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«Ombragée de ténèbres»

De «Europe» Nº 464 (décembre 1967)
Traduit du catalan par Antoine Cayrol

I
S'il est des paroles que je hais par-dessus tout
si certains mots me blessent de leur fine
trahison, soudain, réponse inespérée,
si, un moment, j'ai cette personne en aversion et pense avec colère
que les poings seulement auront raison
du dialogue stérile
c'est bien lorsqu'un des miens
cachant sous un silence un bâillement
branle du chef et dit:
«C'est inutile
on n'y peut rien, c'est ainsi depuis toujours»
alors que dehors le temps, sans trêve, s'écoule.

II
Je ne conjure pas la douleur afin que par impossible
elle fuie de nous comme en un jeu de mains
où nous puissions renaître de notre volonté
non point anges, sans doute encore mauvais.
Pas plus je conjure
les pleurs. Leur poids de déficience
après tant de joie. Ce que je cherche
c'est l'humaine liberté de notre douleur:
que la plainte soit commune et appartienne
entièrement à l'homme, preuve
fécondante de domination et de plénitude.

III
Quand le miroir nous voit, yeux tristes
fatigués de fixer, fidèles
les prémices du futur.
Quand la feuille nous pense
celle-là même, blanche, où j'écris maintenant
ignorant comment la mince atmosphère
nous occit lentement parce qu'il ne nous convient point
de l'avouer. Quand les rires
assassins ou complices pénètrent
nos poitrines plus forts que nos larmes
et grossissent ce fleuve
de la grande douleur accumulée
sur notre terre. Quand indistinctement
nous tournons le regard au dehors, à la main amie
qui ne nous parvient pas, alors, si nous
vivons encore si, pantelants et poings fermés,
l'espoir nous garde, peut-être notre marche
nous mènera un jour hors du labyrinthe.