Versione :
Francese

Voici Karbala, mais je ne suis pas Al-Hussein...

J'atteste (*)
le début de la lumière est la fin des ténèbres,
le début de la lumière est la fin des ténèbres.

J'atteste
j'ai été tué par trahison,
le drapeau est en berne.

J'atteste
ne pas être descendu dans l'arène,
l'on en sort tantôt vainqueur,
tantôt vaincu.

J'atteste avoir attesté :
mon attestation est achevée,
ma plume déjà posée,
Les pages falsifiées tournées...
L'encrier desséché...
Ne reste qu'une tache de sang
Coagulée sur le sol de Ninawa,
Visqueuse et rougie,
rouge foncé, faisant luire les cendres...

Tableau insolite :
Noir couronné de rouge...

Loué soit celui qui a colorié...
Loué soit celui qui a dessiné!

J'atteste que ce cœur n'a que son sang,
Que le malheur le plus récent
Est celui qui remonte loin,
Que le commencement des averses annonce la fin
Des enfers.

Aussi, je vous regarde de là-haut
Et je vois vos ruines..
Je regarde tristement vos enfants
J'observe vos chars et vos avions
Je souris.

J'atteste n'avoir pas participé à une guerre...
Si seulement mon adversaire,
S'était manifesté à ms yeux
Ah!.. Si une véritable armée
Ici, à Karkh, m'avait rencontré...
Vers elle, je me serais rué!

Si c'était un homme!
Un honnête cavalier,
Se montrant à moi pour me défier!
S'il avait été un héros,
Il m'aurait, au corps à corps, attaqué!

Mais c'est un feu d'enfer...
Qui, sur ordre du dieu de la guerre,
S'empara des foyers,
Etouffant proches et enfants,
Les dévorant...
Une pluie de magma
Carbonisa les trésors de l'Orient,
détruisit "Beyt al-Hikma",
Comme l'ancienne tour de Babel jadis s'était effondrée,
Brûlant, du calife al-Mu'tassim,
Les derniers manuscrits de son époque.
Le feu s'empara des livres de logique,
Dévasta les épîtres du Fiqh ...
Se propagea,
Dévora traités de grammaire
Et recueils de vers, soumettant l'insoumis!

J'atteste n'avoir pas assisté à cette terreur,
Le missile ne m'a pas laissé le temps d'embrasser ma petite fille
ni de ramasser ses entrailles sur sol
Je n'ai pas vu ma maison s'écrouler!
Ma profession de foi n'a pas été prononcée...
J'atteste n'avoir pas eu le temps,
Pas eu l'occasion d'en profiter!

Ce ne fut qu'un éclair .. insuffisant,
Pour marquer cet instant
Séparant l'éclatement du feu
Des brûlures;
J'ai seulement senti que je me précipitais
Dans un puits de braises,
La violence des flammes faisait fondre mon âme...
J'atteste que le visage de ma femme
Est sans doute le dernier spectre qui,
Au dernier soupir,
m'a salué ...
Ou que j'ai salué
Sur le seuil de l'espace tourmenté de l'isthme
Séparant
Existence et néant
Mais je n'ai pas eu le temps,
Pendant ce moment fugitif,
De dévisager ses traits,
De lire sur son beau visage
L'expression cachée
Derrière un voile de stupeur
De chercher à la comprendre,
Comprendre la raison
De ses pleurs.

J'atteste :
Comme si j'étais mi-endormi, mi-éveillé,
Qu'autour de moi, tout s'écroulait.
J'ignorais vers où le destin m'emmenait
Comme si, en rêve je volais ;
Comme dans un mythe,
Sur mon âme un roc avide s'acharnait.
Comme si subitement j'étais entrain de m'évanouir,
Qu'à chaque fois que j'essayais de me ressaisir
J'échouais;
Comme si j'étais
Endormi .. sans véritablement dormir.

J'atteste que n'appartient au rêveur
Que ce qu'il a raconté,
A l'amant, que ce qu'il a dissimulé
Que la passion la plus discrète est la plus évidente
J'affirme avoir dévoilé mon secret,
N'avoir plus rien à démasquer.
J'atteste que la fin de l'avarice est la générosité.

Aussi, je vous regarde de là-haut,
Et je ne vous reconnais presque plus
Me souviens à peine,
De ce qui vous est advenu.

