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À l'antigona

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SCENE 1

PROLOGUE

J'ai réussi. J'ai osé. Il y a longtemps que je désirais me retrouver seule avec toi. Tout le théâtre est là, comme je l'imaginais, tendu à craquer. Vide, en apparence. L’air est saturé de drame et de souffrances, de déchirements encore lovés au fond des cœurs et de désirs au fond des corps. La seule incertitude est l’heure à laquelle ça va arriver. Il faut très peu de choses : l’étincelle d’un regard, un mot cruel -ou tendre, c’est la même chose le plus souvent- et une longue traînée d’angoisse court partout et sa flamme, longue et drue s’envole jusqu’aux cintres. Moi, à chaque fois, je crois que je n’y survivrai pas... et je reviens, à chaque fois.
Maintenant, c’est enfin l’heure de notre tête-à-tête. Toi, tu es encore tout frémissant des bruits, des mots, des rires et des pleurs. Moi, j’attends... Je suis au point précis où l’on entend les paroles qui n’appartiennent qu’à toi.
Je les écoute toutes, avide et attentivement... Je les déchiffre. Surtout quand elles portent des émotions surprises et interrompues. Je les décrypte. Je suis la grande décrypteuse des émotions inabouties, des passions qui n’ont pas eu le temps d’éclore tout à fait, vu qu'on se ressaisit toujours, à la lisière de l’abandon total.
Cette manière de parler qu'ont aux lèvres les personnages ! Ailleurs, on ne trouve guère que deux mots sur dix pour avoir et faire sens. Ici, ils sont tous précieux, les mots. C'est curieux,j’aime même entendre ma voix qui dit, et , qui en résonnant, me rend à moi-même, en quelque sorte. C’est étrange, mais ici, j’éprouve un indicible besoin de parler avec des mots neufs, autres, différents. Grandis. Ici, parler m’est aussi essentiel qu’inutile. Même le silence, ici, prend sens.
Ce soir, comme moi, toutes les personnes présentes n'ont pu s’empêcher, j’en suis sûre, de verser des larmes et de croire, avant que la lumière revienne, qu’elles étaient Antigone, la petite noiraude maigrichonne, entrée en rebellion contre son oncle le roi Créon. Ca, c’est vraiment ta magie. Tu vois, moi aussi, j'ai haï, j'ai aimé, j'ai eu peur, j’ai vécu en silence toute la tragédie d'Antigone, et celle de Créon aussi... J’ai même pleuré, je te l’avoue, quelques larmes versées à la dérobée et que j’ai laissées sur ma joue -un voisin a si vite fait de repérer le geste, même discret, qui essuie dans le noir . On se laisse toujours avoir. Au théâtre, on sait que rien n’est réel, mais tout y est si vrai, si juste cependant!
C’est bizarre, ces vieux mythes : des princes, des rois, des têtes couronnées, des héros et des dieux, des histoires de châtiments et de mystères qui nous sont étrangers et, en même temps, étrangement familiers... Une inquiétante étrangeté familière nous enchaîne à la tragédie, à ces cortèges de personnages vêtus de noblesse et d’infortune. Nous sommes dans leur lignée, nous marchons avec eux. Il y a foule sur la scène des mythes. Tout le monde concerné, impliqué. Chacun monte à son tour pour y subir son sort. Il suffirait qu’Œdipe m’appelle : j’entendrais mon nom, me lèverais, monterais, lui prendrais des mains son poignard et me le plongerais dans les deux yeux ! Quand Créon entre, je le suis et c’est encore moi quand survient Antigone. Pas seulement à cause de leurs idées. Bien sûr, elle a raison, la jeune fille, avec son amour exclusif qui dit tout, en une fois . D’une seule voix... d’une seule foi : les convictions, la liberté absolue, le respect de la personne humaine jusque par-delà la mort, un sentiment si fort qu’elle a résolu d’en mourir, parce que, si elle l’avait voulu, elle aurait pu regarder le soleil en face sans même cligner des yeux...
Quant à Créon, il n’a pas le beau rôle dans ces tourments de sentiments et de serments où la lumière du jour se fait noire plus que les ténèbres et où la mort et la destruction se parent à tout instant des traits de l’Absolu. En plein cataclysme, alors que toutes les choses humaines et divines sont bouleversées, voilà notre monarque qui se retrousse les manches pour accomplir son métier d’homme et de bon père de famille. Le roi se prive des gratifications du drame et prétend que la vie vaut la peine d’être vécue. Il étend les bras dans un geste de protection et couvre de son ombre tutélaire toute la cité de Thèbes avec toute sa population : dans une main le Code civil et dans l’autre le Code pénal : beau tableau. Un chef politique, un vrai. Dévoué corps et âme, fort, inflexible et surtout fidèle, un homme d'idéal : la chose collective, le peuple, la cité, mais -dommage !- l’époque n’était pas aux héros sociaux.
Au fond, il était comme sa nièce. “ U sangue ùn hè acqua ” dit le proverbe et, au théâtre, il s’applique à nous autres aussi. Créon et Antigone ! Ces deux-là nous engendrent par chacun de leurs mots, de leurs signes de tête et des froncements de leurs sourcils.
Je crois même qu’ils se chérissaient, l’oncle et la nièce, d’une affection d’autant plus forte qu’ils sont les parents d’Œdipe. Ils étaient prêts à avoir des égards l’un pour l’autre, des attentions, des gestes de tendresse et d’émotion. Mais attention aux paroles, aux phrases, aux mots qui sifflent comme les pierres libérées de la fronde et s’en viennent frapper d’un coup sec, en pleine tête. En plein cœur...
J’aime et je redoute les mots car ils portent en eux leur propre trahison. Nous avançons dans la vie, la gorge pleine de paroles comme les garnements bourrent leurs poches de cailloux ou de bonbons. Une fois nos poches vides, nous ne savons plus si nous avons distribué des douceurs ou des mauvais coups. Peu importe le prétexte et le style : seule la cible compte et la beauté du coup à porter. Seulement voilà. Au théâtre, ce soir ce n’était plus un jeu, mais la tragédie. La vérité. La révélation crue des forces qui nous traversent et nous mènent inéluctablement à la mort. Une fois les quelques mots fatidiques jetés, l'engrenage s'ébranle et c'est avec une jouissance terrible que nous nous entre-déchirons. La fièvre de l’entre-destruction, de l’entre-dévorement que nous procurent, toujours, les paroles de l’entre-nuire, de l’entre-haïr : et les êtres aimés jusqu'alors se découvrent tout à coup, hideux et menaçants. Ennemis... Il suffit d’une insinuation, un prénom, une syllabe, avec une mimique de regret, comme si on l’avait laissé échapper sans le vouloir. C’est fait : l’arc est bandé, il suffit d’un tour de clepsydre pour voir la foudre tomber.

Pourtant ils donnent tout, ces personnages et nous dotent d’absolus dont nous n’avons pas la force de nous croire capables, sinon dans les brefs instants d’illusion où le spectacle nous rend identiques à eux. Intenses et déplorables, enfin vivants.

Naturellement, au début, les deux petites frappes d’Etéocle et Polynice ne justifiaient pas vraiment le sacrifice d'Antigone ni celui Créon leur oncle. Ils devaient régner sur Thèbes un an à tour de rôle, mais au terme de la première année, Etéocle refuse de céder le pouvoir. C’est un putsch qui met en branle la machine infernale. Polynice s'allie à sept princes étrangers pour attaquer les sept portes de Thèbes. Les sept princes sont vaincus et les deux frères s'entre-tuent. L'histoire aurait pu s'arrêter là mais Créon le roi, pour faire un exemple, décrète qu'il faut punir quiconque menacera la cité : interdiction de donner une sépulture à Polynice. Par contre il organise d'importantes funérailles pour Etéocle. L'histoire aurait pu s'arrêter là mais la petite Antigone brave la loi et enterre son frère, parce qu’elle croit qu’elle le doit. Créon la condamne et la fait exécuter, parce qu’il croit lui aussi qu'il le doit. Il ne le voulait pas, personne ne le voulait et pourtant chacun a reçu sa part de tragédie.
En fin de compte, nous sommes tous comme eux, un peu innocents, et coupables un peu, mais foncièrement victimes.

Il y a ce soir, ici, des craquements inexplicables, des plaintes, des soupirs écrasés. Je les entends et tu dois t’expliquer. Tu n'es sans doute qu'illusion, mais l'illusion est justement le contaire du mensonge, car tu effaces les masques de notre quotidien et nous restitue la part essentielle de notre condition.
Tu craques, je t'entends, je te sens crisser partout. Les bois de tes charpentes vibrent encore de l’action représentée. Les personnages vont surgir des recoins de ton ombre et l'histoire va se continuer. Ils reviendront, les vivants et les morts, et ils se camperont face à la béance de la salle pour poser leurs éternelles questions d’homme. Ils diront leurs éternelles certitudes et nous aurons à deviner s’ils doutent eux aussi comme nous, quand les événements passent trop vite pour s’imprimer dans le regard ou quand le malheur est trop grand pour que nous sachions combien il faut aimer la vie.
Tu crisses et tu craques, j'entends mille bruissements. D’habitude, nous n’aimons pas le silence parce que nous ne savons pas d’où vient cette immense rumeur prête à submerger notre vie de tous les jours. Alors nous avons inventé une expression. nous disons : “ Ce n’est rien. C’est le bois qui travaille ”. Mais moi je sais qui travaille. C’est le théâtre, c’est l’action qui se tend de nouveau, qui prépare leur retour.
Mais, tu sais, je te ressemble. Tu es dans ma tête comme je suis, en ce moment, en ton sein, et tout à l'heure quand ils reviendront Créon, Ismène et tous les autres c'est en nous deux qu'ils seront comme dans l'imaginaire de tous ceux qui étaient là ce soir. Alors, un semblant de lueur tremblotera peut-être dans un recoin de notre propre labyrhinte. Nous fera-t-il faire un pas vers ce que nous voudrions devenir.

SCENE 2

ISIMENA, A SERVA

A SERVA : Qu’allons-nous devenir si tu t’y mets toi aussi ? Toi aussi, tu veux te révolter ? te dresser contre la loi ! Contre lui ? N’oublie pas qu’il est le Roi… Tandis que les autres ne sont plus… On n’entend plus leurs voix… On oublie jusqu’à leur nom.

ISIMENA : Il y a longtemps que j’entends les miens qui ne sont plus. Ils m’ont appelée longtemps sans que je les entende, et puis, un jour, je me suis retournée et je suis venue. Les voix venaient d’ici. Depuis, je viens près de la tombe, ouverte au ciel et petit à petit, toute la nuit se verse lentement dans la bouche de la tombe. Je couvre de mon corps étendu toute la froideur du marbre et ils me parlent. Antigone surtout. Chaque étoile, chaque rayon de lune y entre sans bruit et au matin, j’entends leurs voix.
J’y vais comme si quelque chose d’irrésistible m’y appelait. La mécanique inéluctable de leurs appels m’envoûte. Hémon, Antigone, mon père... De grands rouages silencieux qui s’entraînent l’un l’autre. Ils produisent une musique étrange, un mouvement admirable et parfait. Et soudain, je remonte le temps, je redeviens une enfant et je comprends ces voix. C’est bête, mais tu te souviens la grande clepsydre que père avait fait installer au pied du grand escalier du palais, au temps des jours heureux ?

A SERVA : Bien sûr, je m’en souviens ; il a fallu choisir l’endroit, la hauteur, la forme et la mesure. L’architecte devenait fou, mais il a réussi... Sa silhouette élégante se détachait bien sur le feuillage sombre des grands sycomores... Aujourd’hui, à cause de cette maudite guerre, tout est à l’abandon et le maquis a envahi la moitié du grand parc.

