élèves des billets de délivrance sur chacun desquels est inscrite une maxime tirée de l'Ecriture sainte. Les fautes légères sont rachetablcs par ces billets à condition que les élèves récitent exactement la maxime.

 

Des vacances

Dans les écoles des frères l'année classique est de onze mois. Les vacances ont lieu pendant le mois de septcmbre. I.'école d'enscignemcnt mutuel n'a point de vacances: elle est en exercice pendant toute l'année.

 

Des jours de congé

Les frères donnent congé le jeudi. Leurs écoles ne vaquent point le dimanche, mais ce jour-là ainsi que les jours de fête marqués par leurs statuts, ils rassemblent leurs élèves pour leur fairc des instructions religieuses. Quand il se rcncontre dans la semaine une fête qui n'est point réunie au dimanche, ils ne donnent alors qu'un demi-congé. L'Ecole d'enseignement mutuel ne vaque dans toute l'année que les dimanches et lesjours de fête conservés par le Concordat qui est une loi de l'Eglise et de l'Etat pour toutc la Francc.

 

Durée des leçons

Chez les frères la leçon du matin dure deux heurcs trois quarts et celle du soir trois hcures. Dans l'Ecole d'enseignement mutuel toutes les leçons sont de trois heures.

 

Des livres classiques

Les instituteurs de la Corse devant tous aspirer à devenir de véritables instituteurs français en se mettant en état d'enseigner la langue nationale, à l'exemple des frèrcs et du Directeur de l'Ecole d'enseignement mutuel, je vais indiquer les livrcs dont on se sert pour cc genre d'instruction.

 

 

Des livres pour apprendre à lire le français

Les écoles d'enseigncment mutuel ont pour la lecture des procédés particuliers qui ne peuvent pas être transportés dans les autres écoles. Les frères se servent d'un syllabaire pour les commençants et d'un livre intitulé Devoirs d'un Chrétien pour les élèves plus avancés.

 

Livres pour apprendre les principes de la langue française

Les frères se servent d'une grammaire qui a été laite à l'imitation de celle de Lhomond et qui en diffère fort peu. Dans l'école d’enseignemcnt mutucl on fait usage de celle de Lhomond et d'un livre de morale ou d'histoire. Le premier sert à donner la connaissance des règles et le second à les faire appliquer par l'analyse des phrases et en outre à faire connaître les mots et les locutions de la langue.

Ces deux moyens ne suffiraient pas encore pour en donner une parfaire intelligence ni encore mieux pour l'écrire et la parler; on y joint des traductions et de petites compositions et l'on exercc les élèves à soutenir des conversations en français. Jc prendrais volonticrs la peine de tracer un plan d'étude détaillée pour tous les instituteurs qui m'en feront la demande. Les élèves n'auraient bcsoin d'achetcr que ces trois livres, le syllabaire, les Devoirs d'un Chrétien et la grammaire. Lc second servirait à la fois pour la lecture et pour les analyses grammaticales. Le prix du premicr est de 15 centimes. Les deux autres coûtent chacun 1 franc. Les frères sc feraient un plaisir de les procurer aux autres écoles au prix qu'ils les achètent eux-mêmes-

Les maîtres devraient se procurer quelques autres livres pour leur propre instruction. J'aurai soin de les leur désigner dans le plan d’étude en leur donnant toutes les facilités pour en faire l'acquisition. Les livres qui seront attribués annuellement en prix dans les écoles où l'on enseignera avec succès la langue nationale seront une grande ressource pour ces écoles. C'est aux maîtres à faire en sorte que leurs élèves soient dignes de ces prix et de se rendre dignes eux-mêmes des récompenses annuelles données aux instituteurs. Ces récompenses consistent en de très belles médailles d'argent et en un secours de cent francs.

 

 

ENSEIGNEMENT MUTUEL ET METHODE SIMULTANEE

Lettre du préfet du 11 octobre 1822

sur les mérites comparés des deux méthodes

 

 

« En comparant avec l’enseignement mutuel la méthode siultanée dont se servent les frères, on est puissament frappé en France de l’influence du personnel sur le mode d’instruction. En Corse, cette différence est bien moins sensible, parce que Mr l'Inspecteur Mourre a introduit et son successeur a maintenu dans l'enseignement mutuel toutes les pratiques des frères, et que ceux-ci à leur tour ont emprunté de ces écoles diverses améliorations dans les études. De cette fusion de secours est née entre les uns et les autres une harmonie qui n'a pas tardé à passer des maîtres aux éléves. Aussi n'y a-t-il pas ici, comme sur le Continent, de rivalités à redouter.

D'ailleurs une nouvelle garantie s’offre dans le choix que l'on fait d'ecclésiastiques pour diriger les écoles récemment créées.

Il ne nous reste qu'à examiner quel mode d'instruction s'accommodera le mieux au caractère des habitants ou pour mieux dire parviendra au plus tôt à le changer.

Les Corses ont l'imagination active, mais il règne dans leur rrianiére d'être habituelle une indolence qu'ils ne secouent que pour se précipiter sur les traces d'un ennemi, ou pour voler au devant de l'homme en place qu'ils assiègent de demandes et de dénonciations. Si donc vous exceptez la vengeance et l'ambition, rien ne saurait les tirer de leur apathie.

La méthode simultanée n'obvie pas à ce défaut. Le jeune Corse, asis des heures entières sur le même banc n'est tiré de sa rêverie que par le bruit de la cliquette, mais une fois qu'il a répondu ou fait sa prière, il revient à cette nonchalance que nourrit l'immobilité.

Dans l'Enseignement mutuel au contraire, tout est activité, tout est mouvement. Différentes classes sont exercées à la fois dans la même salle et sous la surveillance d'un seul individu. Chaque demi-heure amène de la variété dans lcs travaux. Dès lors l'enfant prend l'habitude d'une légère fatigue de corps qui le prépare à de plus grandes dans la suite: et il n'imitera pas son père qui, mollement étendu sous un châtaignier, abandonne aux Lucquois le soin de cultiver ses terres et par conséquent le fruit qu'il pourrait en retirer.

L'indépendance si naturelle aux Corses suggère une nouvelle remarque. Chez les frères, le commandement est doux comme eux. Dans les écoles mutuelles, il est plus ferme, plus sec, si j'ose m'exprimer ainsi, et convient mieux à un peuple qu'il faut plier de bonne heure à une salutaire obéissance, En un mo: les trente instituteurs revêtus déjà d'un caractère sacré formés pendant quelques mois à l'Ecole-modèle d'Ajaccio sous les yeux de Mgr l'Evêque et de Mr le Préfet par l'Inspecteur de l'Université lui-même à la connaissance de tout ce qui est utile à la Corse, ne pourront répandre dans leur pays que de saines doctrines et de bons enseignements".