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Corsu

LINGUA E SUCETA: Spiculere

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Cette rubrique s'adresse avant tout aux étudiants de l'Université de Corse Pascal Paoli en Etudes Corses (2e année et licence) qui suivent les enseignements d'Histoire de la langue et de Morphosyntaxe) dont nous avons la responsabilité (1999-2000).
Elle a notamment pour but de traiter des questions qui ont été évoquées trop rapidement en cours, ou qui ont été éludées faute de temps. C'est pourquoi on a adopté la forme du répertoire alphabétique, en raison de sa souplesse et de la possibilité de qu'elle offre de répondre brièvement à des questions ponctuelles.
Contrairement aux cours eux-mêmes où la langue de travail est le corse, nous avons choisi ici le français afin de la rendre accessible au plus grand nombre.
On donnera cependant le correspondant corse des termes techniques ou remarquables. Ainsi à glanure (de glaner, "ramasser dans les champs, après la moisson, les épis qui ont échappé aux moissonneurs", la glanure étant aussi une "courte note sur un sujet scientifique" comme l'indique le Petit Robert) on fera correspondre spiculera (ou spiculera) de spiculà, glaner, mais aussi observer, enquêter, sonder, spéculer (Filippini 1999). Il s'agira donc pour nous à la fois de glanage (agriculture) et glanures (didactique).
Nos premières spiculere sont consécutives à une question ponctuelle d'anthroponymie posée par un étudiant de Licence d'Etudes Corses (étymologie de son patronyme...). Nous avons bien peur d'être amené à répondre à bien d'autres questions de ce type. Nous essaierons de les traiter, bien que l'onomastique (toponymie, anthroponymie) soit une discipline extrêmement ardue: "L'étude linguistique des toponymes (souvent devenue le domaine des aventuriers et des dilettantes) est un science très difficile" (Rohlfs 1974).
Toutes observations ou suggestions concernant cette rubrique sont bienvenues; elles pourront être adressées à l'auteur (Jean Chiorboli, Vice-président de l'Université de Corse, BP 52, F-20250 Corti), de préférence par courrier électronique (chiorbo@univ-corse.fr).

Onomastique :

L'onomastique traite des noms propres d'une langue et se divise en toponymie (noms de lieux) et anthroponymie (noms de personnes). Cette discipline adopte le plus souvent la perspective historique.
Beaucoup de noms corses de personne (anthroponymes) sont présents également en Italie ou dans les îles (Sardaigne Sicile) sans qu'il faille nécessairement en déduire une filiation directe. En particulier pour les noms extrêmement fréquents, ils peuvent être présents dans toute la Méditerranée sans qu'il y ait d'autre liens que la même origine latine. Un dictionnaire de noms sardes (Pittau 1992) explique par exemple qu'une forme comme Oliva peut correspondre au substantif oliva "olive, olivier" dérivé du latin oliva, mais peut aussi être un anthroponyme italien ou espagnol. Un dictionnaire des noms de famille dédié à la Corse relèverait probablement le même nom assorti des mêmes commentaires, avec peut-être l'indication que le substantif corse existe aussi sous la forme aliva.
Il ne faut donc pas confondre l'histoire d'un nom avec l'histoire de la famille qui le porte: "Partout existent de nombreuses familles qui ont le même nom tout en n'ayant aucun lien de parenté, et, inversement, il existe de nombreuses familles apparentées qui ont cependant des noms différents" (Pittau 1992). L'auteur précise que "souvent il n'est même pas possible de décider avec un certain degré de certitude si tel nom de famille est sarde ou allogène, c'est-à-dire italien ou catalan ou castillan, etc."
Ainsi pour Ventura, ou Luca/Lucca; l'auteur indique que ce dernier peut correspondre à un toponyme (Lucca en Toscane ou en Sicile) ou à un nom personnel dérivé du latin ecclésiastique, mais peut aussi être un patronyme proprement italien ou espagnol. Pour pouvoir trancher, il faut passer le relais aux recherches de caractère historique et généalogique concernant les familles ou les individus. De telles considérations valent aussi pour la Corse: il existe des Ventura un peu partout, en Corse et ailleurs, mais la généalogie d'un Ventura corse peut n'avoir rien de commun avec celle de ses autres homonymes Corses ou étrangers.
Au demeurant la forme graphique ne peut donner lieu à des conclusions sûres dans la mesure où les noms de famille corses ont été en majorité toscanisés comme les toponymes.
On notera ici que, même dans la littérature en langue corse où les prénoms figurent sous leur forme locale, les noms de famille conservent dans la presque totalité des cas une forme toscanisée (Ghjacumu/Jacques mais seulement Giacomi; ici les seules données de la linguistique ne permettent pas de dire s'il s'agit d'un nom d'origine italienne, où un nom local toscanisé). "Quelle que soit leur origine et leur mode de formation, les noms de famille sont des formes de la langue écrite, et, par conséquent, toscanisées (prénom Petru, mais nom de famille Pietri avec la diphtongaison dite "romane" inconnue du Corse (Ettori 1979). De même Erbalunga, malgré la graphie toscanisée, correspond à un nom de famille lui-même issu sans doute du nom du village près de Bastia (Erbalonga en graphie corse): l'existence virtuelle ou attestée d'un toponyme Erbalunga ou même Erbalonga en Italie ne permettrait en soi aucune conclusion quant à l'origine des familles concernées.
Seules quelques rares exceptions conservent une graphie corse.
A côté de Guglielmi (Corse et Italie) Vuddelmi, Vuddelmoni sont des formes caractéristiques du Sud de la Corse, de même que Guddelmoni (7 occurrences dans l'annuaire corse), enregistré par les dictionnaires sardes comme "cognome gallurese corrispondente a quello italiano Guglielmoni" (Pittau 1992). De même un nom comme Chiarasini (13 occurrences dans l'annuaire corse) a une forme qui laisse peu de doutes sur son origine linguistique corse. L'étymon est sans doute le corse chjarasgia, -u "cerisier, cerise". Le latin cerasa a donné diverses formes dans les divers parlers romans où, pour parler du domaine italien, on atteste les noms de famille Cerasa, Cirasa Ceresa qui s'expliquent de la même mainère que Chiarasini. C'est sans doute la distance trop grande entre la forme corse et la forme toscane (ciliegia, ciriegia, ciregia) qui a soustrait Chiarasini à une toscanisation qui aurait engendré une forme du type *Ciliegini (ou *Ciriegini).
La coexistence de formes diverses dues aux différentes phases historiques concerne à des degrés divers tous les pays où existe ou a existé le plurilinguisme, officiel ou non. L'adaptation des formes locales à la langue officielle a produit partout les mêmes monstres ou les mêmes incohérences. On peut citer un cas emblématique de l'italianisation arbitraire en Sardaigne. Golfo degli Aranci ("Golfe des Orangers") se superpose à la dénomination gallurese Gulfu di li ranci ("Golfe des crabes") dans un lieu où les orangers n'existent pas (et ne peuvent pas exister en raison de l'exposition à des vents violents: De Felice 1987 p.169). La conformation plus ou moins réussie à la norme officielle, toscane ou française notamment, n'est d'ailleurs pas toujours imposée mais résulte parfois d'un décision des intéressés, y compris pour les noms de famille ou les prénoms. Le prénom Giabicorso (en corse Ghjapicorsu, formé de Ghjapicu, métathèse à partir du latin Iacobus, et de Orsu, probablement basé sur Ursus, fréquent dans la Rome impériale et renforcé dans le Haut Moyen-Age par des influences germaniques: cf. De Felice 1997 "Orsi") est cité par Ettori 1979: Ghjapicorsu "au lieu d'être traduit Jacques-Ours est transcrit Jabicorse et rattaché plus ou moins consciemment au mot "corse" (Ettori 1979).
Le caractère ardu des études onomastiques a été souligné par tous les spécialistes: "Qui n'a pas travaillé sur les noms de lieux a rarement une idée de la difficulté extrême de telles études, de la somme de connaissances de langues et dialectes anciens et modernes que cela requiert, du travail exténuant de recherches dans les archives et les sources antiques et médiévales, de l'étude minutieuse de conditions historiques et géographiques que cela impose" (Bonfante in Rohlfs 1974:XI)
Bibliographie: Pour la Corse voir les pages lumineuses de F.Ettori 1979 (175-179) qui donnent notamment des informations sur la formation du système des noms en Corse (seconde moitié du 18e siècle, et sur le système romain: praenomen, nomen gentilicium, cognomen, auquel il faudrait ajouter l'agnomen (De Felice 1997: ex. Marcus Porcus Cato Censorius).

