Philosophie et géographie

 

 

   La fable, on l’a vu, sert d’appât retors vers la connaissance, appât dont on apprend avec l’âge à se passer si l’on est cultivé et philosophe au sens strabonien, autrement dit si l’on est avant tout un homme de bien, un homme cultivé qui n’est spécialiste d’aucun domaine mais capable de mettre en relation toutes ses connaissances pour parvenir à une appréciation globale du monde qui l’entoure. C’est pourquoi la géographie est bien le propos s’il en est du philosophe. En outre, à l’époque de Strabon, l’idée de connaissance globale du monde renvoie obligatoirement à l’idéologie impériale romaine. Strabon établit ainsi clairement que la fable, dans son aspect éducatif, est un outil du pouvoir politique.

   La vie sociale et politique passe donc par un apprentissage généraliste non spécialiste que l’on ne peut trouver que dans l’exemple épistémologique offert par la poésie homérique, puisqu’elle contient toutes les formes de savoir en restant accessible à tous. Dès lors, Strabon oppose cette conception à « l’autre » conception de la philosophie, celle des écoles et des cercles fermés : ceux-ci ne s’adressent qu’à une minorité, un happy few, alors que la fable remplit des théâtres entiers.

   Dans cette tension philosophique et notamment stoïcienne vers une universalité du savoir, le philosophos qui regroupe les connaissances du passé et du présent est avant tout un adepte de la sagesse pratique, et l’œuvre que Strabon se propose de réaliser doit ainsi être utile à tous (I, 1, 1) : c’est pourquoi la polymathie d’Homère rejoint dès lors celle du géographe idéal, versé dans toutes les sciences mais capable de produire une information accessible qui contienne le meilleur de chaque domaine spécifique. Malgré un passage obligé par la physique et la mathématique, une œuvre géographique comme celle de Strabon a idéalement ceci de supérieur à toutes les autres qu’elle expose une science capable de répondre aussi bien aux exigences des gouvernants qu’à l’éthique et la politique, comprise ici comme seule activité digne de l’homme libre, du citoyen, appelé à dépasser les seules limites de sa cité pour embrasser la connaissance globale du monde habité.