Settimana-Fantasme-édito

L’édito d’Antoine ALBERTINI

 

Fantasme

 

Il en va de la rentrêe littêraire comme du chou-fleur à la béchamel : on pourrait en ingurgiter des quintaux, on ne serait pas davantage renseigné sur le goût

De ce point de vue, le millésime 2018 ne déroge pas à la règle, avec son épais catatogue de 567 romans (dont 381 de « liitérature française », ce qui est parfois beaucoup dire) où se croisent pitreries autofictionnelles, infimes considérations sur le temps qui passe, tragiques bafouillis de comices agricoles et bons - voire excellents - livres.

Vu de Corse, ce considérable événement où le grotesque donne [a main à l'indispensable revêt un sens très particulier et rappelle utilement cette vérité : il existe une vie hors du minuscule landernau des lettres locales, où la pratique consistant à jeter une poignée de mots en l'air en espérant qu'ils retombent dans le bon ordre sur une page suffit à fonder une oeuvre, en particulier lorsque tel oubliable manuscrit a reçu l'onction d'une cousine institutrice ou de l'érudit cantonal.

Dans l’île, n'importe quel propriétaire d'un logiciel de traitement de texte se voit Camus ou Fitzgerald quand il n'est que le médiocre chroniqueur de ses propres angoisses, lesquelles se résument souvent à ne pas exister autant qu'il le souhaiterait. De là une profusion de « textes » à l'infinitésimal rayon de portée, de grasses propensions à l’autosatisfaction qu'entretient une parentèle attentive de thuriféraires, de minuscules récits folkloriques érigés en épopées et un constant harcèlement de journalistes pour « un bon article dans le journal, hein ?»

C'est qu'en Corse, la proximité tue la critique, qui flingue à son tour la littérature. Rien ne vaut rien parce que tout se vaut: La responsabilité des journalistes est lourde lorsqu'ils acceptent en toute conscience, de donner écho à ce qui ne le mérite pas.

Il y a près de vingt ans, la prose salutaire de Marcu Biancarelli et Jêrôme Ferrari suscitait moins de louanges qu'aujourd'hui, quand elle ne passait pas purement et simplement à la trappe de la critique - trop crue, trop violente, pas assez nustrole. On connaît même des chroniqueurs qui se pinçaient  le nez en guignant les ouvrages du méphitique duo.

Les mêmes volent désormais au secours d'une consécration méritée à laquelle ils ne doivent rien et trouvent au tandem des des qualités littéraires pourtant détectables aux premiers jours de la carrière.

C'était avant que l’un et l’autre n’accèdent aux honneurs de la rentrée littéraire. A quelque chose, malheur est toujours bon.

 

(A settimana, n°997, semaine du 21 au 27 septembre 2018)