Sources documentaires (onomastique):

En guise d'introduction à l'onomastique historique corse nous publions ci-dessous un extrait d'un ouvrage déjà ancien (Chiorboli 1985, p. 257 à 269) en respectant le texte original, inédit si ce n'est en 1985 par l'association STUDII CORSI de BASTIA sous forme de polycopie de cours universitaire à tirage limité]
Formes variables dans les documents écrits anciens: Sources documentaires
La toscanisation, intervenue très tôt, des noms de lieux corses prive la recherche linguistique historique de documents précieux d'investigation. La forme autochtone des toponymes survit dans la prononciation actuelle et, mis à part la question du rapport entre graphie et phonétique, dans des textes écrits en corse qui ne remontent pas au début du siècle dernier (1). Cette littérature, assez importante, mériterait d'être étudiée d'un point de vue linguistique; là aussi la situation de contact linguistique constitue un angle indispensable d'approche: contact avec le français, déjà, et avec l'italien. Les deux dimensions, plus ou moins importantes selon les époques ou les auteurs, sont toujours présentes et offrent des témoignages précis de la transition d'une culture -et d'une langue- hégémonique à l'autre. Des travaux, déjà cités, existent concernant l'aspect littéraire, sociopolitique de l'acculturation; la perspective strictement linguistique est encore pratiquement absente. Sans parler de traitement automatique de textes et d'utilisation de l'informatique, encore peu ou pas au appliqués corse, il serait possible d'observer dans les textes indiqués la trajectoire de certaines structures fréquentes. Nous l'avons fait ci-dessus de façon très incomplète au sujet de la négation répétée, il serait possible de le faire par exemple pour la structure du comparatif, et en général pour toutes les formes pour lesquelles on constate une diversité au niveau de l'usage. Au sujet de la possibilité d'exprimer l'article devant le nom pour l'expression du superlatif relatif, les grammaires normatives elles-mêmes font des recommandations contradictoires (a muntagna a più alta di Corsica / a muntagna più alta di Corsica) sans expliquer les raisons de leur choix. L'examen, quantitatif si possible, de l'usage des écrivains doit bien sûr constituer une dimension indispensable d'une analyse linguistique concrètement applicable (D. Carlotti, T.P. de Peretti emploient l'article, Ziu Tumeone ne l'emploie pas...): la mise en lumière du rôle du contact linguistique ne suffit pas, nous le répétons, pour établir une norme.
La littérature, et en général toutes les productions écrites dont la fonction référentielle ne constitue qu'une partie des motivations expressives, ont cependant l'inconvénient d'être particulièrement exposées aux facteurs extra-linguistiques. Un texte écrit a rarement le caractère spontané que peut avoir une conversation effectuée en dehors des situations formelles. On peut donc regretter l'absence ou la rareté de documents écrits "alittéraires", c'est-à-dire de documents où soit atténué "le -contraste brutal entre langue parlée et langue écrite", c'est-à-dire entre le "fait biologique" et la "forme culturelle" (cf. BADIA-MARGARIT 1972 p. 302-305). Pour l'époque actuelle, ce genre de documents écrits en corse (lettres privées, mémoires autobiographiques, actes de procès en justice) sont pratiquement inexistants. La situation sociolinguistique actuelle, dont un élément essentiel réside dans les modalités de l'alphabétisation généralisée, est telle que l'usage de la langue -dominante est exclusif en ce domaine: malgré un usage souvent constant de la langue corse à l'oral, les Corses s'écrivent en français pour donner des nouvelles à leur famille ou s'adresser des voeux de fin d'année. La situation récente semble témoigner d'une évolution qu'il n'est cependant pas possible pour l'instant de définir avec précision. Si l'on retient la notion de répertoire linguistique, on peut bien sûr estimer que le français employé par les Corses est d'une nature particulière et donne des indications utiles sur le système global qui comprend les diverses variétés. On a soutenu qu'il est possible de construire, pour les communautés bilingues, une grammaire unique qui englobe les diverses langues à la disposition des locuteurs (2). Il est évident cependant que c'est la langue parlée qui risque surtout de révéler une structure particulière due à une situation socio-linguistique spécifique; la langue française écrite en Corse n'est certainement pas exempte d'interférences avec la langue autochtone, on peut toutefois douter, étant donné notamment les progrès de la scolarisation, qu'elle révèle beaucoup de choses sur la langue corse populaire.
Si l'on se tourne vers des époques plus anciennes, la situation semble la même quant à la possibilité de capter l'expression populaire écrite en corse. On sait que la population, bien qu'écrivant en italien au lieu d'écrire en français, n'utilisait encore sa langue qu'à l'oral. Il est cependant possible de relever des différences fondamentales. La première concerne le degré d'alphabétisation en langue dominante, à savoir en italien. On sait qu'au moment de l'unité italienne, la langue "nationale" -c'est-à-dire la langue forgée par les écrivains illustres- est une langue étrangère pour environ 98% des Italiens (DE MAURO 1976 p.43) (3).
Il n'y a aucune raison de supposer qu'en Corse -déjà rattachée à cette époque à la France mais où la langue écrite presque exclusive restait l'italien- la situation était meilleure quand à la maîtrise de l'italien littéraire par la population locale. Si l'on examine les époques antérieures (notamment le XVIIe siècle), on peut raisonnablement penser que les productions écrites des Corses, singulièrement des moins instruits, sont riches d'enseignements quant à la langue parlée par le peuple de l'époque.