ISIMENA : Eh bien ! c’est à la clepsydre que j’ai pensé immédiatement. Une idée curieuse qui s’est imposée à mon esprit. Un mouvement placide comme les heures qu’elle égrenait dans ses godets mouillés et ruisselants de bruits. C’était au temps des jours heureux. Leurs voix m’appellent. J’entends Hémon et Antigone et puis notre compagnon de jeux. Tu te souviens de ce petit esclave noir et malicieux...

A SERVA : Malheur à nous ! Ma toute petite se fait un front triste et le visage tout pâle à errer à vagabonder dans le vaste maquis du passé. Mais c’est fini, terminé, enterré, le passé ! Ça déborde de larmes et d’infortune. Vois donc le présent, aujourd’hui, le monde maintenant, notre société en construction, le commandement ferme et bienveillant de notre roi, Créon...

ISIMENA :Justement ! C’est de lui qu’elles me parlent, les voix que j’entends et les formes que j’embrasse, quand se présentent les ombres de ceux qui ne sont plus. Je ne le vois pas comme vous. Il est pour moi un tyran, et je le découvre embusqué au coin de chaque rue. Même l’air se glace d’effroi en entendant sa voix, ses pas, son nom. Les prisons sont pleines de ceux qui ont osé contredire ses ordres, faire entendre la voix de la pitié, de la concorde, de la réconciliation. Et quand les portes s’ouvrent, c’est pour les conduire à la mort. On raconte que la nuit, il parcourt lui-même les rues et la campagne, à la tête d’un groupe de sicaires assoiffés de sang. Le peuple se tait, le peuple se terre et Thèbes plie sous son joug.

A SERVA : Tu es vraiment injuste, et c’est la douleur qui te fait parler ainsi. Le roi nous a offert la paix. Le peuple se tait parce qu’il lui est reconnaissant. Il ne veut plus souffrir, le peuple, nous voulos profiter de la paix et vivre enfin !

ISIMENA : A quoi sert la vie si c’est une vie d’esclave ? une vie pour trembler ? et feindre d’aimer le tyran qu’on abhorre ?

A SERVA : Elle est têtue, têtue ! Ce n’est pas un tyran, mais un homme de cœur ! È un omu d’onore ! Il a juré de tout sacrifier à la Patrie et à la Paix ! Je te le dis encore ! Tous ces efforts pour rien ! Dire qu’à chaque instant de mon existence, je n’ai pensé qu’à elle, à lui faire oublier l’histoire horrible des malheurs de sa race. Mais non ! j’ai toujours lutté en vain. Moi, et les autres avant moi. C’est ainsi que c’est écrit : une affaire où se mêlent l’origine, l’hérédité, le Pouvoir. La soif immense de Pouvoir. Se dresser face aux autres, face à l’ordre comme un défi ! Peu importe qui on défie ! Le défi. La passion du défi!

ISIMENA : Non, l’amour de la liberté et le respect de ceux qu’il a fait périr. Le devoir de mémoire.

A SERVA : J’ai beau leur donner amour et affection, ils n’entendent rien. D’abord Antigone, excitée comme une mouche au moment de la canicule. Elle n’a pas trouvé de répit tant qu’elle n’a pas été sûre qu’on l’abattrait. Et maintenant, ma chérie, ma petite Ismène, que tout portait à la félicité. Qui aurait pu s’en douter ? Hélas tel père, tels enfants ! Tous comme leur père Œdipe et comme tous nos princes. Voilà une jeune fille belle, douce et aimable ; elle ne pense qu’à vivre et à son avenir, mais tout d’un coup le ciel s’est assombri. On sait qu’on a passé une frontière et qu’on est de l’autre côté, où se tiennent aux aguêts les Sphinx et l’Infortune. Hélas ! moi, je ne peux leur donner que mon amour et mes larmes.

ISIMENA : Les ombres m’appellent et le devoir de vengeance. Ce soir, à l’heure où j’irai les retrouver, je leur dirai la bonne nouvelle. Tout est prêt. Chacun des conjurés sait où il doit agir. Si les Dieux sont avec le juste, et s’il est vrai que la vérité existe, Créon, tes heures sont comptées. Et je serai celle qui a délivré Thèbes du monstre qui lui suce le sang et fait périr les meilleurs de ses enfants ! Et lui, mon aimé, il m’aura donné, en m’aidant à terrasser le nouveau Sphynx, la plus belle des preuves d’amour...

SCENE 3

CREONE, U GENERALE, ISIMENA

U GENERALE : Non, ils peuvent bien frapper encore s’ils le désirent ! Peu importe pour vous. Si c’était à refaire, vous, Créon, le Roi, vous referiez la même chose sans un mot, sans trembler ! Qu’ils n’aillent pas croire que vous vous lasserez et que l’on va vous voir vous incliner. Nous, vos fidèles, nous savons qui vous êtes.
Créon, un nom dense, ferme et serré, qui résonne comme le tronc d’un châtaignier sous la tempête. Vous avez enduré assauts, insultes et trahisons... Des blessures cuisantes au plus profond de votre coeur. Mais il ne sera pas dit que vous baissez la garde ou la tête pour autant. Vous êtes le Roi et vous attendrez de pied ferme les autres tempêtes qui pourraient arriver.
Ca pourrait arriver, mais après ce que nous avons vu, rien de pire ne peut survenir.

CREONE : D’abord la malédiction, le désastre du Sphinx et les heures terribles de la Peste noire. Et Jocaste qui se pend, Œdipe les yeux crevés, l’ennemi à nos portes, l’ennemi est ici, mais leurs fils s’entretuent.

U GENERALE : Il fallait une Loi. Oui, il le fallait.

CREONE : Non, pas pour la loi, ni pour la vérité. Ce ne sont que des mots, des mots. Non, c’était pour le peuple. Pour l’exemple. Pour qu’on y croie. Pour la dignité des princes et du trône. Alors, Antigone… Encore enfant…

U GENERALE : Il le fallait. C’était écrit . Elle a voulu mourir : c’était son choix. On ne défie pas l’ordre, sinon on doit mourir.

CREONE : Mon cœur l’a pleurée en cachette, mais ma main ne pouvait pas trembler, elle ne le devait pas ! non ! lorsque j’ai frappé ! Et ma voix ne pouvait pas trembler quand j’ai ordonné ! non !

U GENERALE : Fermeté, courage, intrépidité. Voilà ce que vous nous devez, vous autres, les Rois.

CREONE : La douleur ne meurt pas…

U GENERALE : Force reste à la loi.

CREONE : Les deux garçons, à vrai dire, ne valaient pas grand-chose, mais en définitive, qui a payé pour eux ? Les deux autres, Antigone et Hémon, tous deux bien innocents, pourtant ils ont payé la folie sanguinaire de Polynice et Etéocle. Pauvres enfants, c’étaient des innocents et mon cœur saigne à la pensée que c’est moi qui les ai fait mourir… Hélas ! destin cruel, hélas comme tu te déchaînes !...

U GENERALE : Mais il le fallait. Ils n’ont rien voulu entendre. Têtus comme des mules!

CREONE : Et moi, j’y étais obligé, j’y étais obligé !

U GENERALE : Il en était ainsi ! Il le fallait ! Pour le respect et pour la loi.

CREONE : Ma loi... Ils me l’ont fait payer cher, ma loi, oui vraiment cher. Mais c’était là mon devoir devant le peuple et devant la patrie.
Ô Hémon, mon tout petit, que ton père et ta mère chérissaient. Ta pauvre mère, le malheur d’Eurydice. Dès qu’elle a entendu énoncer contre toi le verdict solennel, Hémon, ta maman est comme, pour ainsi dire, partie elle aussi… loin... là-bas, au-delà de la peina, quand la souffrance devient trop forte. Trop de souffrance... blesse l’esprit ! Quand est trop forte la souffrance, l’esprit s’enfuit, la tête s’en va...
(si vede à Isimena in fondu à a scena... Parla (recitativu)
 

CREONE : ... Heureusement, nous avons Ismène. Une fleur. Mon Ismène à moi. Ma nièce chérie. La promesse d’un avenir heureux, pour moi, pour le monde. Durant des années j’ai eu peur de voir renaître en elle la malédiction qui pèse sur la lignée de Laïos et d’Oedipe et les a tous tués. Ces jours-ci j’ai tremblé au retour du printemps parce que le printemps fait perdre la tête aux femmes.
Le printemps… du printemps, du danger… C’est toujours là que revient le malheur porté par le parfum d’une fleur nouvelle qui répand l’amour et le poison. Porté aussi par les torrents qui s’enflent de toutes les neiges qui fondent, là-haut sur les montagnes, et se jettent furieusement à l’assaut des cités étalées dans les plaines. C’est encore là que se déclarent les vierges du destin, les Euménides furieuses qui viennent nicher dans le cœur de nos filles candides et pures, innocentes comme une eau tranquille. Alors on ne les reconnaît plus, tant elles sont monstrueuses et défient nos lois humaines. Ce fut ainsi pour Antigone. C’est pourquoi j’avais peur pour Ismène aussi.
Allors, j’ai couru vers elle parce que le printemps a été bien précoce, cette année. Je suis allé me rendre compte. Je l’ai découverte dans le grand parc. Comme toujours. Elle était seule. C’était l’aube. Tout pouvait survenir. Elle ne me voyait pas. Je l’ai observée. Elle se promenait lentement et on n’entendait que le crissement du gravillon sous ses pieds qui dansaient. Elle a marché ainsi et puis s’est arrêtée, comme d’habitude, pour contempler la grande roue de la Clepsydre que nous fîmes placer, il y a longtemps, en face du palais.
C’était au temps des jours heureux. Je crois qu’Ismène y songe tout le temps et que c’est son refuge et son réconfort. Ismène cherche asile dans les souvenir nostalgique des heures bénies. Moi, j’en ai été rassuré. Ismène ne s’est pas déclarée et il n’y a plus de danger qu’elle se déclare. (vede à Isimena chì passa senza vede lu)
Ah ! La voici, viens ici, petite fille chérie. Je voulais te voir et tu me fais bien plaisir. Viens t’asseoir ici car l’heure est douce et nous avons tous besoin de répit après tant d’épreuves. Viens car l’heure est belle pour les familles qui se chérissent et se retrouvent. Viens et parle-moi, comme tu me parlais avant, avant, quand vous étiez enfants... il y a très longtemps... (esce u generale)

ISIMENA : Ils disent tous qu’elle a perdu la tête, notre Eurydice...
(Isimena pare ch’ella ùn lu veca ; smarrisce senza risponde)

CREONE : (firmatu solu) Comme elle s’est enfuie rapidement ! Elle paraissait suivre une ombre, un nuage, un songe, un fantôme peut-être ? ( sorte cum’è per parà la)

ISIMENA (si affacca dinò, sola è stà vicinu à a tomba) : Perdre la tête ! C’est une expression bien étrange et bien révoltante pour des gens qui décapitent et tuent au nom du réalisme politique, au nom des affaires, de la cité et de la patrie. Quand Hémon a été conduit à la mort, elle n’a fait ni une ni deux, Eurydice. Elle est allée à la fenêtre de l’est, celle du soleil levant. Les prêtres disent qu’il ne faut jamais s’y exposer parce qu’il vous troue la cornée. Il pénètre jusqu’à l’âme et rend aveugle. Ce n’est pas vrai. Eurydice y est allée ce jour-là, et quand elle est retournée dans la pénombre du palais, elle avait retrouvé le sourire. Créon a voulu la prendre dans ses bras, pour apaiser sa douleur. Elle regardait au loin. Elle l’a écarté d’un geste lent, mais résolu. Puis elle a demandé sa corbeille à tricot, elle a pris ses aiguilles et s’est mise à l’ouvrage. Depuis, elle ne s’est plus arrêtée. Elle tricote tout le temps. Je m’approche et je la regarde de tout près. Vous verriez comme son regard est étrange, paisible et profond... Il n’y a plus de blanc, ni de pupille, ni d’iris dans ses yeux. Ils sont d’un bleu uniforme, comme la mer en contrebas du rempart de l’Est. Elle a retrouvé ses esprits, Eurydice et je crois qu’elle leur parle. Elle est tout le temps avec eux. Je l’envie d’être en conversation avec les Ombres de ceux que nous avons perdus. C’est pour cela que je vais me coucher sur leur tombe. Elles vont se manifester. Venez ombres, esprits de ceux que j'aime, venez éclairer notre triste monde de votre vérité, lumineuse et pure, venez me donner le courage de terminer ce que vous avez initié !!! ( s'adrumenta)

CREONE : Tout ce marbre... ce silence... et cette froidure tout d’un coup ! et cette enfant qui dort ici ? (stupitu) : Ismène ! Comment ? Elle est sortie là-bas, je la retrouve ici ? Que sont donc ces mystères ? ces magies ? Que signifient ces visages clos, ces faces sombres, ces bouches cousues ?
Tout ce printemps! Des appels qui ammolissent la volonté... qui me feraient dévier de mon devoir de gouvernant et de chef !.. Vous n’avez pas besoin de venir me tourmenter. Je n’y suis pour rien, moi, dans tout ce bruit, tout ce fracas !
Je ne veux rien entendre ! Bouchez toutes les fenêtres et faites taire les oiseaux, les fleuves, les ruisseaux ! Que toute la nature se prosterne devant la majesté royale de Thèbes et l’ordre de ma loi.
Pouvoir ! pouvoir désiré et désiré si longtemps ! Non, je ne t’ai pas cueilli à un détour du destin pour te laisser partir à la première occasion ! A la première bouffée d’un printemps parfumé qui réveille tous les guêpiers, excite le cœur des jeunes gens et fait prendre un air pensif aux jeunes filles amoureuses de leurs rêves !

