LA CORSE EN TOUTES LETTRES (2)

Littérature et Contexte sociolinguistique

Littérature et Contexte sociolinguistique

Ces éclaircissements apportés, le débat s’efforce de distinguer courants et tendances à l’intérieur de cet ensemble désormais posé comme complexe.

J.Ferrari met l’accent sur une production en langue corse qui lui semble symptomatique des parcours déjà accomplis par la production de prose littéraire en langue corse. Le San Ghjuvanni in Patmos de Marco Biancarelli (Albiana, 2001), d’ailleurs traduit en français par l'auteur, accompagné de J.Ferrari et Didier Rey est un exemple d’ouverture et d’échange distingué par le Prix du livre insulaire d'Ouessant en 2002. Or la plupart des nouvelles qui le composent n’ont aucun rapport à la Corse. Les principes qui ont présidé à la traduction établissent une méthode rigoureuse assignant à la langue du texte original, le corse un statut tout à fait « normal » sans aucune concession à la mixité linguistique, sans recours au « français régional de Corse » si souvent utilisé pour donner une couleur locale au texte littéraire et qui affecte alors la production d’une connotation péjorative et minorante. Sur ce dernier point l’échange évoque plusieurs situations : aspects régionaux de la littérature italienne avec Camillieri et Foïs, littératures des espaces créoles avec Texaco, pour ne citer que ceux-là, des comparaisons qui complexifient et problématisent l’argumentaire de Ferrari.

En définitive on s'accorde à déclarer qu'il faut intégrer dans l’appréciation de la production littéraire l’engagement du critère sociolinguistique comme un élément déterminant du fonctionnement sociolittéraire. Cette donnée intéresse la genèse de l'oeuvre en débat tout autant que sa réception et sa perception par la critique. Le statut des langues en présence a un impact très différent selon les espaces et situations considérés. C’est bien ce que révèle la comparaison entre des dialogues corses conservés dans les traductions italiennes
d’ouvrages corses, lorsque cette épreuve est confrontée aux « traductions » de ces mêmes passages en « français régional de Corse » dans la version française de textes d’abord écrits intégralement en corse. C’est aussi ce qu’indique, dans la traduction française de Camillieri, l’insertion de séquences en français du Midi pour traduire la confrontation italien-sicilien du texte original. La différence des contextes sociolinguistiques condamne une tentative que les participants s’accordent à considérer comme « une catastrophe ».

Pour finir J.Thiers demande à chacun des intervenants comment il envisage personnellement les rapports de la littérature avec la société où prend naissance son travail d’écriture.

J.G.Talamoni rattache son travail d’étude au grand ensemble des recherches appliquées à l’utilité sociale dans le contexte où elles se développent. La littérature révèle en effet des mécanismes à l’œuvre dans la société, par delà les époques et les circonstances particulières. On peut identifier des motifs qui se révèlent être aussi des indicateurs de vitalité ou de problèmes structurels, des motifs qui traversent l’histoire (les armes et la violence sont de ceux-là) et montrent où doit s’appliquer l’attention du politique dans la gestion de la situation qu’il a en responsabilité.

J.Fusina, interrogé sur son écriture « entre l’oral et l’écrit », revient sur l’origine d’une première expression poétique –d’ailleurs en français à ses débuts- d’inspiration « européenne » et de facture libre, bientôt confrontée au désir du Riacquistu et à une demande d’investissement militant plus traditionnelle et populaire. La chanson populaire intervient alors avec la contribution au travail des groupes de chant. C’est, à l’entendre, une bifurcation dont, sans rien renier, il s’éloigne désormais pour revenir à une recherche formelle plus libre. Il met aussi en avant le recours à l’expression en français et à la traduction, des voies qui assurent une plus grande diffusion à la littérature corse.

Quant à J.Ferrari, il se déclare en accord avec les propos précédents mais insiste sur la nécessité de impérieuse de rattacher la question de la littérature, quels que soient le contexte et la spécificité de l’ensemble concerné, à l’histoire de la littérature et de ses formes.

Le débat avec le public, venu nombreux dans la salle NOTA BENE, a permis aux auteurs de revenir sur leurs interventions et d’établir de fructueuses comparaisons avec les diverses situations représentées dans l’assistance par les auteurs, animateurs et critiques qui les sollicitaient.

Des échanges qui auraient certainement gagné à pouvoir se dérouler dans un univers sonore moins... percutant ! On espère que les organisateurs seront plus vigilants lors de la prochaine édition…