La deuxième différence fondamentale quant aux effets du contact linguistique actuel (corse-français) et celui d'hier (corse-italien) tient à la distance qui existe entre les langues en contact. Plus les systèmes seront proches (corse/italien) plus les interférences seront susceptibles d'être nombreuses et inconscientes, au contraire plus les systèmes sont éloignés (corse/français) plus l'attention des bilingues est en alerte et les risques d'interférence limités. La situation récente, pour laquelle on agite le spectre de "l'amalgame" ou du "mélange" linguistique est évidemment particulière en raison de la puissance des phénomènes qui poussent à l'acculturation. La question de savoir si le corse est devenu, ou est en passe de devenir une langue "mixte" ne sera pas approfondie ici, quel que soit son intérêt. Les diverses observations tendant à prouver qu'une "langue accepte seulement une influence qui n'est pas en contradiction avec son système" (Vachek) ou "qu'une langue reste elle-même jusqu'à sa mort" (Meillet) n'ont pu encore être confirmées par des exemples concrets et indiscutables (4).
Dans un article de la revue "Etudes Corses" (CHIORBOLI 1978) nous avons fourni quelques exemples d'interférences observables dans des documents écrits en italien par des Corses et imputables à la pression de la langue locale. Le fait que certaines des structures relevées montrant une divergence avec l'italien littéraire de l'époque (et imputées au corse) sont en fait observables dans certains dialectes toscans ou en italien ancien ne diminue à notre sens pas l'intérêt de telles investigations. Il pourrait être examiné utilement à la lumière de la thèse émise par ACQUAVIVA 1982 qui pense que, concernant la période du VIIIe au XIIIe siècle notamment, il ne faut pas raisonner uniquement en termes de "toscanisation" de la Corse, mais d'échanges à double sens, linguistiques et culturels, dans une aire comprenant la Corse et la Toscane, l'affinité corse/toscan antique étant alors vue comme une originalité. Dans un tel cadre le rapport de forces n'est pas aussi déséquilibré qu'à partir de l'image, fausse au moins pour l'époque considérée, d'une "colonisation culturelle" d'une petite île par un continent italien culturellement et linguistiquement homogène (p. 63-64). Mais l'intérêt de se pencher sur le "corse populaire", directement ou à travers ses manifestations dans des productions écrites dans un code mal maîtrisé, va plus loin que l'interprétation des interférences entre langues différentes, toujours observables. Il s'agit en fait d'observer une syntaxe particulière qui est propre à la langue populaire et qui conserve son caractère d'oralité malgré le média employé. Une telle syntaxe, qui obéit non pas à des "normes" (avec tous les problèmes inhérents a leur justification) mais à des "lois naturelles", n'est observable que dans des productions que nous avons qualifiées d'"alittéraires". Les observations déjà faites pour d'autres langues montrent que ces dernières, loin d'être caractérisées par l'irrégularité et l'anarchie d'ordinaire attribuées au langage parlé, révèlent en fait une syntaxe interne unitaire. Il est important de noter que les coïncidences observées dans un tel cadre entre des productions linguistiques appartenant à des langues différentes (coïncidences corse et français populaire, corse et italien populaire par exemple), ne semblent pas résulter de contacts directs mais d'exigences semblables satisfaites de manière analogue (5). Pour prendre un seul exemple, celui de l'emploi du relatif "polyvalent", il est évident que les constructions employées par le corse anonyme de la Cronichetta (qui écrivait en 1660: cf. CHIORBOLI 1978, p. 108) sont certainement communes à bien des langues populaires -corse, italien, français ...- à des époques très diverses: "Sant'Antonio da Padova che tutta la città ne è assai divota". La langue employée aux 17e et 18e siècle par les Corses peu instruits peut être définie comme "le type d'italien imparfaitement acquis par ceux qui ont comme langue maternelle" le corse (6). C'est sur cette langue que nous nous pencherons dans les paragraphes qui suivent, non pas pour en faire une étude exhaustive, mais pour voir les enseignements qui peuvent en être tirés concernant les noms propres corses, toponymes et anthroponymes notamment. Les documents écrits exploitables de ce point de vue sont nombreux (7); il s'agit avant tout des ceppi de notaires et de documents divers écrits par les religieux de l'époque (notamment les franciscains): libri maestri tenus au jour le jour par les gardiens de couvents, écrits hagiographiques, etc. Notaires et religieux font partie des témoins intéressants dans la perspective indiquée plus haut. En ce qui concerne les notaires, on peut s'attendre à ce qu'ils ne manient pas l'italien avec la plus grande dextérité; les chroniqueurs de l'époque raillent souvent leur ignorance: "sono ignari di grammatica, donde che malamente sanno far l'officio loro" (Cf. CHIORBOLI 1978 p.156). Quant aux religieux corses, il semble qu'ils aient été de tous temps réfractaires à la culture importée; THIERS 1977 p. 16 cite ces propos d'un inspecteur en mission en Corse en 1818: "En général, à l'exception de quelques ecclésiastiques qui ont été élevés dans nos séminaires, le clergé corse est très ignorant... C'est peu d'être étranger aux lettres humaines, il connaît peu la religion dont il exerce le ministère; il ignore jusqu'aux premiers principes de cette morale universelle des peuples civilisés". En ce qui concerne les religieux à l'époque qui nous intéresse, il est à noter que les franciscains sont dans leur presque totalité originaires de Corse. L'intérêt de tels documents, non seulement pour la seule question des formes onomastiques corses qui seules retiendront ici notre attention, mais pour la langue employée en général, est que l'on peut disposer de documents parallèles de la même époque écrits, toujours avec l'italien comme modèle au moins idéal, par des religieux ailleurs qu'en Corse. Les différences alors constatées sont évidemment plus sûrement imputables à l'interférence de la langue maternelle des auteurs.
Les exemples cités ci-après, dont la référence abrégée sera suivie du numéro de page, sont tirés de la Cronichetta (anonyme 1660: CR), des ragguagli du frère P. Olivesi (1671: OL) et du premier libro maestro du couvent de Marcassu (1621-1695: MAR) (8)