SCENE 4

CREONE, U GENERALE

CREONE : Bon ! Il paraît que vos hommes ont vu quelque chose, général !

GENERALE : A vrai dire, nous n’avons pas vraiment vu, rien de concret, ni de précis… C’est plus une impression, une rumeur davantage...

CREONE : Mais quelle rumeur ? Ce peuple s’ennivre de vins et de racontars ! Que peuvent-ils bien comploter dans leurs tavernes pleines de médisances?

GENERALE : Oui, vraiment, c’est ce que je dis moi aussi. Malheureusement la troupe fréquente les tavernes... Mais comment l’interdire ! Sans ces tavernes, la troupe serait toujours en révolte contre les ordres.
Alors, les tavernes, c’est un moindre mal. Mais il est vrai qu’il vaut mieux ne pas y aller... J’avais une ordonnance ! un type comme il faut, exceptionnel. Aucun défaut, mais le bistrot, toujours fourré au bistrot. Je lui disais tout le temps : qu’est-ce que tu fous au bistrot ? pense à faire quelques économies au lieu de gaspiller !. Eh bien ! chef, s’il m’avait écouté et mis un peu de sa solde de côté, eh bien, aujourd’hui, il aurait une retraite pépère. Une petite maison à la campagne, un jardin de fèves et de melons, un cochon à engraisser et une chèvre devant chez lui. Eh bien non, il a tout dépensé et aujourd’hui...

CREONE : Bizarre, si je ne m’abuse tu cherches à gagner du temps parce que vous me cachez quelque chose. Parle, tu sais que tu peux parler. Laisse de côté ces fadaises et dis ce que tu dois dire. Tu sais que j’ai toujours été attentif à l’opinion de mes ministres et conseillers. L’armée joue elle aussi son rôle dans un gouvernement bien réglé. Alors, parle sans crainte.

GENERALE : Ce n’est pas facile à dire. Nous, les militaires, nous sommes à l’aise pour attaquer une place-forte, mais nous ne sommes ni traîtres ni mouchards. D’ailleurs, rien n’est sûr…

CREONE : Pas de souci à se faire. Ma seule passion , c’est le bien de ce pays et pour cela, je suis prêt à laisser tout le reste. Alors, je crois que ceux qui sont avec moi, qui travaillent avec moi, ceux-là peuvent me faire confiance…

GENERALE : La chose est delicate... L’armée, c’est fait pour la guerre, or nous sommes en paix...

CREONE : : Justement ! Il est grand temps d’en finir avec la guerre et de chercher à aller tous ensemble là où nous le voulons. La paix, ça se fait, et si on se tait, on ne fait pas la paix

GENERALE : C’est un proverbe juste, juste comme vos paroles, Majesté. Mais nous, les militaires, nous ne voudrions compromettre personne. Des noms, à vrai dire, il n’y en a pas. C’est plutôt un bruit qui court... Un parti pour, un parti contre : on dit qu’il y a en ville des gens qui protestent et d’autres qui se plaignent !

CREONE : Peu importe que l’on se plaigne ! Pourvu que l’on respecte les lois ! Pour le reste, on est libre, même de me critiquer !

GENERALE : Oui, mais les gens parlent au grand jour, rappelle les vieilles histoires, ils s’excitent... c’est connu, quand on réveille les vieux conflits, on rallume l’amertume, les rancoeurs, la haine !

CREONE : Le passé, la mémoire, toujours la même rengaine. Bien sûr, on ne doit pas tout oublier mais, pour les souvenirs, il y a des moments plus favorables qu’aujourd’hui. Aujourd’hui il faut s’occuper de l’avenir et du présent. Demain, lorsque la paix sera bien ferme et solide, je veux être le premier à célébrer la mémoire de nos malheurs et à guérir ces vieilles blessures...

GENERALE : Ce ne sont pas des questions en général, il y a autre chose. C’est plus grave. Il faudrait vous méfier. Ce n’est pas spontané. Il paraît que dans l’ombre quelqu’un manipule le peuple.

CREONE : Qui est-ce ? Si c’est vrai, il ne faut pas traîner.

GENERALE : C’est délicat... Nous ne voulons compromettre personna. Il paraît qu’ils sont deux. Un ancien esclave que vous auriez fait tuer mais ne serait pas mort. Les soldats qui devaient l’égorger n’en ont pas eu le courage. Ils ont relâché l’enfant qui a juré de se venger et de vous tuer un jour.

CREONE : Balivernes qu’on colporte dans rues ! On n’en finit pas si on se met à écouter les esclaves fugitifs !

GENERALE : D’accord mais il trouve des gens pour l’écouter. Il va de tripot en tripot, de quartier en quartier, de maison en maison et fomente un soulèvement. On dit qu’il dispose d’une armée de l’ombre qui attend seulement le moment pour agir… L’heure serait proche.

CREONE : Un complot ! Une conspiration ! Mais Arrêtez-les tous, et leur chef surtout ! Je le veux vivant ! Je veux lui faire comprendre ce qu’il en coûte de se révolter contre moi, le roi de Thèbes et contre la loi Sacrée ! Allez ! Ne tardez pas ! Vous en répondez sur votre propre tête ! Si on s’en prend à la loi de Thèbes, on s’attaque à moi !

GENERALE : Majesté, tout ça ne serait rien, rien du tout ! Le plus grave est encore à apprendre... On dit qu’il n’est pas seul... Avec lui il y aurait une femme...

CREONE : La loi est identique pour l’homme et pour la femme ! Le coupable doit être recherché, arrêté et ensuite jugé !

GENERALE : Mais il paraît que ce n’est pas n’importae qui... une personne de qualité... jeune ... une enfant pour ainsi dire...

CREONE : Pour ainsi dire une enfant ! jeune et noble ! Hélas ! Fortune, à quels nouveaux tourments nous enchaîneras-tu ? !

GENERALE :Elle serait du palais... Une princesse accablée... Ultime descendante d’une famille noble, antique et infortunée...

CREONE : Tu jettes dans mon cœur la souffrance et le trouble dans ma tête ...
GENERALE : Et le peuple la plaint, le peuple se rassemble et le peuple la suit.... Elle gagne à sa cause la plupart des soldats et de leurs officiers...

CREONE : Ce ne peut être qu’elle. Seule, infortunée et triste... Est-ce possible ?... Isimena...

GENERALE (rinchjinendu si è andendu si ne): C’est vous qui l’avez dit. C’est vous...

U CORU : Après le coup qui l’a frappé, que va faire le Roi ? Il a perdu sa femme, son fils et sa nièce. Trouvera-t-il un sens à ce monde qui se dérobe, au pouvoir qui fuit entre ses doigts comme le cours du temps, trouvera-t-il force et foi dans ces lois qui sont son œuvre et qu’il veut imposer comme l’Ordre du Monde ?
Que de nuages sombres je vois s’amonceler sur sa tête ! Thèbes, Thèbes, il est donc écrit là-haut que tu ne doives connaître que tourments et malheurs ?

VOCE

Dans ce cercle bien fermé
tourne l’âme tourmentée
personne n’est à l’abri
quand la loi se fait rigueur
il n’y a arme ni recours qui vaille
le destin est un fardeau

le destin est un fardeau
Créon s’en est endu compte
le puissant devient galérien
il est chargé de fers
qui emprisonnent l’âme
sa vie est une geôle

c’est une geôle effrayante
qui donne froid dans le dos
ils ont beau vouloir donner le change
les rois arrivent à la mort
un abîme funeste
ce ne sont que meurtres et emprisonnements

SCENE 5

CREONE, U GENERALE, I GUARDIA

CREONE : Non, personne ne fera croire que le complot est né ici, dans ma maison, chez moi, avec ceux qui me voient, qui me connaissent, qui entendent mes pleurs lorsque je suis tout seul et que la nuit, discrète confidente de tous nos malheurs, accepte que pleure un Roi.

U GENERALE : Peu importe qu’il y perde la vue ou qu’il dorme sans remords. L’image que le peuple a de ses maîtres compte plus que ce qu’ils sont réellement.

CREONE : Et moi ? que pense-t-on de moi ? que dit-on?

U GENERALE : La politique est un art difficile, majesté. Les peuples sont ingrats. Ils ne voient que ce qu’on fait...

CREONE : La patrie restaurée, les ennemis, étrangers renvoyés dans leurs contrées, les places publiques se sont remplies de gens...

U GENERALE : On ne s’en soucie pas... On ...

CREONE : Les marchés tout fleuris, des cris de joie, les marchandes...

U GENERALE : On les oublie. Les choses de la paix… tout paraît si normal...

CREONE : Normale, la paix ?! Une conquête de chaque jour, chaque minute, une victoire permanente arrachée à l’habitude de s’entre-tuer, un effort continu contre la folie humaine et la cruaté des dieux

U GENERALE : Majesté, vous blasphémez !

CREONE : Non, c’est la vérité ! Les dieux sont la forme suprême de ce que l’homme est ici-bas, aujourd’hui même, et de ce qu’ont été les fantômes qui font tout ce tintamarre, là-dessous... Tenez ! tais-toi ! taisez-vous tous ! Tu les entends griffer, gratter, râcler sous nos pieds ! Ils veulent revenir ici !

U GENERALE : O Majesté, que les dieux nous pardonnent!

CREONE : Qu’ils nous laissent gérer nos affaires d’hommes, d’hommes vivants ! Vous restez là-haut ! et vous, restez donc en-bas. Il n’y a pas de place pour vous dans notre monde !

U GENERALE : Mais le peuple y croit, il honore ses morts !

CREONE: Qu’il y croie, qu’il les honore, mais vivons donc pour aujourd’hui et non pour hier ou avant-hier. Nous avons un pays à reconstruire. Nous avons eu des années et des années de guerre. Et pour certains, la guerre c’est une aubaine !

U GENERALE : Mais l’armée pense la même chose qu’eux. Le bruit court qu’après les vétérans, on va en démobiliser beaucoup de militaires…

GUARDIA 1 : (da parte è sottu voce) Tiens ! (face e corne !) Si la trêve dure, nous sommes perdus ; ils nous ont déjà baissé l’indemnité de campagna...

