Michel Feltin-Palas : « Les langues sont des objets de culture exceptionnels »

Bastia

Michel Feltin-Palas : « Les langues sont des objets de culture exceptionnels »

Par: Laurent Herin

Publié le: 21 février 2022 à 11:45

Dans: Culture - Loisirs

Le journaliste et spécialiste des langues Michel Feltin-Palas a animé une conférence à L'Alb'oru pour défendre les langues dites minoritaires.

Raphaël Poletti

Invité par la ville de Bastia, à l'occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, le journaliste et spécialiste des langues Michel Feltin-Palas était ce samedi à L'Alb'oru pour défendre les langues dites minoritaires et la diversité culturelle qui les accompagne

À quoi bon parler le corse en 2022 ? » C'est la question à laquelle a essayé de répondre Michel Feltin-Palas, rédacteur en chef à L'Express et véritable passionné des langues régionales, hier matin à L'Alb'oru, à l'occasion de la Festa di a lingua materna. Pour capter son public, Michel Feltin-Palas commence par raconter une histoire. Il imagine, en 2222, une Europe unifiée dont la langue officielle et obligatoire est devenue l'anglais. Le français, comme toutes les autres langues européennes, est banni et finit par disparaître. « Si cela arrivait, le peuple et nos politiques monteraient au créneau. Pourtant, on vit cette situation tous les jours avec les langues minoritaires », précise le journaliste. L'assemblée est immédiatement captivée parce que cette utopie linguistique leur rappelle un passé pas si lointain. À l'époque où cette langue corse ne devait pas être utilisée à l'école sous peine de punition et, où ces langues régionales étaient surnommées patois et méprisées par de nombreux hommes politiques, sous couvert d'unité nationale. Michel Feltin-Palas précise : « La morale de cette histoire est que les Français doivent comprendre qu'une langue, ce n'est pas seulement un moyen de communication. À partir de là, ils peuvent imaginer pourquoi il faut sauver le corse ou le breton. Une langue remplit bien d'autres fonctions que nous allons passer en revue. »

D'une langue à l'autre, une histoire d'échanges

Avant de démontrer à quel point il faut sauver ces langues régionales, Michel Feltin-Palas précise les intentions premières qui l'ont conduit à parler de langues. La première raison est personnelle. Elle lui vient de sa famille, de son village où il entendait parler béarnais dans son enfance. Puis, il a vu cette langue devenir minoritaire en moins de deux générations. La deuxième raison est professionnelle : il a découvert le rapport qu'entretien l'État avec la langue française et a décidé de se spécialiser. Il a créé un blog* et écrit plusieurs ouvrages, seul ou en collaboration. Sa conférence du jour reprend les grandes orientations tirées de ses observations. Dans un premier temps, il interroge l'utilité du corse. « Une langue sert à transmettre une information et à trouver du travail, précise-t-il. Contrairement à il y a 100 ans, si je ne parle pas un mot de corse, je suis compris partout sur l'île. Elle n'est donc plus indispensable» Pourtant, il est optimiste sur le fait qu'elle peut aujourd'hui le redevenir. Les arguments qui vont dans ce sens sont nombreux. Le corse permettrait de mieux réussir à l'école tant le bilinguisme favorise l'intellect. Le fait d'enseigner le corse aux enfants ferait d'eux de meilleurs francophones. La maîtrise de plusieurs langues aiderait à mieux comprendre son environnement et à mieux connaître sa culture. Michel Feltin-Palas présente aussi la langue comme un moyen de favoriser les échanges. Par exemple, la Corse a des relations privilégiées avec l'Italie, tout comme l'Alsace échange économiquement avec l'Allemagne. « Détruire nos langues, c'est finalement défavoriser l'économie française », insiste le linguiste. Le dernier argument, enfin, est celui du lien intergénérationnel. Les anciens seraient plus à l'aise avec leur langue maternelle.

Tacle sur la politique à l'égard des langues minoritaires

Autant de raisons qui confirment l'utilité des langues minoritaires mais auxquels Michel Feltin-Palas oppose pourtant des arguments "non utiles" et donc totalement indispensables. Selon lui, les langues sont une œuvre du génie humain, un objet de culture. « Au même titre, par exemple, qu'un château ou une cathédrale, déclare-t-il. Si on suit la politique à l'égard des langues minoritaires pratiquées par le gouvernement, pourquoi garder plusieurs cathédrales ? On rase Amiens, on détruit Chartres. Notre-Dame suffit non ? Imaginez un ministre qui déclare ça. Il est viré dans les cinq minutes. Et c'est pourtant la politique que mène le gouvernement à l'égard de nos langues régionales. » Un nouvel exemple avancé est celui d'une langue comme élément essentiel de l'identité de toute personne. Au même titre qu'un nom de famille ou de la forme d'un visage. Elle marquerait le lien au territoire, aux familles. « Attaquer un individu sur sa langue, c'est comme l'attaquer sur son orientation sexuelle ou sa religion », insiste le journaliste. Il rappelle également que la langue permet de se définir comme Corse aux yeux du monde et qu'il existe des systèmes de pensée derrière chaque langage.

"Les identités peuvent être multiples"

Malgré ce constat plutôt accablant, nourri de mesures politiques controversées, la conférence se termine sur une note optimiste. Michel Feltin-Palas rappelle qu'aujourd'hui, 12 millions de personnes parlent une langue régionale et, selon les derniers sondages, plus de 60 % de la population a peur de les voir disparaître. « Et il ne faut pas oublier qu'en défendant le corse, on défend le français, s'exclame-t-il. Les identités peuvent être multiples et s'additionner. On peut être Corse, Français, Européen et citoyen de ce monde. La France est un pays multilingue et les langues sont des objets de culture exceptionnels ! » À l'issue de cette conférence, le centre culturel L'Alb'oru a proposé un spectacle pour toute la famille autour de comptines d'ici et d'ailleurs, par les élèves de l'école Charles-Andrei. Une manière de confirmer, s'il en était encore besoin, la richesse des langues régionales.

* Le blog « Sur le bout des langues » sur le site de L'Express.