Toponymes
L'article

L'usage de l'article devant les noms de lieux est aisément observable au XVIIe siècle: La Bastia (CR, 56) L'Oreto (CR, 43) Pieve del Aregno (MAR, 7) Loco detto alli Pitrali (MAR, 7).
Il est possible de noter, en comparant avec l'usage actuel, que l'article semble tomber en désuétude devant les noms "fossilisés", c'est-à-dire qui ne sont plus employés comme noms communs" (cf. ROHLFS 1966 par. 649). Le processus semble cependant faire intervenir des facteurs complexes et divers (cf. Pinu, Ortu, sans article malgré une signification limpide au moins en apparence: peu importe s'il s'agit d'étymologie populaire). Les grammaires ne permettent pas de définir autre chose qu'une "norme d'usage", même s'il est fait recours à la notion complexe de "personnification" C'est ainsi qu'AGOSTINI 1984 p. 49 indique à propos de l'article: "on peut l'employer devant un nom de cours d'eau, mais le fleuve important est souvent personnifié, comme d'ailleurs le mont, le massif montagneux: Golu, Tavignanu, Monte Cintu".
L'explication de l'usage de l'article par la motivation du toponyme implique bien entendu un changement progressif. Un "lieu-dit" le plus souvent reçoit un nom à signification concrète et demande l'article . Quand le nom commence à sortir de l'usage commun, il conserve l'article pendant une période assez longue même si le sens n'est pas toujours perçu (cf. E Cristinacce, U Lucu di Nazza, u Mucale). Puis les deux usages coexistent un certain temps (hè cullatu à u Borgu / hè cullatu in Borgu) avant que l'article ne disparaisse définitivement (Bastia, Aregnu aujourd'hui, la Bastia, l'Aregno au XVIIe siècle). La perte de l'article s'accompagne, au plan syntaxique, d'un changement de préposition (à + article, in sans article; andà in Bastia; andà à U Prunu; andà à U Borgu / andà in Borgu; la construction avec l'article semble cependant plus fréquente quand il s'agit du village même, la construction sans article désignant plutôt la région, la plaine de U Borgu).
Il faut également mettre ces phénomènes en rapport avec un mauvais découpage des formes considérées, l'article pouvant être senti comme faisant partie du mot. Le phénomène peut permettre d'expliquer des variations du type L'Oreto (cité ci-dessus) au XVIIe siècle, Loretu aujourd'hui (sans article). On peut assister également au système inverse, l'initiale du toponyme lui-même pouvant être interprétée comme un article et amenée à se détacher du mot. C'est ce qui peut expliquer la persistance de l'article devant les toponymes dont le sens est obscur. Cf. les deux formes ci-dessous:
A Venzulasca (forme actuelle)
Avenzolaschae (OL, 218)
Le même toponyme peut subir tour à tour les deux phénomènes ci-dessus. Si l'on tient compte de la forme Laureto (OL, 218 citée par un auteur du XIIe siècle comme la plus ancienne) en la mettant en rapport avec L'Oreto et Loretu (cités ci-dessus), l'évolution a pu être la suivante: Lauretu> Loretu> L'Oretu> Loretu. Nous noterons enfin que l'usage de l'article devant les toponymes peut à notre époque connaître des processus évolutifs différents de ceux du passé. Il faut compter en effet avec les phénomènes de contact, qui poussent à la suppression de l'article, de même que la graphie officielle actuelle. Par ailleurs si la graphie corse "restituée" s'imposait, on pourrait avoir alors une fixation de l'usage corse actuel, l'emploi de l'article n'étant plus lié à la motivation des toponymes qui l'on conservé jusqu'à ce jour.
Le vocalisme
La finale -u correspondant à la prononciation corse est rarement observable à l'écrit. La différence très nette et immédiatement perceptible entre toscan (finale -o) et corse (finale -u) réduit évidemment le risque d'interférences; on peut en déduire que le -u final est déjà un "indicateur de corsité" au XVIIe siècle, indépendamment de sa connotation, le toscan (et donc la finale -o) étant probablement doué d'un plus grand prestige et considéré comme le modèle à imiter (d'où les phénomènes d'hypercorrection que nous évoquerons ci-après). En ce qui concerne la fermeture des voyelles atones, les exemples sont nombreux de -u- et -i- qui correspondent à la prononciation actuelle non prise en compte par la graphie officielle: Rugliani (CR, 90, cf. Rogliano); Rustino (CR, 7, cf. Rostino / Rustinu); Ferinula (CR, 76, il s'agit d'un anthroponyme, cf. le toponyne Farinole / Ferringule). On peut noter des -u- dans des toponymes de la région (cf. ci-dessus) où la fermeture vocalique se fait rarement: Muriani (CR, 44, cf. Moriani). On relève pour l'anthroponyme Lucia (qui entre dans la composition de nombreux toponymes: Santa Lucia, etc.) une forme Locia (MAR, 96) probablement due à une hypercorrection, ce qui signifierait que la fermeture des voyelles atones est également perçue comme une divergence sensible, à l'époque considérée, entre corse et toscan. Les hypercorrections de ce type sont nombreuses et touchent l'ensemble du lexique (cf. plus loin notamment pour les anthroponymes).
En ce qui concerne -i de nombreux toponymes corses rendus par -e dans la graphie officielle, les textes présentent des exemples: Cervioni (CR, 61, cf. Cervione / Cervioni). Il faut noter que la finale -i semble plus répandue au XVIIe siècle qu'aujourd'hui; on relève -i pour de nombreux toponymes qui présentent -u aujourd'hui: Ogliastri (OL, 209, cf. Ogliastro/ Ogliastru); Rugliani, Rogliani (CR, 90, 91, cf. Rogliano/ Ruglianu); Tavignani (CR, 60, cf. Tavignano / Tavignanu). En ce qui concerne Corte/ Corti, dont l'origine est controversée (cf. DE ZERBI 1984 p. 80) (9), nous versons au dossier les formes suivantes:
Curtim (OL, 219)
Cortena (CR, 31)
Quant à la restitution abusive de certaines finales, certains toponymes ont déjà au XVIIe siècle une forme oxytonique correspondant à l'usage actuel: Tallà (OL, 295 et CR, 16; cf. Tallano / Tallà). Quant à la forme Sartena (CR, 31) elle renvoie à la forme officielle (Sartène) qui conserve une syllabe aujourd'hui disparue (Sartè); la voyelle finale correspond mieux cependant au système méridional qui exclut -e. Les textes permettent également de documenter certaines particularités locales, comme le passage de /e/ à /a/ devant /r/: Quarcciolo (MAR, 72; cf. Querciolo/ Querciolu).
On constate donc que, malgré le modèle de la langue dominante, le vocalisme corse se manifeste dans la forme écrite des toponymes. Il en est de même pour le consonantisme que nous examinerons particulièrement ci-après dans la catégorie des anthroponymes; noms de personnes et noms de lieux peuvent bien sûr être traités conjointement, les mécanismes mis en jeu étant souvent les mêmes.
Anthroponymes
Le libro maestro