GUARDIA 2 : (da parte è sottu voce) et pour la prime de risque prendra bientôt le même chemin !

GUARDIA 1 : (da parte è sottu voce) Attends, s’il va trop loin, je vous dis qu’il n’y aura plus ni roi ni pouvoir qui tienne !

GUARDIA 2 : (da parte è sottu voce) Heureusement, on n’est plus comme avant : les rois, c’est bien beau, mais nous sommes soldats et la guerre, c’est notre gagne-pain ! et moi, je ne suis pas prêt à me laisser ôter le pain…

CREONE : En effet, il y a plus d’un an que la trêve a été proclamée. Si j’ai les coudées franches, la paix définitive, c’est pour d’ici à six mois. Je veux faire de Thèbes un jardin...

GUARDIA 1 : (da parte è sottu voce) Un bordel plutôt !

GUARDIA 2 : (da parte è sottu voce) Et la trêve leur politique de merde...

U GENERALE : La troupe s’inquiète, Majesté, les vétérans démobilisés se réunissent la nuit venue et nous avons déjà arrêté des agitateurs...

CREONE : Continuez les arrestations ! Mais ne faites aucun mal à personne. J’irai les voir, je leur parlerai, j’expliquerai. S’il le faut, j’irai dans toutes les prisons, toutes les cellules, toutes les maisons et je parlerai à chacun. Je suis certain qu’ils comprendront : le devoir, la loi, la politique, ma politique et ce qu’exige la paix.

U GENERALE : Les événements se précipitent, la situation change d’une heure à l’autre... On ne se cache plus pour parler contre vous...

CREONE : Mais qu’on parle ! qu’on se défoule ! Pourvu qu’on n’agisse pas !
U GENERALE : Mais ils agissent... ils s’agitent!... On en prend un toutes les heures… Ils sont trop nombreux. Désormais, on ne peut plus les raisonner. Toutes les heures, on me fait le rapport et toutes les heures le nombre des conjurés a augmenté. Justement, voici l’officier...
(In fondu à a scena si vede affaccà un uffiziale, seguitatu da a serva d’Isimena chì pare attunita è annafantata. L’uffiziale è u generale parlanu inseme ; l’uffiziale sorte ; a serva stà ; u generale volta versu à Creone)
 

CREONE : Alors, que dit-on ? qu’y a-t-il ? où en sommes nous ?

U GENERALE : Mauvaises nouvelles. Très mauvaises... Ça casse. Tout fout le camp. Il paraît que le faubourd de l’est est en effervescence ; la troupe est impuissante ; ils se sont enfermés dans la citadelle.

CREONE : Les responsables! Les chefs de la révolte ! Prenez-en un et tout s’arrête!

U GENERALE : Justement, majesté, nous en avons pris un … ou plutôt une... D’après les gardes, quand a eu lieu l’assaut contre la bande en révolte, ce fut la débandade. Elle a été la seue à rester, elle s’est approchée très calmement et a tendu les mains pour se faire garrotter.

CREONE : Une folle.... Alors, tout va bien. Je connais bien ces mouvements des foules qui s’excitent. Oui, les gens protestent, mais agir, c’est une autre paire de manches. Il faut des chefs pour faire bouger le peuple, il faut des meneurs ! Ceux-là, ils sont vraiment comme tout le monde et puis un jour, ils perdent la tête et se déclarent! Il suffit d’un rien : quelques badauds qui passent : ils les appellent ; les font s’arrêter ; ils s’emparent d’un tonneau, le renversent, se juchent dessus et se lancent dans un discours effréné. Ils parlent, ils discourent. Les crétins s’agglutinent tout autour. Ils se grisent de paroles, ils s’enflamment et veulent pourfendre la terre entière. C’est à ce moment-là qu’on doit intervenir et se montrer durs même si on ne le veut pas.
Le meneur ! le chef ! Le chef des rebelles ! Prenez-leur leur chef et ils s’en retournent chez eux, la queue basse et gentils comme des toutous. Amenez-le ici et annoncez partout que nous tenons les chefs de la révolte et que, à partir de cet instant, les gens qui ne rentrent pas chez eux, connaîtront le même sort.

GUARDIA 1 : (cù guardia 1) Bon ! si la roue tourne, elle ira dans le bon sens !

GUARDIA 2 : (à voce alta) A la bonne heure ! Voilà comment sont nos chefs ! Vive Créon ! Vive Thèbes ! Vive la Patrie !

U GENERALE : Ce ne sera pas facile. Tout se complique... On ne peut agir... La personne qu’on a arr^petée n’est pas n’importe qui...

CREONE : La loi est la même pour tous ! Un gouvernement qui est sensible aux différences d’origine est un Pouvoir qui se condamne...

U GENERALE : Mais, c’est que …celle-là, votre nièce… la princesse… Ismène...

CREONE : Ma nièce... Ismène… Mon Dieu !...
(piglia è và à pusà, cù aria attunitu è ammazzatu da a surpresa è a pena, mentre chì U CORU dice l’illusione di Creone ma ancu quella di Isimena)

U CORU
La vendetta est déclarée
par les dieux immortels
Créon est aux abois
son avenir est bien fatal
s’agiter ne sert à rien
car la hache du bourreau va s’abattre sur lui

Mais il croit encore au Pouvoir
et au salut de l’Etat
Il n’a pas d’autre passion
d’autre Foi, d’autre passé
Il est prêt à tout tenter
mais la hache du bourreau va s’abattre sur lui

Il ne connaît pas une jeunesse
qu’il croit faible et désarmée
Mais Ismène n’est plus
dans l’ouate de l’enfance
Elle s’est dressée contre la loi
C’est son choix : ce n’est pas une folie

Le roi ne sait manier que l’effroi
la crainte du châtiment, de la peine, de la toture
la promesse de grands tourments
et une justice menaçante
La jeune fille ne l’entend même plus
Son arme c’est sa jeunesse

Une arme qui ne sauve pas
qui ne tue pas, sinon soi-même
Elle rêve de nier la mort
Et croit qu’il suffit de croire
Elle n’a que son amour tout pur
Mais le doute pèse sur l’amour

GUARDIA 1 : (cù guardia 1) Créon a perdu la raison ! Malheur et disgrâce ! Vois comme il est souriant et serein !...
(Di fatti, Creone chì era trafalatu in u tronu reale, si pesa dirittu è decisu è dà i so ordini)
 

CREONE : Allez, vite ! Faites venir Ismène, ma nièce (ride), vous imaginez le danger qui menace le Pouvoir et mon trône! Allons, qu’on se dépêche car il y aurait de quoi mourir de rire s’il n’y avait pas tout ce va-et-vient de gens surexcités dans les rues de notre belle cité !

U GENERALE : Quand même, c’est une conspiratrice, votre Majesté...

CREONE :C’est ma nièce, Monsieur le général, ma nièce...

A SERVA : Une jeune fille, Majesté, une toute jeune fille et tout-à-fait innocente!

CREONE : Taisez-vous et laissez-moi faire ! Ne vous étonnez ni de ce que je dirai ni de la frayeur que j’ai l’intention de lui inspirer. Mais cela lui servira de leçon! Les jeunes filles et les femmes doivent s’inquiéter de ce qui regarde leur sexe, leur âge et leur condition. La politique et le gouvernement de la Cité des Hommes sont choses trop sérieuses et trop graves pour s’accommoder de l’humeur et des caprices de ces insouciantes qui n’ont pas encore été servées du lait maternel..
Elles sont bien crédules et prêtes à s’amouracher du premier bellâtre qui vient leur raconter que leur oncle est un tyran et qu’elles gagneront gloire et passion si elles mettent à mort le monstre qu’elles ont à la maison !
Avec Antigone, c’était autre chose, mais Ismène.... Allons, qu’on amène Ismène et qu’on me laisse faire !

SCENE 6

CREONE, ISIMENA, U GENERALE, I GUARDIA, A SERVA

CREONE : Alors, alors, je crois bien que nous sommes au Carnaval, puisque l’on m’a déguisé ma chère nièce en conspiratrice ! Allez, lâchez-la ! Otez-lui ses chaînes et éloignez-vous d’elle ! … Enlevez vos mains de rustres et laissez-la respirer...
A nous deux, maintenant, ma petite nièce chérie ! Qu’est-ce donc que cette comédie ? Qu’est-ce qu’on me raconte, d’une conspiration contre moi, contre l’Etat, Thèbes, notre Patrie ? Tu croyais donc pouvoir tout faire sans te montrer ? Tu croyais donc monter toute seule une conspiration ?

ISIMENA : Non, je ne suis pas seule. Vous avez perdu, mon oncle. Aujourd’hui, le peuple tout entier gronde. C’est un torrent qui monte, mon oncle. Entendez-le gronder. Il va vous emporter, vous et vos lois iniques. Votre pauvre petit pouvoir a perdu la partie. Vous n’étiez qu’un roitelet et vous avez voulu égaler la puissance légitime des vrais rois. Mais vous avez perdu désormais.

CREONE : Tais-toi, impertinente, c’est toi qui as perdu ! Tu es découverte ! Honte à toi ! Une princesse de sang noble qui, la nuit venue, parcourt les cantines et les rues...

ISIMENA : Vous voilà bien, les potentats sans grandeur, préoccupés de respectabilité plus que d’estime et de respect véritable ! Pour une cause juste ! J’ai rusé, j’ai feint de me désintéresser du pouvoir, de la vie, de ne pas entendre les appels du printemps, de ne pas voir les signes de la vie qui nous appelle à renverser les despotes, à nous dresser contre des lois injustes, faites pour et par des tyrans comme vous. Eh bien ! j’ai réussi, nos partisans sont prêts et au moindre signe, la révolte...

CREONE : Tu seras morte avant ! En ce moment-même, mes gardes pénètrent chez tous les conspirateurs. Nous avons tous leurs noms !

ISIMENA : Il y en a d’autres ! Un autre groupe s’est organisé dans le faubourg du Sud et un autre encore dans le faubourg de l’Ouest. Il est conduit par un vaillant capitaine, un prince au visage de dieu, à ce qu’on dit...

CREONE : Tais-toi ! Je sais tout ! Même ce que tu ne sais pas ! Un ancien esclave que j’ai chassé du palais, il y a bien des années, un domestique, un petit noir. Je l’ai appris par mes agents.

ISIMENA (da sè à sè):Un esclave noir ! chassé autrefois du palais ! quelle pensée vient éclairer ma mémoire...

CREONE : Il sera pris lui aussi, sois sûre ! Et il moura ! Tu mourras toi aussi. Ismène, bien que tu sois ma nièce, bien que tu sois fille de roi. J’ai fait mourir ta sœur. Ne savais-tu pas que je te ferais mettre à mort à ton tour ?

ISIMENA : Oui, je le savais.

CREONE : Peut-être as-tu cru qu’il suffisait d’être la fille d’Œdipe, la fille de l’orgueil d’Œdipe pour se trouver au-dessus des lois ?

ISIMENA : Non, je n’ai pas cru cela..

