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Ducumentu
Les pics de la beauté

Vous êtes sûr de n'avoir rien oublié : les tablettes énergétiques, une gourde en plus (on annonce un grand beau temps : ça va chauffer là-haut !), les lunettes et l'écran total ?

Ne pas plaisanter avec la lumière d'ici !

Bon ! je vois que vous avez tout le nécessaire, et même les recommandations d'usage, c'est inutile avec vous. Alpinistes peut-être pas, fanas d'escalade non plus, quoique... ce n'est pas un raidillon qui va vous faire peur... Non, des randonneurs, des vrais, avec ce qu'il faut de défi pour valoriser leur sortie. Vous avez bien choisi. La Corse des sommets, c'est ce qu'il faut pour se sentir bien en forme, planté dans le monde et perché sur les hauteurs les plus originales.

Ah mais ! Et pour le rêve alors ? pour la beauté ? pour l'émerveillement de toutes parts, vous n'êtes pas préparé ? Non ça ne va pas, vous oubliez l'essentiel, alors...

Vous partez en balade, mais vous êtes imprudent, vous partez la tête froide, avec des horaires à tenir et des performances à accomplir. Attention : vous n'êtes pas préparé à affronter ces pics de la beauté. Ça va peut-être pour d'autres itinéraires, mais ici on n'est pas sûr d'avoir le pied sûr et la tête bien raisonneuse, avec toutes ces merveilles autour. C'est le sublime qui vous attend. Ça vous tourne la tête, ça vous laisse le souffle coupé d'admiration, fasciné, les jambes tremblantes et les yeux embués d'émotion. C'est un danger qui est partout : des précipices bleus, les vagues végétales des forêts de pins et de hêtres d'un émeraude profond. Là, ce ne sont pas des nuages, mais la roche irisée et vaporeuse ; ici, elle est brutale, rauque sous l'écho d'une éruption pétrifiée pour toujours, haute, large et farouche comme ces forteresses qui n'existent plus. Et des soleils qui se noient dans des gorges brunes, et la mer au loin, avec la voile qu'elle porte et qui embarque votre regard et qui s'enfuit.

Et cet animal perché sur un pic encore enneigé : ne bougez pas ! n'appelez pas ! retenez votre souffle ! C'est un symbole : le mouflon. En langue corse, le nom est féminin : on l'appelle a Mufra et il est devenu synonyme de "Liberté" !

Et attention à ce qui arrive souvent là-haut, aux matins les plus purs. Vous avez fait une belle trotte sur une pente difficile et vous vous accordez le répit d'une halte, assis sur une dalle de pierre qui luit. Au-dessous de vos pieds plonge l'abîme de la vallée, bleue à cette heure matinale. Le silence. Les poumons échauffés par l'effort de la marche et l'air glacée. Tout à coup un bruissement qui emplit l'air... et vous voyez sortir, de la paroi trente mètres au dessous de vos pieds, un grand aigle majestueux. Ses ailes déployées remplissent la vallée...

Alors vous restez là, le coeur battant et apeuré parce que le temps d'un éclair vous est venue l'idée, enivrante et affreuse, de prendre votre envol...