Il est clair que les différentes subdivisions de ce que nous avons appelé l'onomastique sont interdépendantes. La séparation que nous avons faite entre les géonymes évoqués ci-dessus et les anthroponymes dont nous nous occuperons maintenant n'est qu'un moyen pratique pour limiter un champ lexical très étendu, et qui ne peut d'ailleurs justifier entièrement la distinction entre noms propres et noms communs: nous l'avons éprouvé à propos des toponymes. De même beaucoup d'anthroponymes sont également des géonymes; un nom géographique devient souvent un nom de famille mais l'inverse se produit également. Du point de vue étymologique, il arrive d'ailleurs que les diverses variantes d'un prénom éclairent l'évolution d'un nom de lieu. Du point de vue linguistique, les anthroponymes dans les documents écrits anciens sont plus intéressants dans la mesure où ils sont moins soumis que les géonymes à l'époque considérée (XVIIe siècle) à la codification opérée par la langue dominante. Il est possible d'observer l'ancien système qui se composait pour chaque individu du prénom (nome/ nomu) suivi du prénom du père ou du lieu d'origine. Le nom de famille (casata) n'est pas encore formé à l'époque; il se stabilise dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (cf. ETTORI 1979 p. 175) et est issu du prénom, du surnom (les cugnomi sont encore très nombreux aujourd'hui) ou du lieu d'origine. Ettori (ibidem) remarque la rareté des noms de métiers qui produisent des noms de familles (il cite Ferrari et Ferrali qui renvoient au forgeron. Les anthroponymes que nous citerons ci-après sont tirés du premier Libro Maestro du couvent de Marcassu (nous n'indiquerons donc que le numéro de page) en Balagne et sont donc très localisés; ils sont cependant très variés et semblent constituer un échantillonnage représentatif de l'ensemble de la Corse. Seuls les noms de lieux qui les accompagnent (ils font souvent partie, nous l'avons dit de la dénomination) se réfèrent dans leur presque totalité à des villages de Balagne.
Quant au contenu du Libro Maestro, "il ne s'agit pas d'un texte suivi, mais d'un livre d'administration, d'une suite de notes, de comptes, d'attestations, ou de copies d'actes qui jalonnent la vie du couvent depuis le projet de sa fondation, aux alentours de 1620, jusqu'en 1695" (p. I). "La suite des informations ne respecte pas toujours l'ordre chronologique et les écritures comme les styles varient considérablement selon les responsables qui ont accès au livre" (p. III). Varie donc également la maîtrise de la langue écrite par les religieux dont beaucoup sont totalement analphabètes, à tel point que de simples croix remplacent de nombreuses signatures. Nous citons un passage de la page 37:
"In fede noi infra scritti siamo stati presenti
Io fra Toma di Caccia non saper scrivere faccio la croce +
Io fra Ginipero d'occhiatana non saper scrivere faccio la croce +
Io fra Timoteo di Caccia non saper scrivere faccio la croce +
Io fra Candido di S. Antonino Affermo ut supra.
Io f. Aduito d'Auap.a fui presente come sopra.
Io fra Liberio di Giossani fui presente come sopra.
Io fra felice di Pofiume Uicario fui presente come sopra.
Io fra Gio:Batta di Morato Affermo ut supra.
Io fra Giacopone d'Aregno Guar.no affmo quanto di sopra"
Le système de dénomination
Les schémas les plus fréquents sont:
A. prénom + di + prénom du père:
Antea di Paolovicete (34)
Luico di Petro (26)

B. prénom + quondam + nom du père décédé
prénom + del quondam + nom du père décédé
dorziano q.m lucchino
Delia del q.m Napoleone (86)

C. prénom + di + lieu d'origine
prénom + da + lieu d'origine
prénom + de + lieu d'origine
Pasqualino delli Catari (7)
Gio: Batta da Morato (39)
gioanni victorio de Aregno (4)

On trouve également divers schémas qui combinent les précédents:
B + A:
Antonmartino q.m marcatone de Aregno (3)
A + B:
Risabetta di jacomantone q.m Artiso (23)
Des systèmes différents sont utilisés parfois pour les religieux (fra Bonifatio, frat'Angelico, 1) et le nom de famille apparaît quand il s'agit des nobles (Paolo Gilaromo Savelli, 27, avec parfois la mention Nobile). Les artisans (menuisiers, maçons) ont droit à une mention particulière (maestru signifie encore aujourd'hui "maçon"):
mastro stefano (25);
Maestro Girolamo d'Occhiatana (108)

Consonantisme
La sonorisation des sourdes est visible dans:
p / b
Cibriano
(47, cf. Cipriano, même page)
ci / gi
Giaginto
(182, cf. Giacinto, p. 16)
Lugiano (17, cf. Luciano, 154)
c / g
Nigolo
(49, cf. Nicolo, 225)
Glimento (78, cf. Clemente, 23)
Le même phénomène est à l'origine de la restitution hypercorrecte d'une sourde à la place d'une sonore étymologique ou normale en italien:
gi (ge) > ci (ce):
Ciordano (222,
cf. Giordano 247);
Aucenia (237,
cf. Augenia 231)
g > c et b > p
Capriello (49,
cf. Gabriello 22)
Tiporzio (83,
cf. Tiborzio 85)
d > t
Placito (52,
cf. Placido 22)
La variation des sonores est responsable des incertitudes graphiques ci-dessous:
b / v / u:
Uatina (244,
cf. Battina 23)
bibiano (224,
cf. Viviano 146, Biviano, 154)
Barnauè (41,
cf. Barnabè, 23)
d / Ø:
Candia (148, cf. Candido, p. 37)
g / u / Ø
Gianauostino (78, cf. Agostino 110)
Niolo (148, cf. Nigolo, 49)
Arietta (61, cf. Arighetto, 228)