CREONE : Baisse les yeux et tais-toi ! ... O les yeux bleus qu’ont les enfants d’Œdipe ! Les yeux bleus. A Thèbes personne ne les a ainsi. Des yeux d’acier comme l’immensité de la mer. Le berceau des dieux. Des yeux d’orgueil. Tu es l’orgueil d’Œdipe et celui d’Antigone. Oui, maintenant je te crois parce que les ai retrouvés au fond de tes yeux.
Tu as tout calculé. Une belle mécanique échafaudée pour toi. Pour ta gloire, comme vous dites, du côté d’Œdipe. Tu as voulu te servir de moi. Tu croyais que j’appliquerais la loi, que je te ferais tuer ? Tu as cru que ce serait une fin normale pour toi, étant donné l’orgueil que tu as ? Le malheur des hommes, pour vous est une chose trop vulgaire. Trop humble. Avec l’humain, vous vous à l’étroit, vous qui êtes de cette famille ? Vous, vous devez tutoyer le destin et la mort. Et puis tuer votre père, coucher avec votre mère et lui faire l’amour. Votre plaisir, pas vrai ? Votre plaisir, ces mots qui vous condamnent ? ET le plus simple, ensuite, c’est de se crever les yeux et de s’en aller par les rues en demandant l’aumône.
Eh bien non ! La mascarade est terminée. Thèbes avait droit à des princes humains, sans histoire et demain elle pourra vivre heureureuse et sereine. Telle est ma décision.
Crois-moi, je suis un passionné, moi aussi ! La seule chose est que ma passion ne me porte ni aux catastrophes, ni aux séismes, mais au droit chemin des gens qui ne veulent pas marcher plus vite que ne l’ont décidé ceux d’en-haut !
Nous sommes des gens discrets, mais obstinés, nous qui aimons la Patrie. Nous ne nous soucions que des jours sans histoire, quand les marchés sont ouverts et que les marchandes des quatre saisons vantent les fruits de leur jardin comme si c’étaient les pommes d’or des Hespérides ! Oui, je m’appelle Créon et, mis à part que je suis roi, je ne veux pas avoir une pensée plus haute que celles de mes compatriotes. Oui, j’ai les pieds sur terre et les mains dans les poches et, puisque je suis roi, j’ai décidé une chose toute simple. Nous allons faire en sorte que ce monde soit un peu moins absurde, si possible. Ce n’est pas la mer à boire. C’est le métier d’un roi, sans histoire. Puisque je suis ici pour être roi, je vais faire mon métier. Et si demain descend de la montagne un messager couvert de sueur et de boue pour m’annoncer lui aussi qu’il ne sait pas exactement qui m’a fait naître, je l’enverrai balader. Thèbes a été ruinée par des années et des années de guerre et il y a tant à faire. Avec mes ministres j’ai décidé qu’elle redeviendra la capitale de la Méditerranée. Comme au temps d’autrefois. C’est pourquoi je ne peux consacrer un seul instant à ce que vous aimez : drames, tragédies, destin et malédiction.
Ecoute bien ce que je vais te dire.
Tu es Ismène, tu es la fille d’Œdipe comme ta sœur. L’orgueil, tout le monde sait que vous vous le transmettez de père en fils comme un trésor à faire croître et fructifier. Mais moi, je n’aime pas ça et ne veux pas l’aimer.
Il n’y a pas si longtemps, tout cela aurait fini avec deux claques. Alors, je vais tout oublier : le complot, les réunions durant la nuit, les conspirations et tout le reste… Je ne veux pas te faire mourir ! Te faire mourir ! Tu t’es regardée, petite morveuse ! Je te fais don de la vie, de la vie ! Et de la paix.
Tu peux m’en croire : rien ne vaut la vie.
Crois-moi, ma chère enfant : rien ne vaut la paix.
Douceur de ma maison, comme tu es précieuse ! Tu vas rentrer chez toi tout de suite, (li insegna una porta), et ensuite faire ce que je t’ai dit et te tenir tranquille. Je m’occupe moi-même du silence des autres. Allez, va-t-en. Et ne me fusille pas du regard. Bon, tu me prends pour une brute, je sais. Mais si je te parle ainsi, c’est parce que je t’aime malgré ton fichu caractère et la conspiration que tu voulais monter. N’oublie pas que ta première poupée, c’est moi qui te l’ai offerte il n’y a pas si longtemps.
(Isimena parte in a direzzione opposta)
Arrête! Où t’en vas-tu de ce côté ?

ISIMENA : Vous le savez, mon oncle...

CREONE : Enfin, à quoi joues-tu ?

ISIMENA : Ce n’est pas un jeu, mon oncle et vous le savez bien

CREONE : Il ne sert à rien de se tourmenter, de torturer son âme et son cœur. N’avons-nous pas payé assez cher ?

ISIMENA : Si c'était à refaire, vous feriez la même chose. Antigone aussi. Seulement elle, sans doute, est en paix maintenant.

CREONE : Mais comment peux-tu dire cela ? ! Avec la mort, on ne gagne ni la paix, ni rien du tout. Avec la mort, on gagne la mort, un point c’est tout !

ISIMENA : Tout ça pour asseoir votre maudit pouvoir, pour ne pas perdre la face, parce qu'il le fallait, à ce que tu prétends !!!

CREONE : Mais que pouvais-je y faire? ! C’est ça, la tragédie. Elle vous tombe dessus, tout d’un coup. Pas de quartier. Quand nous sommes pris dans ce maudit engrenage, il n’y a jamais d’issue et chacun joue son rôle de mort et de deuil. Moi comme les autres. Et toi aussi, même si tu veux être une exception et t’en laver les mains. Ou plutôt ce n’est pas ça. Il y a une différence essentielle entre les gens comme Oedipe et ceux comme Créon. La parenté nous a rendus très proches, mais nos idées très opposés. Moi, j’ai choisi la paix, l’amour de la patrie et un gouvernement simple et bon. Mais pour vous, plus il y a de malheurs, plus il y a de plaisir.
(prova à allusingà la, a piglia in braccetta è face dui passi)
C’est toute la différence entre la reine Eurydice et moi d’un côté et vous, Œdipe, Jocaste et leurs petits garnements ! Est-ce que tu te souviens de nos promenades en montagne ? Si nous étions à la croisées de deux chemins, tu peux être sûre que nous choisissions la voie praticable, qui sent les cultures et le châtaignier tandis que vous, vous empruntiez les tracés les raccourcis périlleux à se rompre le cou. Hémon pleurait, le pauvre petit, parce qu’il voulait te suivre.

ISIMENA (ritirendu si): Moi, je n'ai rien choisi de tout cela. Je n'ai rien demandé et pourtant le malheur m'a frappé autant que les autres. Toi, tu as voulu ce pouvoir, Antigone a choisi de le refuser mais moi, j'ai subi, j’ai tout subi. Je n’ai fait que subir vos traîtrises. Vous avez été des traîtres. Oui, vous avez trahi les enfants que vous étiez ! Qui, de nous, aurait voulu de cela, enfant ? Personne ! Et c'est vous qui l'avez fait.

CREONE : Mais pourquoi prler d’enfants ? Tu crois que détenir le pouvoir est compatible avec le rêve et les enfantillages ?!

ISIMENA : C’est bien là ton erreur, mon oncle. Tu as tué l’enfant que tu portais en toi !

CREONE : Mais c’est de la folie, du délire ! ?

ISIMENA : Oui, l’enfant que tout être humain porte en lui et qui parle quand on n’écrase pas ses lèvres sous les mains monstrueuses de la force et du pouvoir... Vous souvenez-vous, mon oncle, du petit domestique maigre et noiraud qui vous regardait avec des yeux remplis de crainte quand il vous arrivait de pousser, père et toi, jusqu’à l’aile du palais où se tenaient les femmes et des enfants ?

CREONE : Maigre et tout noir. Comme le sont les gens faux, les voleurs et les traîtres. Maigre, sec et noir, un teint de nuit, le teint des espions...

ISIMENA : Il courait nous prévenir, et tout se taisait. Les conversations enjouées, les chuchotements complices, les éclats de rire étouffés, la joie réprimée au fond de nos poitrines et les refrains que nous osions à peine sussurer entre nos dents parce que vous aviez décrété que dans la maison royale il ne fallait que majesté et gravité.
Il courait nous prévenir. Vous l’avez cru esclave, il était notre confident. Notre compagnon de jeu. Notre héraut : “ Les voilà, les voilà ! ”. Je l’aimais. Nous nous aimions.

CREONE : C’est bien pour ça qu’il a fallu s’en débarrasser. Il le fallait....

ISIMENA : Il le fallait ! Nous n’étions déjà plus des enfants... quand vous arriviez dans vos pas d’ordre, d’armes et de punitions ! Nous nous terrions dans la peur que vous nous inspiriez : nous étions redevenus des petits de rois et de princes et tout rentrait dans l’ordre. Dans votre ordre. Pourtant nos cœurs chantaient dans nos poitrines et nos regards continuaient à se conter les histoires que vous aviez interrompues.
D’autres fois, ne pouvant nous prévenir, il nous laissait des petits billets tout froissés, dissimulés sous les grosses pierres qui bordent le vestibule : “ ils ne vont pas tarder ”, “ Ils reviennent ”, “ ils sont là ”. Et il y ajoutait toujours un petit dessin espiègle, le trait rapide d’une caricature ou nous reconnaissions sans mal l’un ou l’autre des potentats qui avaient fini par usurper la place du père et de l’oncle que vous n’étiez déjà plus ni pour Hémon, ni pour Antigone et moi.

CREONE : Des parlottes, des contes d’enfants, des radotages et puis c’est tout ! Dès leur enfance les princes doivent se préparer à leur destin futur. Il n’y a pas de place pour les mamours : une haute destinée ne peut s’accommoder des délicatesses de l’enfance. Les princes auront un jour à construire l’histoire.

ISIMENA : L’histoire ! Il faudrait, à vous entendre, n’avoir à l’esprit que l'histoire, un mot vide où retentit la longue litanie des grandes erreurs humaines. Vous n'avez pas seulement été capables de vous souvenir de votre enfance, de vos propres rêves. On ne peut rien retenir de l'histoire si l'on s'oublie soi-même !
Un jour, il a disparu. Vous deviez l’avoir chassé, ou étranglé, ou emmuré vivant, lui aussi...
J’ai cru qu’il ne vivait plus parce que je n’ai plus entendu son rire chanter en moi. Pourtant, bien des semaines après sa disparition, j’ai retrouvé l’un des petits billets écrasé sous un des galets du vestibule. Un morceau de papier tout sec et crissant comme une souris momifiée. Les paroles en étaient effacées, mais le dessin était encore visible. Un gros monarque ridicule, une panse effrayante sur des membres grêles et fragiles. J’ai souri. Vous passiez. Vous vous êtes arrêté et, soupçonneux, vous m’avez demandé, pourquoi ce sourire sur mes lèvres. Je n’ai pas répondu, mais depuis je n’ai plus su sourire.

CREONE : Je souffre autant que toi, je souffre. Tu crois que je n’ai pas de regret, pour ce que j’ai été contraint de faire ?

ISIMENA : Tes remords ne m'apitoient pas ! Maintenant, nous n'avons plus rien à nous dire… Il te faudra, tout comme moi, parler avec les morts.

CREONE : Ce sont les mêmes mots. Vous êtes toutes pareilles. Ta sœur disait les mêmes mots. Le monde veut tourner paisiblement, mais vous n’en voulez pas de la paix ! Vous cherchez, vous fouillez dans les choses oubliées, vous creusez le sol des cimetières.
Le malfaiteur consent un jour à oublier ses méfaits, le vaincu est tout prêt à oublier son vainqueur ; le vainqueur lui aussi oubliera un jour sa victoire, les litiges, les malédictions, la haine sombre et l’appel au meurtre. Sans vous, le monde entier serait prêt à se passer de la vengeance. L’humanité entière cherche à pactiser, à conclure, à détendre les ressorts de la tragédie, mais vous voilà et tout est réduit à néant. Il suffit de deux filles à histoires et tout recommence…

ISIMENA : L’humanité, le bonheur ne s’achètent pas au prix du silence, de l’abandon, mais de la justice, de l’honneur...

