CHJAMI, Corse Matin 22 Avril

CORSE-MATIN, 22 avril

De village en village, Stefanu Conca, Ghjuvan Petru Ristori, Petru Santucci et Ghjaseppiu Micaelli, ainsi que les autres membres de l'association tiennent à sensibiliser le plus grand nombre à une pratique ancestrale. Ici lors de la soirée à Lopigna.De village en village, Stefanu Conca, Ghjuvan Petru Ristori, Petru Santucci et Ghjaseppiu Micaelli, ainsi que les autres membres de l'association tiennent à sensibiliser le plus grand nombre à une pratique ancestrale. Ici lors de la soirée à Lopigna.

Véronique  EMMANUELLI

 

La parole circule autour de la table. Au tour de Petru Santucci de lancer a chjama cette fois. V. E.

Les membres de l'association di U Chjami è rispondi se sont fixés pour objectif de perpétuer une tradition à la fois culturelle et festive qui fait la part belle à des joutes verbales et où la poésie se traduit en défis. Récemment, ils se sont retrouvés à Lopigna, le temps d'une soirée

Ils sont originaires du Centre Corse, du Niolu, de Balagne ou du grand Ouest. Inspirés par une humeur, une émotion, une image, ils se saisissent du prosaïque des jours en vers et en rimes. La poésie chantée en langue corse est l'un des moyens d'expression qui convient le mieux à leur tempérament.

C'est ainsi que les membres de l'association di U Chjami è rispondi, présidée par Ghjuvan Petru Ristori di a Riventosa, tracent leur chemin en pensant la tradition au présent et la continuité entre les générations. Leur méthode consiste à favoriser les petits événements à travers l'île, comme on accomplirait un acte militant, pour "le plaisir d'être ensemble, de s'amuser et bien sûr de partager une passion et un savoir. Nous aimerions nous déplacer encore plus souvent".

Récemment, c'est à Lopigna - à la limite de la Cinarca et du Cruzzinu et à l'appel du conteur et poète Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi - que les improvisateurs* ont donné libre cours à leur virtuosité et affirmé leur évidente complicité. "Autrefois, le chjam'è rispondi figurait une habitude sociale et conviviale qui rythmait, entre autres, les veillées, les mariages, les fêtes patronales, une rencontre fortuite au café du village, ou encore la tundera. Aujourd'hui, il trouve sa place lors de soirées programmées à l'avance", explique Ghjuvan Petru Ristori. L'évolution équivaut à la part de recréation nécessaire afin de rendre le récit transmissible au plus grand nombre désormais. Le format est porté par des contradicteurs aguerris, comme par un nombre croissant de jeunes gens. "Nous assistons à un certain regain d'intérêt pour cette pratique. À cet égard, l'université joue un rôle important", reconnaissent les acteurs associatifs.

"Des dispositions d'âme"

À Lopigna, comme ailleurs, face au public, Ghjuvan Petru, Ghjaseppiu, Stefanu, Paul laissent advenir un dialogue vibrant et singulier, au diapason d'une harmonie musicale de jadis. L'approche se fonde sur "des strophes de six vers de huit pieds chacun avec trois rimes obligatoires, en seconde, quatrième et sixième positions. Les autres rimes sont facultatives. Mais, si on arrive à les trouver, c'est encore mieux", souligne Ghjuvan Petru Ristori.

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Tout au long de l'échange, les interlocuteurs s'efforcent d'observer une règle bien précise selon laquelle "celui qui répond se doit de reprendre le dernier vers de celui qui a appelé sans jamais s'écarter du sujet", rappelle-t-il. Certaines fois, il arrive qu'on se débatte avec les vers et les sentiments. La pratique est une prise de risque car "ça vient ou ça ne vient pas. il y a des jours où on est moins en forme que d'autres. En général, il faut un petit quart d'heure d'échauffement".

Auparavant, les poètes, un peu chanteurs aussi, ont donné le ton et créé le lien avec le public, en saluant celui-ci puis en se présentant. Dans la foulée, le thème du village où l'on se trouve et d'où l'on vient se dessine. D'emblée, les improvisateurs mettent dans l'échange beaucoup de leurs mots et de ce qu'ils portent en eux. Le principe vaut pour la suite, que l'on décide d'apporter une touche d'humour à l'affaire, de lancer un défi ou de s'engager dans une joute sans merci.

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"On peut apprendre le chjam'è rispondi si on possède une bonne maîtrise du corse, mais jusqu'à un certain point seulement. Ce n'est pas donné à tout le monde", assurent-ils. Paul Calzarelli, Francescu Simeoni et Francescu Santini font valoir "u stintu, l'estru", autrement dit des dispositions d'âme, le plus souvent favorisées par l'entourage familial. On déclame, par atavisme, comme le faisaient autrefois un oncle, un père ou un grand-père improvisateur et parfois berger. On se réfère encore à des figures tutélaires, parmi celles-ci Carlu Pariggi, U Furcatu, Francescu Casaromani, Carlu Storaï, Minellu, U Magiurellu ou encore Pampasgiolu. Certains soirs, il suffit de citer l'un d'eux pour trouver une voie poétique.

* Parmi lesquels Paul Calzarelli de Carticasi, Stefanu Conca de Marignana, Ghjaseppiu Micaelli de Ghisoni, Francescu Simeoni de Lozzi, ainsi que Jean-Louis Villanova de Calenzana, Petru Santucci di I Perelli d'Alesani, Francescu Santini de Merusaglia.

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