LE CHANT CORSE SUR LA VOIE

Scontri di 30.09.2012

Riassuntu di un spostu fattu à l’occasione di a presentazione di e ricerche purtate da i studianti in tesa à l’Università di Corsica (Scola Dutturale, lugliu 2012)

Patrizia GATTACECA

En Corse depuis les années 70 la chanson a été influencée par un ensemble de conditions qui ont contribué à changer sa conception, sa perception, son impact populaire, voire son public. La production discographique passe, pendant la période, du vinyle au compact disque puis au téléchargement en ligne; de l'analogique au numérique. Dans ce panel qui couvre pratiquement tous les genres musicaux , de la polyphonie traditionnelle ou contemporaine à la chanson en passant par le Rock, le Jazz, Les musiques de films, il est intéressant de constater que l'expression artistique chantée donne la priorité à la langue corse
Grâce au rôle moteur de Canta u populu corsu créé en 1973, la chanson redevient un art populaire , réinjecté dans la société, influencé par sa tradition mais aussi par le grand mouvement de la Folk music .Cette chanson colportée par des artistes en déplacement ,portée par une dynamique qui puise son énergie à la fois dans les luttes, dans sa rencontre avec le peuple et l'oeuvre poétique va redonner son éclat sonore à la poésie avec une dimension politique et sociale. Elle entend s'adresser à tous, rendre le discours accessible dans sa recherche d'identité, et devient un instrument au service d’une entreprise ressentie et brandie comme l’amorce d’une décolonisation.
La littérature va jouer un rôle clé dans cette expression identitaire, car c'est aux écrivains qu'est confiée la mission de produire les représentations de l'identité, le mythe national qui va fonder la Nation Corse virtuelle.
La collaboration entre poètes et chanteurs se développe et s'affirme, impactant sur la littérature et notamment sur le programme que s'était fixé A squatra di u Rigiru dès sa création en1974 , mais aussi sur la production elle-même qui s'accroît de façon considérable. La chanson ne se contente pas d'accompagner le mouvement de contestation mais elle sert de vivier, de tremplin et de source intellectuelle de la révolte.
Déterminantes dans l'histoire de la chanson corse, les années 70 sont devenues un mythe pour les jeunes générations d'auteurs et de chanteurs, elles alimentent encore aujourd'hui répertoires et créations.

Dans les années 80 cette chanson prend un premier virage .La situation politique change, de nouvelles réformes institutionnelles sont mises en place . Canta u populu corsu édite son dernier album « Ci hè dinù » en 1982 . Parmi ceux qui avaient contribué à la grande aventure du groupe, les frères Bernardini Alain et Jean François, les frères Pesce vont assez rapidement faire route de leur côté en créant respectivement I Muvrini (1977) et I Chjami Aghjalesi (1977)
. Une nouvelle génération de chanteurs voit le jour, certains groupes fonctionnant comme de vrais entreprises, d'autre sur le mode associatif, d'autres encore choisissant très vite la voie de la professionnalisation et le statut d’intermittent du spectacle.
D'une part le monde de la chanson va prendre ses distances de façon différenciée avec les organisations politiques, d'autre part les groupes vont se répartir sur le territoire selon une organisation socio- économique, mouvement qui contribue à la mise en place d'un réseau associatif et d'une dynamique qui développe les foyers d'animation. Ce ré-enracinement qui correspond mutatis mutandis aux pieve est lié à une vision de la vie culturelle par « bassins de vie », les exigences administratives définissant aussi cette façon de fonctionner en distribuant des aides selon cette logique.
Canta u populu corsu ayant quitté la scène culturelle, la production se diversifie , d'autres rapports s'établissent entre écrivains et chanteurs., certains auteurs s'impliquant de façon déterminante dans cette collaboration .On retiendra plus particulièrement les noms de Ghjuvan-Teramu Rocchi, Ghjacumu Fusina et Ghjacumu Thiers qui sont à l'évidence les trois poètes les plus sollicités jusqu'à aujourd'hui si l'on tient compte de leur catalogue .
L'implantation de la SACEM à Ajaccio permet plus de proximité avec cette superstructure dont le siège est situé à Paris. Le conflit de 1981qui dure 4 mois et dénonce la politique de cette société en Corse va permettre d'assainir quelque peu les relations entre la structure et les auteurs compositeurs et éditeurs de musique .
Le litige qui oppose I Muvrini à la CFR propulse le groupe sur le devant de la scène, I Muvrini deviennent les premiers représentants de la chanson insulaire en Corse et hors de Corse .à partir des années 80.
Bientôt la World Music explose, dans les années 90, traditionnelles ou modernisées , les musiques ethniques venues des quatre coins du globe remportent un franc succès .Les multinationales s'emparent de ce phénomène . L'origine de cet engouement remonte aux années 70 ; il s'agit de faire du neuf avec de l'ancien, tous les arrangements étant permis, c'est un autre retour aux sources, I Muvrini ont toute leur place dans cette mouvance, des groupes comme A Filetta et Les nouvelles Polyphonies Corses créées en 1989 s'inscrivent également parfaitement dans cette démarche.
Dans le répertoire des groupes, les choix esthétiques sont souvent différents, cependant, il apparaît que le texte demeure un aspect essentiel de la création, certains interprètes ou compositeurs choisissant de travailler de façon étroite avec un auteur.
Au fil de la période on peut vérifier que la poésie se renouvelle ; un recul plus grand sur les événements permet d'approcher un regard plus objectif que pendant la période très troublée des années 70. Cette poésie sert le mieux le travail de la redéfinition des mythes , il est intéressant de constater comment cette production convoque et construit le mythe , ainsi l'on voit naître depuis quelques années des mythes qui ont une référence historique (Guerre de 14/18 et seconde guerre mondiale) La lutte patriotique au titre de la France est mise en avant, ceci aurait été impossible dans les années 70 .D'autres phénomènes appartenant à la diffusion littéraire de l'histoire mondiale à travers les médias par exemple , ainsi que des personnages structurants qui proviennent de l'édifice littéraire de l'école française voient le jour.
Ainsi la poésie construit, déconstruit et reconstruit le mythe au gré des changements sociaux et politiques.

Le mouvement actuel qui produit une littérature s'origine dans les années 70 où ce que l'on appelle ailleurs Paralittérature est déterminant : le chant.Dans ces années-là l'on affirmait en se calquant sur le modèle des « grandes langues » que la prose devait prendre le pas sur la poésie .
Cependant c'est bien le chant qui en s'imposant comme un art populaire majeur va véhiculer cette littérature, mettre à l'honneur ses poètes en Corse et au-delà des frontières.
En l'absence d'institutions littéraires, peut-on dire que ce mouvement participe de la littérature? Ou bien doit-on le cantonner à la paralittérature réputée comme minorée parce que considérée comme composée de genres et d’expressions mineurs?
Ce que l'on définit par différents termes (infra-littérature, sous-littérature, contre-littérature) montre qu'il existe une littérature autour de laquelle se définissent toutes les autres entraînant une relation de subordination comme en témoignent les préfixes utilisés.
Alain Michel Boyer dans son ouvrage : La Paralittérature, met en lumière le nombre de termes employés selon un élément constitutif et conclut sur leur caractère dépréciatif partiel et partial. Par ailleurs, si l'on intègre dans ces réflexions la notion de chant (au lieu de chanson) dans la problématique corse, l'analyse s'enrichit encore par le fait que le chant semble se poser plus encore que la chanson comme un lien, un passage très intime entre nature et culture.