CREONE : La justice, l’honneur ! Tu parles ! C’est avec ces sornettes qu’on met en danger l’Etat, l’Homme et la Famille. L’honneur et la justice sont des embûches sur la route du bonheur humain.
Qu’est-ce que tu crois ? Tu penses que je ne l’ai pas vue, la justice d’Antigone ?.Depuis que je suis devenu roi, j’ai toujours été en éveil, à l’affût, suivant toujours, jour et nuit, les agissements de ceux qui menacent l’ordre dans nos sociétés. Une nuit, nous filions un individu qui nous avait été signalé comme un conspirateur potentiel…
C’était le long du fleuve qui coulait, sombre et muet comme le sont tous les dragons et les bêtes fantastiques qui s’éveillent du moment où le soleil se couche jusqu’au point du jour. Un brouillard indécis masque la face effrayante de la lune… Nous avons suivi l’homme et à chacune de ses haltes, près d’un chêne, d’une roche ou des roseaux qui crépitent lorsqu’on pose le pied dessus, eh bien à ce moment-là, un peu plus loin, sur le côté, dans une zone obscure, nous voyions une forme humaine qui s’arrêtait elle aussi. Tout d’un coup une rafale de vent a balayé la brume et la nuit soudain s’est éclairée. Elle a révélé le visage de celle qui marchait dans la nuit, sur la route des délits, du crime et de l’assassinat. C’était elle, elle, je te le le dis ! Antigone ! Ta sœur !

ISIMENA : Mensonge : ! Mensonge éhonté dont je ne perçois ni la cause ni l’intention, si ce n’est de briser qui vous résiste et vous tient tête dans votre rêve insensé de convoquer le monde à vos pieds, et d’humilier votre nièce, reste pitoyable de la race légitime des rois de ce pays !

CREONE : Silence ! Ecoute-moi. Je te dis que c’était elle ! Depuis longtemps je savais que les forces nocturnes adressent les mêmes signes au criminel et aux prétendus innocents. C’était elle ! Des innocents, il n’y en a pas dans ce monde ici-bas ! C’était elle ! Tous complices et coupables, s’il n’y avait pas la loi et l’ordre pour y veiller ! Pour imposer le respect des seules valeurs permettant la vie en communauté, sans amour, sans chaleur, je te le concède, mais dans l’idée de perpétuer la vie, la petite flamme de la vie, alors que les forces déchaînées du sort et de la tragédie ne promettent que mort et destruction.
C’était elle, elle cheminait, elle savait où elle se rendait. Au bout d’un moment nous sommes arrivés près d’une cabane abandonnée ; elle y a pénétré résolument, sans regarder autour d’elle. J’ai ordonné aux soldats de suivre le conspirateur et je suis resté seul aux abords de la cabane. Je me suis approché à pas de loup et je les ai vus, ensemble, tous les deux. Elle était venue le retrouver...

ISIMENA : Antigone, un amant ! Vous me faites pitié !

CREONE (chjama i guardia) : Allez, emmenez-la, saisissez-vous d’elle et allez ! je ne veux plus l’entendre !
(Isimena esce seguitata da a serva. U rè li mughja ste parolle ch’ella ùn sente)
Oui, Antigone avait un ami, un amant ! Je suis soulagé de ne pas avoir à te révéler son nom maintenant. Car quand tu le sauras, tu regretteras de ne pas avoir été sourde et aveugle toi aussi !
(dopu à una stonda, cù una risa amara) Moi aussi, cette nuit, j’ai reçu une visite. C’était elle.
La Mort. J’ai senti son souffle qui venait sur moi, tout près de moi. Un souffle lourd et poisseux, comme de la terre remuée et humide. Elle s’est frayé un chemin dans la foule, est venue devant moi ; elle me cherchait. La face effrayante de la Gorgone. Elle est venue rapidement, s’approchant de plus en plus vite. Tout mon corps a été parcouru d’un frisson. Sa forme s’est précisée à mesure qu’elle approchait. Je me suis alors planté sur mes jambes, ferme et résolu. Son visage est alors devenu très étroit, comme une lame, et à la fin elle a disparu subitement en moi, un peu comme si je l’avais avalée dans mon corps. Je me suis réveillé et j’ai voulu pousser un cri. Crier, vomir au-dehors la voix, la chose que j’avais avalée. Mais en vain. Rien n’est monté à mes lèvres. Pas un son, pas un cri, pas un pleur, ni aucune parole. Je crois que j’ai la mort sur moi. Possédé. Une tache noire et glacée en travers de mon âme.
Pourquoi ces images ne m’abandonnent-elles pas ? N’est-ce pas assez de la douleur ? Sur moi rôde l’autre douleur, l’angoisse du moment fatal, la déchirure. Je suis le jouet de la mort. Mais ce ne sera pas chose facile, ô Mort, je te le dis ! Les autres se sont livrés d’eux-mêmes, offerts en victimes. Mais moi, il faudra que tu t’extirpes de mon corps, de ma voix, et que tu luttes pour m’emporter !

Comme la loi est cruelle
Elle contraint hommes et choses
Elle est sombre plus que la poix
Quel destin épouvantable
Créon s’est révolté (contre le destin)
et par sa révolte il s’est condamné

Ismène est condamnée
Elle se lamentera sur son sort
(car) Elle croyait être aimée
Mais elle va apprendre pire encore
La douleur de la trahison
Sera son plus grand tourment

Elle ne connaît pas encore ce tourment
Qui ne laisse aucune place à l’espérance
Aucune paix, aucun plaisir,
(Un tourment) auquel la Fortune n’apporte
aucun apaisement (lumière)
Et qui la laissera toute seule
La victime de ce mythe

SCENE 7

CREONE, ISIMENA tenuta da I GUARDIA, U GENERALE, A SERVA

Sò davanti à u cadaveru di Euridizia. Sentenu u racontu ch’ella face a serva

GUARDIA 1 : On ne pouvait pas imlaginer cela. Une chose bizarre. On ne peut dire précisément ce qui s’est passé. Mais qui a donné l’ordre ?

A SERVA : Il faisait nuit noire. Pas un bruit.

GUARDIA 1 : De temps à autre un cri poussé du côté des quartiers nord. Un rebelle…

U GENERALE : Ils se sont soulevés en dernier, les quartiers nord. C’était presque fiuni, mais ils ne le savaient pas. Ils ne savaient rien. Ils avaient été soulevés par un type que nos indicateurs filaient depuis un moment.

GUARDIA 1 : On dit que c’était un de ces étrangers... un Africain... un esclave noir...

U GENERALE : Ils allaient, venaient et couraient dans tous les coins. Ils buttaient sur toutes les murailles On aurait dit des rats pris dans une souricière.

A SERVA : C’était une nuit chaude et la mer rugissait plus que d’habitude. Je suis allée fermer la fenêtre. La voûte du ciel s’est allumée d’un coup.

GUARDIA 2 : Les sentinelles étaient postéees sur les remparts. C’est bien leur poste, n’est-ce pas ? Au signal, les archers ont décochés leurs flèches.

U GENERALE : Nos archers sont adroits. Chaque coup fait mouche.

CREONE : Le signal ? Qui a donné le signal ?

GUARDIA 2 : Il y avait peu de bruit. La révolte des autres quartiers s’értait déjà éteinte.

GUARDIA 1 : Il pleuvait des traits de toutes parts. En peu de temps on n’a plus entendu un seul bruit.

U GENERALE : Les conjurés avaient disparu. La conjuration est terminée.

CREONE : Ce n’était pas ça, les ordres. Je vous ai dit d’emprisonner, pas de tuer. Et vous m’avez trahi.

GUARDIA 2: Quelqu’un a bien donné l’ordre. Sans ordre, l’armée n’a jamais bougé.

U GENERALE : Je ne sais pas qui c’est, mais il le fallait, Majesté, il le fallait. Les conjurés contrôlaient tout le quartier et avaient dérobé les armes des gardes qui s’étaient débandés à travers champs.

GUARDIA 1 : À un moment donné un type est venu butter contre moi. Ah ! il n’a eu le temps de rien faire. Il a écarquillé les yeux et fait mine de se protéger. Je l’ai embroché comme ça. Il a ouvert la bouche. Il m’a craché tout son sang sur moi.

CREONE : Ce n’était pas ça, les ordres. Vous les avez assassinés.

U GENERALE : Il y en avait partout.

CREONE : Vous les avez tués. Je les ai vus. Un fleuve de sang court dans les rues de Thèbes. Moi, je n’ai tué personne. Nous sommes innocents nous, les rois et les princes. Nous avons en charge la vie, pas la mort. Les coupables, c’est vous. Il faut obéir. Les ordres. Les consignes. C’est la Loi. Le destin. Ceux d’en-haut. J’ai entendu appeler et je suis sorti sur la terrasse. Il y avait un Sfinx tapi dans l’ombre bleue. Il m’a sauté dessus. Il est en moi, maintenant, et il me déchire l’âme. Il a des ongles de fer et me laboure avec ses griffes.

A SERVA : La fenêtre. La lumière bleue, d’un coup, a recouvert le monde. Du côté de l’Est le monde s’illumine. Je suis allée fermer les rideaux. Trop de lumière pour dormir. Trop de lumière pour reposer. La pleine lune toute ronde. La reine Eurydice. Mon Dieu ! Pendue.

CREONE : Qui appelait ? dis-le qui donc a appelé ?

ISIMENA : C’est toi qui l’as tuée, avec tes ordres, avec tes flèches. Tes ordres sont des ordres de mort. Elle était toute droite, comme un pilier qui aurait voulu soutenir toute la nuit. Contre toi et le mot de mort que ta bouche crache sur Thèbes. Elle était transpercée par la lumière. Des flèches partout. Le corps troué de flèches et de rais de lumière. Exsangue. Il n’y a plus une goutte de sang dans cette ville.

U GENERALE: Quelqu’un a crié : « Au secours ! au secours ! C’est Eurydice, la reine. On l’a tuée ». Je me suis approchée. Je croyais que c’étaient deux flèches, mais non ! c’étaient les aiguilles de sa pelote de laine. Les aiguilles dans les yeux. Les deux yeux. Deux ruisseaux de sang bleu qui tiraient derrière eux toute la mer de l’Est.

A SERVA : Le soleil ne se lèvera plus sous le rempart de l’Est. La reine s’est tuée.

CREONE : Tout n’est que mensonges ! Elle ne s’est pas tuée ! Il y a longtemps qu’elle est morte, Eurydice. Le soir de la disparition d’Hémon, notre fils chéri. Tous des menteurs ! Tous coupables. Les victimes, c’est nous. Les rois. Les princes. Nous qui sommes au commandement. Mais nous ne commandons pas.

ISIMENA : Sous les remparts de l’Est s’est allumé un grand feu. Un incendie tout bleu. Il a jailli de l’eau. C’était un volcan sous-marin qui crachait du feu tout bleu.

CREONE (andendu si ne, cumu s’ellu seguitava à Isimena chì hè firmata custì) Il a giclé de la mer et c’était comme un volcan marin qui crache du feu tout bleu. Tout bleu : le ciel, les yeux, la mer, et puis mon cœur. Tu te souviens, Ismène, du maître de dessin lorsqu’il vous disait : (u riface, tonu didatticu) le bleu est une couleur froide ? Si vous préférez, vous avez le rouge, le jaune et toutes les couleurs chaudes. Toutes chaudes, les couleurs, toutes chaudes ! Qui veut des couleurs Toutes chaudes ?

SCENE 8

ISIMENA, A SERVA

A SERVA : Allons, ma petite fille, il est encore temps de te sauver, si tu veux. Le roi Créon va mieux. C’était la douleur. Nous l’avons cru fou. Il a repris tous ses esprits. Il a parlé de toi et s’est laissé convaincre. Pourvu que tu sois raisonnable. Accepter de rentrer au palais et de reprendre ta vie d’avant. C’est la seule condition. Une princesse, fille du roi précédent et nièce du roi actuel. D’ailleurs le roi Créon est fatigué. Harassé. Trop de malheurs, trop de soucis, trop d’infortune. Il a besoin d’affection. De soins et de repos.

