UNA SCRIVITURA TRÀ CORSU È FRANCESE:

Scontri di 27.03.2024

CHRISTINE PLANTE ; Hommage à Marcelle Marini

1 - Marcelle Marini s’est éteinte à Paris le 24 janvier 2007. La distance qu’elle avait prise ces dernières années avec le monde universitaire ne doit pas faire oublier l’apport original à la recherche féministe française qui a été le sien. À travers son enseignement, ses ouvrages et ses articles, elle a développé une approche de la littérature renouvelée par la psychanalyse et par les interrogations du féminisme, approche dépourvue de dogmatisme et attentive aux œuvres dans leurs singularités.

2 - Je n’ai pas été son élève ni, à proprement parler sa collègue. Nous avions constaté avec amusement que j’étais entrée à l’université un an avant qu’elle ne prenne sa retraite, et si nous avons collaboré dans des projets féministes ou universitaires, c’est surtout dans la liberté de relations personnelles que nos rapports et nos discussions se sont développés. Je l’avais d’abord connue par ses écrits et admirée, non sans la méfiance critique d’une jeune chercheuse qui se défiait farouchement des théories de l’écriture féminine. C’est en 1986 que j’ai fait sa connaissance, sur une suggestion de Michelle Perrot, pour lui présenter le séminaire que nous commencions avec Michèle Riot-Sarcey et Éléni Varikas à Paris 7, Femmes sujets de discours, Femmes sujets d’histoire, où nous souhaitions l’inviter. Dans ce séminaire, elle n’est pas intervenue, montrant d’abord une certaine réserve. Nous nous sommes ensuite revues, et par delà ce qui nous séparait, à travers mêmes nos divergences, Marcelle est devenue pour moi une interlocutrice exceptionnelle, et une amie. C’est dans les dernières années, où elle recherchait une certaine solitude et partageait son temps entre la Corse et Paris que je l’ai surtout fréquentée. Pour évoquer ici son parcours, je m’appuie donc sur ses écrits, sur des témoignages, sur ce qu’elle-même racontait – sensible rétrospectivement plus encore que lors de nos conversations à la très grande discrétion qui était la sienne sur bien des points.

3 - Née en 1932, ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Sèvres et agrégée des lettres classiques, elle avait d’abord exercé en Tunisie, puis au lycée de Sèvres, avant d’être nommée à la Sorbonne en 1969 et de participer à la fondation de l’UFR Sciences des textes et documents (STD) de l’Université de Paris 7, où elle a enseigné jusqu’en 1992. Elle a pris alors une part active aux débats sur le renouvellement de l’enseignement et de la recherche. Désireuse de développer une réflexion sur la place des femmes au-delà du partage des disciplines, elle a ensuite participé en 1989 à la création du CEDREF et des Cahiers du CEDREF, et travaillé avec historiennes, sociologues, anglicistes…

4 - Territoires du féminin. Avec Marguerite Duras (Minuit, 1977) l’avait imposée comme une spécialiste de Duras internationalement reconnue et avait constitué un apport important aux débats sur l’écriture féminine. Son Jacques Lacan, en 1986 chez Belfond, remarquable par sa liberté d’esprit, refusait de se laisser enfermer dans les termes du choix laissé par Lacan face à ses Écrits : « se laisser prendre ou bien les laisser ». Dans ces deux livres qui ont fait date, le titre de la première section sur Duras, (S’)écrire avec, comme la dédicace du Lacan au Docteur Edwige Eliet-Bronislawski, qui avait été son analyste et son amie, affichent clairement que pour elle l’écriture et la recherche relevaient d’abord d’un itinéraire personnel, dans lequel elle tenait à reconnaître ses dettes et faisait la part belle au dialogue.

5 - Cette ouverture caractérisait aussi son enseignement et ses relations avec ses collègues et ses étudiant-e-s, son accueil des chercheurs et chercheuses venus de pays étrangers. Celles et ceux qui l’ont connue savent combien cet accueil était chaleureux, et combien il était précieux de voir un de ses textes relu et discuté par Marcelle, combien elle savait alors faire preuve d’attention généreuse, montrant un esprit critique incisif, mais toujours respectueux de la pensée de l’autre, même et surtout quand il y avait désaccord. Ce goût du débat d’idées et la volonté de nouer son travail aux enjeux du présent l’ont engagée dans des entreprises collectives comme les Cahiers du Grif, puis les Cahiers du Cedref, et bien des séminaires, rencontres, colloques féministes ou sur les femmes et leur création, en France et ailleurs. Soutenir cette position demandait un certain courage intellectuel dans l’université française des années 1970 et 1980, peu favorable au féminisme, particulièrement pour la littéraire qu’elle était. Marcelle a supporté lucidement, non sans en souffrir, la part d’hostilité, de méfiance et de marginalisation qu’impliquait cet engagement qu’elle assumait sans agressivité, mais avec fermeté.

6 - Le cœur de son travail, ce qui le nourrissait et la nourrissait, s’est toujours trouvé dans l’art et la littérature – sur l’horizon d’une attention passionnée au politique. Elle a en particulier cherché de nouvelles façons de lire et de faire lire les écrits de femmes du XXe siècle – Duras, Wittig, Sarraute… – et donné un chapitre remarqué sur « la place des femmes dans la production culturelle » au tome 5 de l’Histoire des femmes en Occident (Plon, 1992). Ces lectures, dans une démarche trop subtile et complexe pour être résumée en quelques mots, engageaient une réflexion sur l’usage du neutre, la différenciation, l’indifférenciation et la question du symbolique fondamentale à ses yeux. Trop peu de lecteurs ont pu en prendre la mesure, car cette réflexion se livre dans des articles dispersés au fil des pages de revues parfois devenues introuvables. Marcelle elle-même était peu soucieuse de faire valoir ce qu’elle avait produit et apporté, plus tournée vers le présent de la vie que vers les récapitulations. Elle en reconnaissait cependant la nécessité, ne serait-ce qu’au nom de ce souci de la transmission intellectuelle qui lui tenait à cœur. Il faut souhaiter que ces textes puissent être réunis en volume, fournissant, avec une juste image de son apport et d’un itinéraire intellectuel subtil et généreux, des analyses importantes dans un domaine où la recherche féministe française manque encore cruellement.