Ducumentu
La vierge à la Barque, 1997
C’était Bastia tout entière : assemblée dans ses vêtements de deuil, elle avançait, torches allumées, par ruelles et rues. Comme toujours. La ville s’enroulait le long de ses sempiternels parcours. Terranova sombre et massive. L’Olmu au bord de la Marine où rugissent les flots. San Ghjuvanni bifide dans un trou d’ombre. Les Terrasses crasseuses et les mille haltes sous les niches illuminées. Une fois terminé le grand tour, à la fin tout le monde revenait à Sant’Agnaziu. Le très illustre premier magistrat de la ville marchait en tête. Implorant et superbe, avec à ses côtés deux serviteurs qui portaient une lance baissée. Derrière, un prêtre pieds nus, la corde au cou, et qui tendait par dessus les têtes un christ noir et maigrichon. Après une troupe d’enfants de choeur, les flagellants, couronnés d’épines, chargés de chaînes ou de croix larges comme des madriers. Ils se frappaient l’un l’autre du fouet et faisaient une traînée de sang sur le dallage froid et bleuté de la rue. L’infanterie et la cavalerie suivaient, silencieux et l’épée basse, dans un son plaintif de tambours et de larigots. Au milieu de la procession un frère capucin pieds nus portait une croix pleine de lampes à l’intérieur. La passion de Jésus Christ. Derrière il y avait tout le clergé et le chapitre de la cathédrale au complet. Ils chantaient d’une voix plaintive et sombre le Miserere autour de la civière qui ballotait, sous un baldaquin ombreux, le cadavre du Christ. A la fin il y avait la Vierge douloureuse, entourée des élèves des frères qui chantaient le Stabat Mater et traînaient les oriflammes noirs dont les pointes venaient nous gifler le visage.