ISIMENA : Je deviendrais donc une garde-malade ! Une gentille petite princesse qui attendra que rentre le roi après une dure journée de labeur de roi : des innocents emprisonnés, des opposants égorgés, un peuple sous le joug ! Pendant que je laverai ses mains souillées du sang des innocents, je lui réciterai les fables de nos poètes pour soulager son cœur ? ! Je lui chanterai les airs mélodieux de notre Thèbes pour éloigner l’effroi et les remords qui rôdent toujours sur le sommeil de l’assassin ! Et qui le rendent fou, à ce qu’on dit, à ce qu’on voit !

A SERVA : Ce ne sont que racontards inventés par l’opposition. Ton oncle est sévère mais juste. Et puis il a l’intention de tout oublier. Il faut le satisfaire. C’est un homme généreux. Je ne sais pourquoi tu le vois ainsi ! Ce ne’est pas un homme sanguinaire et féroce. C’est un homme las, épuisé, croulant sous les soucis. Entouré de tant de morts. C’est un roi bienveillant qui aime son peuple. Surtout les humbles et les pauvres.
Il a dit qu’il ne veut plus rien savoir : le complot ni le reste. Il suffit que tu consentes à vivre, tu es contente ?... Gloire à Créon et bonheur à son nom pour les siècles des siècles. Sans lui, c’était la mort, un point c’est tout !

ISIMENA : Et les autres ? et les humbles qui ont cru en moi, qui ont baisé ma main en rappelant les noms d’Œdipe et de Jocaste, leurs souverains aimés ? Et tous ceux qui croient que le Pouvoir est mauvais ? Et le souvenir d’Antigone et d’Hémon ? Et la vengeance que j’ai promise à leurs fantômes ?

A SERVA : Pour eux tu ne peux plus rien faire ! Se venger n’a pas de sens ! Si tu les venges, tu ne les feras pas revenir pour autant.

ISIMENA : Ce n’est pas la vengeance accomplie qui importe, mais la vengeance promise et la fidélité qui est due à ce que l’on a dit.

A SERVA :Pour Antigone, je peux comprendre. Mais Hémon et toi n’étiez que fiancés.

ISIMENA : J’avais quand même un mari. Tu m’as percée à jour et tu sais pourquoi je veux partir d’ici. Pour les rejoindre, elle et lui. Ma sœur et mon mari. Oh notre mariage n’a duré que tout le temps des regards que nous échangions, enfants, lorsqu’arrivaient mon père Œdipe et oncle Créon, avec leurs gros pas d’hommes d’ordre et de pouvoir. Antigone et moi, nous baissions les yeux comme doivent faire tous les petits princes, avec leurs bons principes et leur bonne éducation. Lui, il avait de la chance parce que personne ne se soucie des petits esclaves. Il nous faisait des signes dans leur dos. Nous le regardions à la dérobée, et nous étouffions des rires dans nos gorges. Nous riions de leurs mines graves et de leurs gestes imposants gesticulants au-dessus de leurs robes drapées d’or et d’opulence...
Un jour, Antigone ne nous avait pas rejoints, je ne sais pourquoi. Elle boudait souvent, Antigone et alors nous n’étions que nous deux. Nous nous étions glissés sous la grande roue de la Clepsydre du parc. En escaladant la chaîne qui les portait, les godets laissaient échapper quelques gouttelettes d’eau claire qui bruinaient un peu sur nos têtes. Le bruit régulier du mécanisme nous remplissait peu à peu de sa cadence hypnotique. Tout d’un coup, nous les vîmes là. Plantés dans leurs sandales à la hauteur de nos yeux. Nous ne les avions pas entendus venir. L’effroi m’avait saisie. Je l’ai regardé. Pendant qu’il me rassurait en posant son index sur mes lèvres, les gouttes d’eau qui tombaient de la clepsydre s’accrochaient au bout de ses boucles brunes. Son visage et son cou luisaient.
Après cela, il a disparu. Je crois que l’oncle Créon nous avait aperçus. Il a surpris nos regards, il l’a fait disparaître et je ne l’ai plus vu.

A SERVA : Ma pauvre, pauvre enfant... Sois forte, sois courageuse, comme tu l’as toujours été, Tu es une femme maintenant. Et tu peux entendre des choses d’adulte. Tu sais combien sont mensongères les impressions de notre enfance. Jer ressens beaucoup de peine en te disant les choses comme elles sont. J’aurais aimé mourir sans que ce secret ait franchi la barrière de mes lèvres. Mais quelle charge d’horreur et de désillusion se prépare pour toi !
C’est donc pour ça que tu veux mourir, ... pour retrouver l’amour de deux boucles brunes et le souvenir d’un sourire caressant? Mais ce n’est pas ainsi.
Tu ne sais rien, rien du tout. On t’a caché qu’il n’avait pas disparu.
Il s’est caché durant toutes ces années où Créon s’inquiétait de l’amitié unissant un esclave et deux princesses. C’est ainsi. Le Roi regrettait de l’envoyaer à la mort mais c’était son devoir. C’est ainsi : pas d’amour entre les princes et les autres. C’est ainsi.
Il l’a donc livré à un garde pour qu’il le tue, mais c’était un enfant et le soldat n’a pas eu le courage d’égorger un innocent. Il lui a dit : « Allez ! va-t-en ! ». Alors lui, il s’est enfui et s’est caché. Créon et sa police l’ont recherché. Crois-tu qu’il pouvait s’éloigner ? Pouvait-il s’éloigner ? Car le fleuve peut-il s’éloigner de son lit ou l’aigle de son nid ? Il se tenait caché, attendant sa visite. a ellu, si pudia alluntanà ? Si pudia alluntanà ? Si pò alluntanà u fiume da u so fiuminale o l’acula da a so teppa ? Si era piattu è aspettava ch’ella venissi Ella . Sois forte et courageuse. Je ne voulais pas te le dire, mais tu ne dois pas mourir pour l’illusion d’un amour mensonger. Sois forte… Ils se voyaient la nuit…. Des années avaient passé. Ce n’étaient plus tout à fait des enfants…

ISIMENA : Ils se voyaient ? Mais qui ? Parle, parle donc !

A SERVA : Pauvre enfant, ma colombe innocente.. C’était elle, elle cheminait, elle savait où elle se rendait. Elle sortait du palais et marchait le long du fleuve obscur. Après un moment elle arrivait à la cabane abandonnée où elle pénétrait, sans regarder autour d’elle. Une fois je les ai vus ensemble. Antigone était venue le retrouver... C’était elle ! Oui, c’était elle ! Antigone ! Ta soeur !

ISIMENA : Antigone ! Mon Dieu !
(esce currendu)

SCENE 9

CREONE, U CORU

Hè a scena di a pazzia di Creone. Di prima u Rè si tene infurcatu di pettu à à a grande rotula di a clessidra. L’attitudine hè di sfida. À u principiu si vede ch’ellu cerca à qualchissia è po si capisce ch’ellu crede di avè lu scupartu sottu, propiu à gallu di u terrenu. Allora li si lampa à dossu è u scorre da agguantà lu. In listessu tempu scoppia in scaccanate di risa scema, orrenda. In i so muvimenti bruschi, lampa à una à una e pezze chì cumponenu u meccanisimu di a clessidra. À l’ultimu, si presenta di fronte à u publicu è stringhje forte a fantasima ch’ellu hà puru agguantatu. Tutta a so persona sprime un versu di gudimentu feroce. Face u gestu di ammazzà. Seccu.
Voilà ! Voilà ! C’est fait ! Où sont poètes et chroniqueurs ? Où sont-ils ! Allez, approchez-vous ! N’ayez aucune crainte car la tragédie est terminée. Je vais vous montrer qui est Créon ! Le roi Créon ! L’histoire du monde monte de la terre dans mes jambes et coule dans mes veines. Les Anciens m’appelaient Chaos ! (ride...) L’air que tu respires, l’air pur, limpide et transparent, et les trois autres éléments, l’eau, la terre et le feu, eh bien, autrefois, tout était mêlé, entremêlé, un magma informe. Un gros tas de vie qui attendait dans un recoin de la Création! C’est là que je vins, je survins, j’advins ! et la masse se défit pour gagner de nouveaux espaces. La flamme du Feu s’élança ! Tout près de cette Flamme vient prendre place l’Air alors que l’Eau et la Terre se fixent au milieu de la Vie. Alors, je n’ai plus été cette pâte sans forme ni visage et j’ai repris l’aspect, les membres, la chair et le corps du dieu que je n’ai jamais cessé d’être. Un dieu. Le dieu. Je porte encore sur ma face la trace de cette confusion originelle des principes. Par devant et par derrière, de face ou de dos, di face-à-dos comme de dos-à-face, je suis Le Même !. Mais il est une autre raison de cette singularité qui étonne.! Tout ce qui est autour de Moi, le Ciel, La Mer, Les Nuées et La Terre, tout m’obéit. (ride) Ils sont à moi ! Mon troupeau, mes petits agneaux. Je les tiens ! J’encadenasse et je décadenasse. C’est notre main divine qui ouvre et notre main qui ferme. A moi seul est confiée la garde du vaste monde. Les gonds du grand portail ne tournent que sur mon ordre. S’il me plaît de laisser sortir la Paix, je lui lâche la bride sur le cou et elle s’en vient paître dans vos contrées. Mais si je ne veux pas, ce ne sont que carnages et torrents de sang répandus partout! Même le dieu des dieux, roi de l’Univers, ne va que grâce à moi. Toute porte a deux faces qui regardent l’une les passants, l’autre les divinités du foyer. L’huissier assis devant la porte voit tous ceux qui entrent et tous ceux qui sortent. Eh bien, moi, portier de l’Univers, je regarde en même temps l’Aurore et le Couchant, l’Est et l’Ouest, la Guerre et la Paix, le Monstre et la Mort, le Ciel et les Enfers, la Vie et la Mort ! (quand’ellu dice issa parolla, casca seccu)
Dopu à un silenziu si alza u cummentu cantatu da u coru
LAIU... GHJUCASTA... EDIPU... PULINIZIU... ETEOCULU... ANTIGONA... EMONE... CREONE... ISIMENA... OIMÈ ISIMENA

C’étaient de bien nobles seigneurs
Issus de souche divine
Ils avaient été comblés d’honneurs
Par leur bonne étoile et le Destin

Ils ont assailli la montagne
appelée Olympe où siègent le pouvoir des dieux
ils se sont moqués du châtiment
qui menace les sacrilèges

Ils se sont pétris d’orgueil
ils voulaient être immortels
ceints de lauriers et d’ambitions
mais ils ont été frappés par un coup mortel

Creon a dit : « Ceci est la loi :
Proclamez-la partout »
Mais il oublie que l’homme
a toujours été soumis à ses passions

C’est alors que germe la jalousie
que la tempête s’empare du cœur
que pointe la folie
qui terrasse bon sens et raison

L’équilibre de la vie est rompu
Disparaissent l’amitié, l’espérance et le respect
Un gouffre profond s’ouvre
Qui engloutit l’esprit le plus solide