Tout ce dont je me souviens,
C'est que le dieu de la guerre s'est ennuyé,
De ce qui reste sur terre, il s'est lassé :
Des poèmes et des vers,
De la musique de senteur,
Du parfum des bourgeons verts,
De la pureté des mélodies.

Comme un taureau, il s'était déchaîné,
Avait mis sa tenue, écumait de rage,
S'enhardissait contre les enfants,
Assassinait les hommes...

Armé de la machine à mort,
Il était venu se venger,
Bien équipé,
Entouré d'une armée de cuisiniers,
De suites.. et d'esclaves.

J'atteste deux choses :
L'une, vous redoutez son adversité,
L'autre, il attaque et vous le repoussez.
Jurez de ne pas le craindre...
Soyez fidèle à votre promesse ;
S'il se manifeste comme un ogre,
Ouvrant sa gueule pour dévorer
Il faudra l'empêcher

J'atteste que le début de la faim
Est la fin de l'apaisement...
Eventrez le dieu de la guerre..
Hâtez-vous,
Avant qu'il ne digère
Ce qu'il a grignoté.

J'atteste avoir lu dans le livre des martyrs
Que, quoique prudent,
Qui craint le monstre en subit l'assaut,
Qui le ferrade, se stigmatise.

J'atteste :
Mon père m'a dit un jour
Que son père lui a dit un jour:
"C'est votre sol,
Mourez en maîtres,
N'y vivez pas en esclaves".
J'atteste qu'il a cité un exemple
Que je retiens depuis :
Deux béliers,
Dans un désert,
Se donnaient des coups de cornes...
Le loup était l'arbitre!
J'atteste avoir attesté :
Comment un troupeau de béliers
Peut-il solliciter l'assistance du loup ?

J'attete avoir été tué par trahison.
Je vis désormais
Où il n'est plus question
de plaisir, ni de peine..

J'ai été tué par trahison
Sans connaître la raison.
Le sabre a-t-il rebondi ?
Ma main, m'a-t-elle trahi ?
Ou bien, avez-vous offert
Au trépas, mon dos exposé,
Pour me déchiqueter ?
Au moment décisif m'auriez-vous relâché ?
Ni vos flèches n'ont abouti
Ni le cheval ne s'est raffermi.

J'ai été tué par trahison .. sans connaître la raison!
Est-ce parce que la sûreté
Est aussi désormais ce que pérèrent les poètes ?
Et les membres des deux conseils
Ne sont-ils plus que des marionnettes?
Les ministres,
Les conseillers
Sont-ils tous corrompus?

Peut-être le commando a-t-il fini par s'affaiblir
Le héros, glorieux, n'a pu livrer l'assaut
Ni même se déterminer à agir.
Par contre, il s'est sauvé
Comme font pareils tyrans
Se servant de l'armée pour raffermir leur trône...
Edifiant un Etat de geôliers,
De prisons et de châtiment..
Le jour du jugement dernier,
Il lui suffirait
D'avoir prié, jeûné,
Visité les lieux saints
Et espéré embrasser
Le coin sacré!

J'atteste n'avoir plus un mot à dire,
Le plus vaste est le plus restreint.
Je vous regarde de là-haut
Et vous vois :
Votre torpeur est mort
Votre réveil, abrutissement
Vos peuples adorent leurs tortionnaires
Votre élite ignore la différence
Entre idole et Dieu!

J'atteste que l'extrémité des montagnes
est le début des sommets
Aussi, dois-je désormais
Quitter votre présent
Abandonner votre avenir,
Me bannir,
Eteindre ce flambeau noir
Flamboyant depuis
Les Mu'allaqat
Jusqu'à Busiri et sa Burdah

J'atteste avoir affirmé :
Le début du repentir est la fin des remords

J'atteste que n'appartient au témoin que ce qu'il a vu
Et au muet que ce qui l'a stigmatisé.
Comment le stigmate peut-il être effacé ?
Que d'humiliation!

Comment moi,
Qui suis au paradis,
Puis-je renoncer à la justice?
Malheur à moi!

Comment me puis-je me réjouir des vierges
Alors que Bagdad est frappé de malheur ?
Que sous les pieds des néo mongols,
Basra est foulé,
Et l'honorable Nadjaf, humilié.
De Kerbela, ils se sont emparés.
Ces troupeaux, partisans du dieu de la guerre..
Le pire de ce que la civilisation occidentale
Nous a transmis et préparé.