L'épenthèse de -g- est dans certains cas à interpréter comme une fausse restitution. Dans Aguleria (50) l'auteur a voulu rétablir un -g- intervocalique supposé dans Auleria (= Aurelia, 18).
Les accidents généraux
Dans la forme citée Aguleria nous avons une métathèse, de même que dans les exemples ci-dessous:
Marcaulerio (233, cf. Marcaurelio 4)
Ramillina (22), Rimilina (48) (
cf. Armelina)
Giapico (22), Giabico (25), Giabicone (142,
cf. Giacopone, 37)
Certaines variantes graphiques permettent de reconstituer avec précision toutes les étapes de l'évolution, du latin aux formes actuelles. Le prénom Ghjilormu est la forme actuelle corse de Hieronymus "Jerôme" qui a donné également les noms de famille connus en Corse comme Geronimi et Gilormini. On trouve dans le Libro Maestro les formes Gironima, très proche du latin, p. 180, Girolamo (72, dissimilation n...m >l...m et passage de i intertonique à a, renforcement qui tend à éviter la chute attestée p. 33 Ierolmo), Gilaromo (27, métathèse de Girolamo), Gilormo (83, métathèse à partir de Ierolmo), Gilormino (218, avec le suffixe -ino).
Toujours en ce qui concerne les noms de famille corses, Teramorsi est formé des deux prénoms encore vivants Teramu ("Erasme", coupure érronée de Sant'Eramu avec une accentuation "à la grecque": San Teramu /san'teramu/) et Orsu ("Ours"). On trouve Teramo à la page 16 et Teramorso / Terramorso à la page 22. Des phénomènes du type évoqué rendent parfois difficile l'identification de certaines formes. Le prénom Aurelius (Aurelia) a donné en corse de nombreuses variantes. On relève Alerio (34, passage de au atone à a caractéristique du corse, cf. plus haut), Arelio (215, métathèse du précédent), Leria (abrévation courante dans les prénoms corses: cf. Polonia 129, "Apollonie", Polda, 263, probablement "Léopolde", Tonfrancesco, 240, "Antoine-François"). Etant donné les rapports entre noms de personnes et noms de lieux nous ne serions pas surpris d'avoir ici l'explication du toponyme Aleria dont l'origine est controversée (Aurelia/ Arelia/ Aleria).
Nous nous sommes limité ici à quelques remarques concernant le consonantisme et ce que la grammaire traditionnelle appelle les "accidents généraux". Les variantes graphiques du Libro Maestro se prêtent également à des observations sur l'ensemble du système linguistique. Il est évident que le relevé des formes variables dans les textes anciens du type indiqué et leur explication ne constituent pas une fin. Il s'agit cependant d'un travail préparatoire pour une "reconstruction" toujours partielle mais utile, surtout si l'on considère les textes produits à l'intérieur d'une communauté linguistique. Il est essentiel de "s'en remettre au matériel documentaire non seulement pour les mots, mais pour tous les aspects de la vie, de l'activité et de l'organisation sociale qui déterminent l'usage des mots" (10). Cela apparaît d'autant plus évident qu'il s'agit de secteurs comme celui des noms de personnes particulièrement marqués par l'organisation sociale. Comme pour l'étude de la langue en action, les témoignages écrits doivent être rapportés à "une aire linguistico-culturelle avec un centre de référence, mais soumise à de nombreuses poussées centrifuges provenant de rébellions internes ou d'influences externes" (11).

Bibliographie (ouvrages cités in Chiorboli 1985 p. 257-269)
Acquaviva 1982
Acquaviva S. 1982: La Corsica. Storia di un genocidio, Milano, Franco Angeli
Agostini 1984
Agostini P.M. 1984: L'usu di a nostra lingua. Grammaire descriptive corse, Bastia, Scola Corsa
Badia-margarit 1972
Badia-Margarit A.M. 1972: "Langue et Société à Barcelone", in Revue de linguistique romane, Paris, Société de linguistique romane, éditions du C.N.R.S., n° 143-144, tome 36, p. 263-304
Chiorboli 1978
Chiorboli J. 1978: "Reflets de la langue corse dans un manuscrit du XVIIe siècle", in Etudes corses n° 10, Ajaccio, Association des Chercheurs en Sciences Humaines, p. 155-176
Chiorboli 1985
Chiorboli J. 1985: La langue corse entre l'usage et le code. Fonctionnement linguistique et tendances de l'évolution, thèse de 3e cycle, Mont-St-Aignan, Université de Rouen.
Cortelazzo 1976
Cortelazzo M. 1976: Avviamento critico allo studio della dialettologia italiana, III: Lineamenti di italiano popolare, Pisa, Pacini
De Mauro 1976
De Mauro T. 1972: Storia linguistica dell'talia unita, Bari, Laterza
De Zerbi 1984
De Zerbi G., "Lingua è lessicu", in Atti di e sessione Universitarie d'estate 83, 1984, Corti, Università di Corsica/Falce, p. 75-93
Ettori 1979
Ettori F. 1979: "Langue et littérature", in ETTORI F. et al., Corse, Paris, Bonneton, p.169-212
Labov 1977
Labov W. 1977: Il continuo e il discreto nel linguaggio, Bologna, il Mulino
Olivesi 1671
Olivesi P.1671: Serafici e Cronicali ragguagli della provincia Minore osservante di Corsica, Lucca, Iacinto Paci
Petrovici 1969
Petrovici E. 1969: "Interpénétration des systèmes linguistiques", in Actes du Xe congrès International des lingusistes, Bucarest, Editions de l'Académie de la République socialiste de Roumanie, vol. I, p.37-73
Rohlfs 1966
Rohlfs G. 1966: Grammatica storica della lingua italiana e dei suoi dialetti, 1966-1972, Torino, Einaudi
Thiers 1977
Thiers J. 1977: "Aspects de la francisation en Corse au cours du XIXème siècle" in Etudes corses 9, p. 5-40
Valleix 1973
Valleix C. 1973: Chronichetta. Manuscrit anonyme, Bastia, 1660, transcription et présentation par le Père André-Marie (C. Valleix), Bastia, Association Franciscorsa
Valleix 1977
Valleix C. 1977: Premier "Libro Maestro" du Couvent de Marcasso 1621-1695, Bastia, Association Franciscorsa