SCENE 10

ISIMENA, A SERVA

Isimena entre in furia, spannata, cù l’alegria in tutta a so persona.
Non ! Je ne vous en veux plus, mon oncle. Désormais tout s’éclaire pour mon cœur qui exulte. Je retrouve en même temps et la vie et l’espoir. Non, désormais, je n’ai plus à fuir la promesse du bonheur... La folie a emporté le roi Créon et le tyran n’est plus, à ce qu’il paraît, qu’une pauvre chose qui se perd en paroles inintelligibles. Toutes les informations que je reçois convergent. Elles disent que Créon a été renversé et que les révoltés sont entrés dans la salle du trône. Thèbes est en liesse. On danse dans les rues. La royauté n’existe plus et c’est le peuple qui commande, aujourd’hui. Une forme de pouvoir nouvelle, une chose inouïe. Une grande merveille. Le peuple devenu roi. Un conseil prend toutes les décisions. A sa tête, mon amour.
Et cette œuvre s’est faite grâce à mon amour. Créon a tout avoué. Il a révélé toute la vérité. En inventant de toutes pièces l’histoire des rendez-vous d’Antigone avec le beau chef rebelle africain, sa duplicité faisait coup double : discréditer ma sœur et son souvenir, ruiner la popularité de mon héros et le priver du soutien qu’il trouvait chez nos partisans.
Politique, intrigues, pouvoirs. Calcul et intérêt. Vous avez été puni, Créon, parce que les dieux châtient le mensonge. Tout était faux et toi, ma pauvre nounou, ton amour de l’ordre et ton dévouement pour tes maîtres t’ont fait croire ce que mon cœur n’a jamais cru...
Mon amour est donc ici, tout près. Il m’attend. Il sait que je ne suis pas loin. Il suffira d’écarter cette tenture et il m’apparaîtra beau comme l’avenir et fdèle comme le passé.
O toi qui me connais, te semblait-il croyable
Que le triste jouet d’un sort impitoyable,
Un cœur toujours nourri d’amertume et de pleurs,
Dût connaître l’amour et ses douces douleurs ?
Au moment de le retrouver, je sens à mes côtés l’ombre douce de ma chère Antigone. J’entends, dans ma mémoire monter le chant que tu nous chantais parfois, lorsque le jasmin hissait ses senteurs jusqu’à la fenêtre de la tour de l’Est, et que, l’été approchant, le jour s’attardait ici en murmurant, à l’unisson de la chanson que faisait l’eau dans la clepsydre :

Tu étais un rêve sublime
toi, l’élu de mon coeur
comme un refrain en sourdine
tu es toujours prêt à redonner vigueur à l’amour

Je croyais t’avoir égaré
parmi les moments (laissés aux souvenirs) de l’enfance
mon désir s’était dissous
Comme un miroir réduit en poussière

Tu es revenu à l’improviste
redonner vigueur à notre vie
sur le monde s’est élevée
une lumière infinie.

Mon regard fait le tour de toi
comme un collier de baisers
l’espoir qui nous entoure
Fait battre sereinement nos cœurs.

Nous ne resterons plus cachés
C’est une vie nouvelle pour nous
nous avons échangés nos serments
Nous ne pouvons être plus riches

SCENE 11

A SERVA, U GENERALE, è à l’ultimu i guardia.

Cambiamentu sulenne. Si sentenu rimori di lotta, mughji di paura è evive. Schjamazzi è silenzii subitanii. Di prima ci sò A Serva è u Generale è dopu à una stonda entre Isimena, muribonda
 

A SERVA : Quel malheur, mon dieu, quel malheur ! Le palais est foudroyé ! La rumeur s’affolle. Des nouvelles contradictoires. Le roi est fou ! La révolte ! Le meneur de la révolte, l’amoureux chéri de ma petite fille, a été capturé et décapité ! Et elle qui a disparu ! Qui l’a rencontrée ? qui ? l’as-tu vue ?
L’armée aurait exécuté tous les rebelles. Et elle qu’on ne trouve pas ! Mon Dieu ! Parlez, seigneur général ! parlez pour chasser mon inquiétude !

GENERALE : Nous sommes en pleine confusion ! Chaque instant apporte des nouvelles différentes, mais après plusieurs heures d’incertitude, la situation s’éclaircit, bien heureusement. La révolte est quasiment terminée. L’armée s’impose. Les soldats tiennent les positions les plus importantes. Le pouvoir est sauvé et le commandement raffermi!

A SERVA : C’est donc bien vrai, les conjurés ont échoué ? Et le chef des rebelles, le jeune homme africain ?

GENERALE : Ils ont failli réussir. Ils étaient préparés, organisés, dirigés. Leur chef est parvenu à armer tout le faubourg de l’Est. Ensuite, on ne sait pas comment, il a pu se faufiler jusque dans le palais. On l’a vu monter l’escalier de marbre aussi vite que l’éclair. Il était déjà suivi par une de ces foules qui naissent et s’enflent dans les rues : la rumeur disait qu’un dieu l’accompagnait, Mars en personne, avec ses armes brillantes, et la peur saisissait mes soldats. Ils étaient prêts à rendre leurs armes et à fuir. J’ai vu qu’il n’y avait pas une seconde à hésiter.
J’ai couru au palais avec une poignée de soldats fidèles. Les portes étaient grandes ouvertes. Nous nous sommes précipités jusu’à la salle du trône.
Créon était là. Tout seul. Il riait... Oui, le roi a perdu l’esprit. Il riait aux éclats. L’homme était campé devant lui. L’épée dégainée… Il ne savait que faire. Il pensait s’attaquer à un ennemi farouche è en fait il n’avait devant lui qu’un pauvre fou. Nous n’avons pas hésité. Les gardes se snt jetés sur lui tous ensemble. Pour l’achever, ils se sont écartés et me l’ont laissé. Je l’ai égorgé de ma main. Ses partisans se sont aussitôt enfuis. De ceux qui étaient présents, il n’en est pas resté un seul en vie.
De temps en temps le fou rire de Créon s’apaisait et il appelait : “ Ismène ! Ismène! Faites venir Ismène ”. Il voulait dire quelque chose. Mais selon la rumeur la princesse était déjà morte elle aussi. Apprenant la mort de son amant, elle se serait jeté par la fenêtre de

A SERVA : Pauvre petite, je l’ai cherchée toute la nuit durant, jusqu’à l’aube, quand le soleil est apparu, juste au pied du rempart.

ISIMENA (chì entre tandu) : Non, je n’ai pas encore péri, mais l’heure approche. Ah quel comble de joie ! je vais enfin sentir le calme du trépas.

A SERVA : Ah ! non, fais-le pour moi, ne m’abandonne pas toi aussi, ma fille chérie. Je t’ai cherchée si longtemps et je veux te garder
O que de morts, que de malheurs ! Au moins, vous les nobles, les puissants, vous connaissez toutes les raisons de ces désastres du début à la fin. Vous pouvez obéir ou refuser les ordres du Destin, alors que nous, les gens humbles, c’est le noir le plus complet : on n’y comprend rien ! Nous ne ressentons que peine et douleur ! Mes petits chéris :
mutivi d’issi desastri unu à pressu à l’altru. Pudete accunsente o ricusà i cumandi di u Distinu. Etéocle, Polynice, Antigone et maintenant toi : quatre petits anges !

ISIMENA : Des monstres, des démons, nous sommes tous maudits ! Mais les dieux enfin, m’ont prise en pitié ! (porghje una buttiglietta di velenu) Et de tous les présents qu’ils m’avaient prodigués, ce poison est celui qui m’était réservé. Je l’ai bu et j’expire...
A la fin je respire, et le ciel me délivre
Des secours importuns qui me forçaient à vivre.
Maîtresse de moi-même, il veut bien qu’une fois
Je puisse de mon sort disposer à mon choix

(casca secca è A Serva pianghje)

GENERALE (avvicinendu si à A Serva chì tene accumbracciatu u cadaveru d’Isimena, per purtà li cunfortu) : Tu peux la pleurer, mais ne noie pas ton coeur dans les larmes car nous, nous n’y pouvons rien. C’était écrit et qui est écrit doit forcément arriver. Désormais, la tragédie s’est accomplie. Nous sommes les survivants. Un désastre s’est produit, mais nous, nous sommes toujours là. Nous sommes des gens de la vie, nous. Domestiques ou ouvriers, marchands, soldats ou généraux, mais des gens du peuple, incapables de remonter le mécanisme de la tragédie. Elle ne tient pas sur nous, la tragédie. Elle glisse, elle glisse. Comme les premières neiges de novembre.Elle s’abat puis disparaît. Les gens du peuple n’ont pas leur pareil pour effrayer la tragédie.
( à i guardia) Soldats, nous avons fait notre devoir. Nous sommes soldats et un soldat ne connaît qu’une chos : l’action et rien d’autre. Ne pas chercher à comprendre. Les conjurés ont été exterminés jusqu’au dernier. La reine Eurydice a été assassinée par un inconnu ou bien elle s’est suicidée... La princesse Ismène...

A SERVA (iniziendu un voceru interrottu subitu) : Mon Dieu !

U mo fiore delicatu,
Fiatu di una cialamella
Ma chì ghjornu sciaguratu
Chì si hè tomba una zitella...

A vita hè un ansciulellu
S’ellu stancia tuttu tace
Tirghi sempre u ventulellu
Tandu a vita si face

Cum’hè ch’ùn ai vulsutu
Issu grombulellu di pace
Avia da avè lu tenutu
Issu biocculu di bambace...

Mon Dieu ! La malheureuse, elle n’a connu qe le malheur dans sa vie. D’abord sa mère, son père, ses frères et Antigone... Mon Dieu! Quand on a dit qu’Ismène avait un amant, d’abord je n’ai rien voulu croire...

GENERALE : Personne n’y croyait, mais il a bien fallu ouvrir les yeux...
Dans cette maison, je ne sais pas ce qui leur prend, aux filles. Pourquoi aller chercher l’amour d’un esclave, d’un étranger, tu vois un peu ? C’est la malédiction de la tragédie... La maladie des nobles, des princes: le Destin !
Heureusement qu’on y coupe nous, les gens du peuple...

A SERVA : Oui, mais notre roi, Créon : il a perdu la tête, devenu fou ?

GENERALE: Fou mais en vie! Il est le roi. Toujours. La ville est solide. L’armée, la justice, la magistrature, tout le monde à son poste Thèbes vivra. Créon est au pouvoir...

A SERVA : Mais sa folie ! il ne sait plus ce qu’il dit.

GENERALE: S’il ne le sait pas, nous le saurons pour lui. Et si nous, nous ne savons pas, nous demanderons au clergé. C’est son rôle, son métier, sa fonction de comprendre ce qu’autrui ne comprend pas. Quant aux morts, faisons-leur des funérailles dignes. Chacun de son côté. Les vivants avec les vivants et les morts avec les morts. C’est écrit comme ça.

A SERVA (attente à qualcosa chì l’altru ùn percepisce): ce bruit... les morts avec les morts … on ne voit rien… ça ne se voit pas, mais ça s’entend. Chut ! taisez-vous un peu, tiens, tiens ! vous entendez ? ( rimori cunfusi) Ces coups de marteau… Ce chant comme s’il y avait un charpentier… tu entends ? il paraît que ce sont les âmes perdues qui vagabondent… Ça vient de ce côté-là, de la clepsidre... Les âmes plantent des clous et des chevilles… Mais là, ce sont des planches qu’elles traînent. Elles en apportent et en traînent tant et plus et maintenant un feu s’élève dans le Parc, mais il n’y a personne. On entend rire aux éclats mais il n’y a âme qui vive.

GENERALE : Silence ! on ne croit que ce qu’on voit et on n’est pas obligé d’entendre ! Vivons sans chercher à comprendre… car la machine est arrêtée, mais il suffirait de pour le remettre en marche cet engrenage maudit…

La tragédie est ce que convoitent
Les rois, les princes et les nobles,
Tout n’est que tourments et plaintes
Désastres et terreurs
Angoisses et sombres inquiétudes
Mais brodés de fils d’or
Notre vie n’est que peine
Sans éclat et sans gloire
Chaque moment, chaque instant
De la naissance jusqu’à la mort
Ne nous procure aucun profit
Car notre vie se résume à ne pas mourir
Mais mieux vaut un rien,
Une minute, une seconde,
Un tout petit pas de fourmi
Que tous ces combats de titans
Un sourire, une voix amie
Que l’on étend sur le monde

Parce que la vie est un héritage
Sur quoi il faut veiller comme sur un trésor
Un cadeau de mariage
Nous oublierons notre tristesse
Demain tout ne sera que rêve
L’espérance de la justice

Voici donc une autre pierre,
Un étai, un amour,
Une voix sur la musique
La seule envie qui vaille :
La vie qui ne sera plus sombre,
Le Pouvoir, sans la terreur
L’Energie, non la Fureur

FIN

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