J'atteste que le jeûneur ne possède
Que son intention
Et le mangeur, que ce qu'il a digéré
Aussi, je me garde à présent d'approcher
Le festin des vilains,
Banquet de viande interdite,
Où Arabes et étrangers se sont mêlés,
Et les chiens sont devenus loups
Trinquant tous à la fête
de l'avidité!

Jatteste avoir affirmé :
La fin de l'ouïe est le début de la surdité
Aussi, je me bouche les oreilles
Pour ne pas écouter la réjouissance des ennemis
Sur les antennes des nomades
De "Radio Riad"
Et du "Grand Caire"
Transmettant les tractations des Turcs et des étrangers

Je me détourne des fonctionnaires
De l'Organisation des secours,
Des Nations Unies et de son missionnaire..
J'atteste que le début de l'humiliation est la fin de la fierté...

J'atteste que n'appartient au témoin
Que ce qu'il a vu
Et au dirigeant, que son oppression.
Aussi, je vous regarde de là-haut,
Je rends justice,
Et précise les accusations :
Coupables.. je vous proclame
De la tête aux pieds

J'atteste..
Faites-le avec moi,
Soyez témoins de ces consciences
Vendues à bas prix
En dinars, en dollars
Sur les marchés des consciences!

J'atteste que, de mes cieux, je vois
Ce que vous n'êtes pas tous capables de voir...

Je ne suis pas un prophète..
Prononçant aphorisme et sagesse..
Un martyr .. Voilà ce que je suis,
Mon âme furieuse plane au paradis
Elle vous regarde de là haut
Et énumère les accusations:
Le tyran de l'Iraq
N'est pas le seul tyran
Vos dirigeants le sont tous,
Entourés de leurs complices...

J'atteste que n'appartient au témoin
que ce qu'il a vu
Et au furieux, que ce qu'il a contenu
Aussi je vois dix mille martyrs
Crachant de là-haut
Sur le statut de Saddam,
Sur la face du "Lion"
La barbe de notre seigneur l'Imam
Le visage de kafur
Et le nez du serviteur du Haram
(Où sont donc vos lames, Kafur, et l'aiguiseur?)

J'atteste que par trahison, ils m'ont tous tué :
Sa vénérable majesté;
Et, depuis son jeune âge, le prince héritier,
Son excellence, le commandant inspiré
Ou ce leader vénéré!

J'atteste qu'ils m'ont tous tué
Et que demain, à votre tour vous serez tour abandonnés
Comme un morceau de viande, négligé sur l'étal

Ils m'ont tous tué,
ont expulsé ma veuve,
Sans honte
Ni pudeur.
La femme qui se prostitue,
Devant les gens elle feint la pudeur
Alors qu'eux s'exibent impudiques.
Leur graisse n'est que tumeur!
J'atteste : vous n'avez qu'à extirper la tumeur.

J'atteste que le début de la convalescence
Est la fin de la maladie
Et qu'avec un peu de volonté
Vous serez guéris
Depuis longtemps elle ronge votre moelle...
Il s'agit seulement
D'un oui, ou d'un non..
Chacun n'est responsable que de ce qu'il prétend.

À force d'attester, il ne reste plus rien à dire
Le chagrin le plus profond est le plus singulier
Il est temps pour une plaie qui ne cesse de saigner
De se cicatriser

J'atteste avoir attesté
Mon témoignage est terminé
Le drapeau est en train de flotter
Les pages falsifiées sont bien tournées
Et l'encrier desséché
Il ne reste plus qu'une goutte de sang,
Encre rouge foncée,
Pour transcrire témoignages et sens,
Les élucider
Par la lecture des chiffres et des lettres.

J'atteste avoir attesté,
La face a été démasquée...
Laissez-moi jeter
Sur vos fantômes,
Un dernier regard
Et conclure :

N'appartient au martyr que son témoignage
Et au poète, que son poème

Mars, Avril 2003

(*) ce verbe est le même que celui par lequel débute la profession de foi en Islam: "J'atteste qu'il n'y a de dieu qu'Allah et que Muhammad est son envoyé". Hassan Teleb utilise souvent des formules religieuses, tout autant par référence à la richesse linguistique et poétique de la langue du Coran que parfois par effet parodique.