Don (anthroponyme):
Origine. D'après Falcucci 1972 (repris par Muntese 1985) l'anthroponyme corse Don serait la contraction de Donno, du latin dominus. L'origine serait alors la même que pour l'espagnol (Don Diego) ou l'italien don ou dom (cf. Don Abbondio, le curé des Promessi sposi de Manzoni).
Selon Ettori 1979 le prénom corse Donu fait partie des "prénoms mystiques datant des premiers temps du christianisme" come Orsu ou Sale. Donu serait "toujours en composition, avec apocope, Don Ghjacumu, Don Ghjorghju, etc."
Cette dernière interprétation est plus convaincante (mais on verra que les emplois de Donu seul et sans apocope sont attestés). En effet le prénom corse est à rattacher non pas à dominus mais au latin donus, "don" (de Dieu). Le prénom Donus (Donellus, Doninus, Donulus), attesté depuis le XIe siècle, engendre Donu en Corse et Dono en italien (ancien: Dono ne figure pas dans l'index de l'étude de De Felice 1982 à partir des annuaires téléphoniques de toute l'Italie).
En ce qui concerne la motivation, Donu est à rapprocher du prénom français Dieudonné, ou de l'italien Donato, prénom "gratulatorius" qu'on donnait à un enfant particulièrement attendu. Dans le cas de Don-Grace (5 occurrences dans l'annuaire corse de 1999), la connotation "gratulatoire" est double: on a le cognomen latin Gratius (de gratus "reconnaissant, cher") et surtout la notion de gratia dans son acception chrétienne mystique et religieuse de "grâce, don, protection de Dieu" (Grace/Grâce comme prénoms sont attestés dans l'annuaire corse et permettent d'expliquer les noms de famille comme Grazi/Grazzi; quant à Graziani il faut y voir comme base le cognomen latin d'époque impériale Gratianus, dérivé de Gratius).
Falcucci, bien que supposant l'origine dominus, indiquait qu'on ne peut traduire le corse Don par "Seigneur" comme le pensait le Docteur Mattei: "Comme titre d'honneur pour les prêtres, pour les nobles et même pour les simples citoyens de condition laïque il n'est plus employé, aujourd'hui tout au moins; autrefois on disait prete suivi du nom, comme en italien."
Emploi. On peut relever dans l'annuaire téléphonique 1999 de la Corse 3 occurrences du prénom simple Don, ainsi qu'un Dono qui peut être la forme italienne ou italianisée de Donu (mais Dono semble aujourd'hui disparu en Italie). On relève aussi 3 occurrences du prénom féminin simple Dona, ainsi qu'un composé Dona-Etiennette (sans doute adaptation française Dona Stefanina)
Les formes composées sont évidemment beaucoup plus fréquentes. Les plus usitées d'après l'annuaire téléphonique sont Don-Pierre (47), Don-Jacques (46) et Don-Jean (35).
On a parfois un espace à la place du trait d'union: Don Joseph, Don Paul.
Don entre dans la composition d'un nombre impressionnant de prénoms (Don-X ou Don X); nous donnons ci-dessous la liste des noms composés avec Don comme premier élément dans l'annuaire corse:
Don-André, Don-Antoine, Don-Augustin, Don-Camille, Don-Carlo, Don-César, Don-Charles, Don-Come, Don-Félix, Don-François, Don-Gavin, Don-Georges, Don-Grace, Don-Grimaldo, Don-Guillaume, Don-Hyacinthe, Don-Ignace, Don-Jacques, Don-Jean, Don-Joseph, Don-Louis, Don-Lucien, Don-Marc, Don-Mathieu, Don-Napoléon, Don-Nicolas, Don-Noël, Don-Paul, Don-Philippe, Don-Pierre, Don-Romain, Don-Simon, Don-Thomas, Don-Toussaint, Don-Tristan, Don-Victor.
On notera que tous ces prénoms sont francisés, sauf pour un Don-Carlo (cf. Don-Charles, 3 occurrences) et Don-Grimaldo: Don-Grimaud n'est pas attesté dans l'annuaire corse où l'on trouve 11 occurrences de Grimaud dont 2 en tant que prénom (pour Grimaldi on a 341 occurrences).
Noms de famille. Le nom de famille Doni (basé sur le prénom Dono<donus) et ses variantes (Dono, Don, Donelli, Donello, Donella, Donetti, Donini, Donoli) sont attestés en Italie (De Felice 1997); en Sardaigne on a Doneddu également rattaché à donu "don (de Dieu)". Mais tous ces patronymes manquent dans l'annuaire corse.
En revanche aux prénoms corses composés avec Don correspondent des noms de familles courants en Corse (mais pas en Italie):
Don Carli, Don-Carli, Doncarli, Don-Ambrosini, Don-Ignazi, Donignazi, Don Simoni, Don-Simoni, Donsimoni, Dongradi, Donmartini, Donpietrini.
On notera l'absence de ces formes dans les études basées sur les annuaires italiens, qui attestent en revanche Donnabella, Donnagemma, Donnangelo, Donnarumma, Donnianni, Donnicola, Donnorso, où la séquence -nn- atteste une base dominus (Donno, Donna sont présents en Italie comme noms de famille). L'absence de ces formes avec -nn- en Corse semblent confirmer la base donus (et non dominus) aussi bien pour les prénoms que pour les noms de famille qu'ils ont engendrés. Devant un deuxième prénom commençant par une consonne, les règles phonétiques permettent de poser aussi bien donus que dominus. Dongiovanni, considéré comme formé avec dominus (De Felice 1997), est absent de l'annuaire corse (contrairement à Giovanni, 57 occurrences, sans qu'il soit possible de distinguer entre origine corse et origine italienne du point de vue linguistique car la graphie est forcément toscanisée).
Pour en revenir aux patronymes qui nous occupent, on pourrait dire en résumé que les formes à base dominus sont plutôt italiennes (Dongiovanni), la base donus étant propre à la Corse (Doncarli). Nous voulons parler bien entendu du point de vue linguistique, et non pas généalogique. Doncarli et Dongiovanni (la forme graphique corse serait Donghjuvanni) sont théoriquement possibles en Corse comme en Italie ; ils peuvent être basés sur donus comme sur dominus. Les familles qui les portent peuvent être originaires de Corse comme d'Italie (même si d'après les annuaires la première n'est que corse et la deuxième seulement italienne); elles peuvent être apparentées ou non. Répétons que de telles questions ne peuvent être traitées par le seul linguiste, sans le secours de l'historien et du généalogiste.
Littérature. Les noms et prénoms basés sur Donu/Don sont évidemment très présents dans la littérature corse (les noms ci-dessous évoquent des personnages réels ou imaginaires, Corses pour la plupart mais aussi non-Corses; nous avons respecté l'orthographe originale des divers auteurs):
Aldrovandi Don Ghiuvan li Castiglioni// Don Antone Luciani// Don Baggiu// Don Basiliu// Don Cosimo Pieri ... dei Turchi// Don Felice Giovannoni// Don Felice Santini, di i Perelli// Don Francesco Maria Agostini del Silvareccio// Don Francesco Quesada Piras di Nulvi// Don François-Marie Ramolino (1725-1803)// don Ghiuvanni di Castineta// Don Ghjacumu ... surnommé Mocu (grand-père du poète Ugu Peretti)// Don Ghjuvanni di u Pè d'Orezza// Don Giulio Mari// Don Gnaziu// Don Gregorio Salvini// Don Grimaldu Filippi// Don Ignazio Geronimi// Don Jean Baptiste GAI// Don Matteu Giacometti di Sermanu// Don Paulu Carbuccia// Don Petru Santamaria// Don Polo// Don Santu Falconi dit "Minuit"// Don Simone Mattei Torre// Don Squarciaficu// Don-Petru Acquaviva// Don-Petru Leoni// Dono Prati// Donu Pietri// Donu Taddeu Leonetti di Cima di Merusaglia// Ferrandi Don Ghjuvanni, dettu Don Ciccinu// M. Don Côme Guiducci (83 ans), notre grand oncle// Pitrazzini Don Santu Jeromu... numignulu, Pullastrinu.
On peut relever des emplois de Don comme titre ecclésiastique (cf. en italien Don Domenico Carlotti), mais en corse on emploie plus volontiers prete (prete Dumènicu Carlotti, cugnumàtu Martinu Appinzapalu) comme le notait Falcucci dans son Vocabolario. Dans certains énoncés (u Canonicu Don Teramu Orticoni// lu to ziu Don Ghià// Mariotti (Don Paolo Maria), di Volpajola, vescu di Sagona) Don peut a priori être soit le prénom soit le titre. Mais on a souvent des emplois en conjonction avec des titres divers, où Don fonctionne clairement comme prénom et pas come titre. C'est le cas avec sgiò (u sgió Don Paulu// u sgiò Don-Cosimo Lucchini// u sgiò Don Petru de Mari ghjudice d'istruzione//) avec prete (Prete Don Vitu) ou avec ziu qui en Corse comme en Sardaigne (cf. Wagner 1960) est un titre employé pour les personnes "d'un certain âge et d'une certaine autorité" (Zi Donu Mileddu, Ziu Donu, Ziu Don Ghiaseppu).
Signalons enfin l'occurrence de Bellu-Donu comme nom de chien dans un poème d'A.Salducci (Ceppu d'albitru è baghi maturi) dont nous citons un extrait:

"Dop'una gattiva notte,
U so cane Bellu-Donu,
Abbaghjendu à la morte,
Li hà cacciat'u so sonnu.

Sbalanchendu la finestra,
Di zerga cun tanti mughji,
Hà tombu a povera bestia
Chi si truvava sott'ochji,

Sculinatu lu so ingannu,
Subitu si n'hè pentutu,
Ma ancu lu più supranu
A' salvallu ùn hà pussutu".


Lovisi (anthroponyme):
Le nom de famille Lovisi (corse casata, latin cognomen) se rattache à des prénoms (corse (pre)nome, latin praenomen) comme Luigi, Luduvicu, Luvicu, Luvica (cf. Clovis, Looïs en ancien français, ou Louis en français moderne). Si l'origine lointaine est germanique, les résultats sont présents dans une grande partie de la Romania (notamment en Italie, en Sicile, en Sardaigne et en Corse) sous diverses formes. En Corse on a notamment: Lovisi, Loisi, Aloisi, Luisi, Luigi, Luiggi, Lovichi, Loviconi, Lodovichi, Lodovici, Dolovici. Tous ces noms sont cités par De Felice 1997 dans son études sur l'anthroponymie italienne, sauf Dolovici, qui est vraisemblablement le résultat d'une métathèse à partir de Lodovici.
=>Voir onomastique, anthroponymie.

 

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES (GLANURES/SPICULERE):
De Felice 1982
De Felice E. 1982: I nomi degli italiani, SARIN-Marsilio ed.
De Felice 1987
De Felice E. 1987: "Onomastica", in Lazzeroni R. (a cura di), Linguistica storica, Roma, NIS, 147-179.
De Felice 1997
De Felice E. 1997: Dizionario dei cognomi italiani, Milano, Mondadori
Ettori 1979
Ettori F. 1979: "Langue et littérature", in ETTORI F. et al., Corse, Paris, Bonneton, p.169-212.
Falcucci 1972
Falcucci F.D. 1972 (1892): Vocabolario dei dialetti della Corsica, Firenze, Licosa reprints.
Filippini 1999
Filippini A. F. 1999: Vucabulariu Corsu-Italianu-francese, Bastia, Anima Corsa
Muntese 1985
MUNTESE 1985: Dizziunariu corsu francese, "U Muntese/Lingua corsa", 4 vol., Levie (Corse), Albiana.
Pittau 1992
Pittau M. 1990: I cognomi della Sardegna, Sassari, C. Delfino
Rohlfs 1974
Rohlfs G. 1974: Dizionario toponomastico e onomastico della Calabria, Ravenna, Longo
Wagner 1960
Wagner M.L. 1960: Dizionario etimologico sardo (DES), Heidelberg, Winter

NOTES

1. Sur la littérature écrite en langue corse, cf. ETTORI 1979 p. 206-211.

2. C'est ce que pense J. GUMPERZ (cf. LABOV 1977 p. 71): « Gumperz... sostiene che noi possiamo costruire un solo "repertorio" per le "diverse" lingue che un parlante sa usare ».

3. « Negli anni dell'unificazione nazionale, gli italofoni, lungi dal rappresentare la totalità dei cittadini italiani, erano poco più di seicentomila su una popolazione che aveva superato i 25 milioni di individui: a mala pena dunque il 2,5% della popolazione ».

4. Les citations de VACHECK et MEILLET figurent (p. 58 et 68) dans l'article cité de PETROVICI 1969.

5. CORTELAZZO 1976 p. 18 relève entre les textes écrits dans des langues différentes mais toujours en « langue populaire » de nombreuses convergences: « coincidenze... non determinate, pare, da contatti diretti, ma risultato di un'eguale esigenza soddisfatta in maniera analoga ».

6. CORTELAZZO (Ibidem p. 11) définit « l'italiano popolare » comme « il tipo di italiano imperfettamente acquisito da chi ha per madrelingua il dialetto ».

7. Cf. notamment les répertoires de microfilms publiés regulièrement par l'association FRANCISCORSA (Couvent des Capannelle, Bastia).

8. Valleix 1973; Olivesi 1671; Valleix 1977.

9. Deux origines ont été évoquées; d'une part le latin cohortem, à cause de la "cour de justice", ou "cour d'une maison" ou "groupe de maisons"; d'autre part la base méditerranéenne KOR- présente dans d'autres lieux (inhabités) et dans le nom même de la Corse. Cf. notamment: DE ZERBI 1984 p. 75-93.

10. « Prevediamo col Malinowski che il dialettologo, fin qui asservito a modelli troppo angusti, avuto « il beneficio umanizzante del bagno di cultura antropologica », dovrà in futuro necessariamente abbandonare il suo confortevole mondo bidimensionale di pergamena e carte e o recarsi sul posto (e questo quasi sempre lo fa) oppure affidarsi al materiale documentario, ma non solo per le parole, bensì (e questo non lo fa quasi mai) per quanti aspetti della vita, dell'attività e dell'organizzazione sociale l'uso delle parole è determinato » (CORTELAZZO 1976 p. 267).

11. CORTELAZZO (Ibidem p. 263) indique que le recours à des critères extra-linguistiques est nécessaire notamment pour « l'osservazione delle multiformi situazioni, tutte, però, circoscrivibili in un'area linguistico-culturale con un centro di riferimento, ma soggetta a numerose spinte centrifughe, provenienti da ribellioni interne o da suggestioni esterne ».

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