Une licence professionelle "acteurs-sud" - pourquoi ?
Teatru
RENCONTRES UNIVERSITAIRES DE BASTIA
29 FÉVRIER - 4 MARS 2000
Communication
Université de Nice-Sophia Antipolis
Ce projet est né de trois constats :
Constat pédagogique :
La majorité des étudiants passant par la section Arts du Spectacle a un goût plus marqué pour les activités pratiques que théoriques. Même si nous concevons nos enseignements à l'encontre de cette schématique séparation, nous sommes de fait confrontés à une demande qui appelle à la professionnalisation. Nous n'en abandonnons pas pour autant la voie classique qui correspond à une autre partie de la demande. Nous tâcherons même que les deux voies n'engagent irrémédiablement les issues (cf. la mise en place de la maîtrise à vocation artistique).
Constat interculturel :
“La Côte d'Azur” est au confluent de trois phénomènes culturels :
- l'enracinement provençalo-nissart et méditerranéen
- la délocalisation française
- le cosmopolitisme touristique.
Nos étudiants sont le reflet de ce métissage, ce qu'il a d'artificiel et d'humain, d'ambigu et de potentiel. Ce fait ne peut demeurer conceptuel. Il interroge la pédagogie, la pédagogie lui doit une réponse de formation et d'insertion, sans fermer la porte aux évolutions. Ni une fuite vers hier, ni une fuite vers demain. Avec ceux d'aujourd'hui dans la conscience d'une mémoire et d'un métier qui doit trouver sa place et forger ses outils.
Constat stratégique :
Les Arts du Spectacle sont présents dans peu d'Universités sud-européennes. Cette pénurie souffre également d'une imprécision technologique et esthético-culturelle. La professionnalisation appelle à plus de pragmatisme au regard des hommes et des milieux qu'elle cible. Dans la notion d' “Acteurs-Sud”, il est question de savoir-faire, d'usages linguistiques, de références historiques, ethnologiques et commerciales, de qualité conviviale et déontologique, que la tradition du métier nomme généreusement “gai savoir”. Ce gai savoir est communicable. Il est même utile pour aider professionnels et institutions à réactiver des enjeux et des sensibilités sans lesquels le marché du spectacle perd de son sens et de ses attraits. La licence professionnelle sera donc une conception de l'Université, des Régions et de la partie de la Profession qui comprendra ce pari et voudra en partager l'aventure. Elle s'ouvrira aux étudiants titulaires du DEUG Arts du Spectacle et aux gens du métier qui feront valider leurs acquis professionnels.
Des résistances et de l'espoir
Bien sûr, avant même que de naître, ce projet frémit de toutes ses impuissances. On y lira le danger que fait peser l'article 2 de la Constitution Française sur les “autres langues de France”, on y lira “Maastrich” plus enclin à favoriser l'Europe de l'économie que l'Europe des pays, on y lira le jeu avant la science, les arts avant le pain... Qu'on y voit donc ce que nos peurs habillent d'impossible ! L'impossible arrache l'espoir du cœur de notre jeunesse. Celle-ci est dans l'urgence d'inventer ce qu'il lui faut pour vivre et nous sommes dans le devoir de lui éviter le pire. Alors facilitons la vie en rapprochant de leurs attentes ceux qui ont su garder assez d'audace pour les emmener à la rencontre de l'inexplicable raison de créer, en équipe, dans un monde qui ne sait plus très bien ce que c'est. Personne n'est forcé. L'Université offrira un cadre diplômant et des enseignants avertis. Le Métier offrira des compagnies d'accueil attentives à l'art et à la manière de céder des héritages et des projets. Les Régions Sud (de PACA à l'Aquitaine) donneront les moyens de rémunérer l'encadrement professionnel et l'hébergement - couvert des étudiants en situation de stage. Des institutions comme l'Institut International du Théâtre Méditerranéen ou la Jeunesse et les Sports ou des collectivités territoriales... pourront mettre en partenariat des chantiers. Bref, un réseau s'élabore et pourquoi pas un compagnonnage de l'Acteur Sud sur les chemins de la création méridionale, un chemin de la différence qui n'évitera pas les autres, une façon commune d'aimer la Terre et sa diversité.
Et aussi du réalisme
Il faut de l'utopie... et aussi du reste : la connaissance des disciplines qui déterminent les projets, qui les financent et qui les réalisent, la ténacité, la critique et la responsabilité. Et aussi le rôle des aînés ! Universitaires et chefs de compagnie seront là pour concevoir, dispenser, débattre et noter selon un vrai “rituel d'initiation” dans l'échange et la sanction de l'œuvre accomplie.
Nous n'échapperons pas à la bipartition du calendrier entre le semestre dit théorique et le semestre dit pratique. La nouveauté sera dans la majoration du temps de stages et dans la vectorisation de la formation globale qui pragmatisera les apprentissages vers des buts plus concrets, concrets dans la finalité des études et concrets dans la trace que cette formation fera à l'intérieur même des milieux qui devront la professionnaliser demain. Trois types de stages pratiques seront sur ce parcours :
a. - un stage dans une compagnie professionnelle (de 200 heures) qui jugera dans les opportunités de son calendrier les moments les plus utiles à l'accueil des stagiaires en raison des tâches qu'elles leur proposeront (échéances : conception, répétitions, tournée... ou stage - projet festival, - projet scolaire, - projet tourisme culturel, - projet médiation...).
b. - un stage intégré dans un réseau euro-méditerranéen (de 50 à 100 heures) : opération artistico-culturelle de l'IITM, rencontres inter-Universitaires ou Inter-jeunes encadrées par des professionnels sur des sujets de formation, de co-réalisation, de diffusion ou de développement).
c. - Un stage “tutoré” (de 100 heures) : une auto-production assumée par les stagiaires eux-mêmes depuis sa gestation jusqu'au contact public (différentes équipes réunissant des nombres variables de participants selon leurs affinités et leurs centres d'intérêt).
Premier cru
Le théâtre est un art, un artisanat et une communauté au travail dans un lieu de vie ouvert aux temps et aux espaces. Comme tous les métiers, il est attentif aux plus récentes découvertes. Plus que tous les métiers, il ne peut oublier d'où il vient : l'Homme nu dansant-chantant-jouant son être au corps à corps de l'Autre, âme à âme, langue à langue. L'Histoire des sociétés a autorisé cet Homme à en faire son métier. Cette loi n'est pas de toute éternité. Un jour, peut-être, il faudra rendre le théâtre à son origine pour qu'il redevienne l'acte de tous. Le fin secret de ce métier est peut-être de préparer cette heure. Nous avons la chance de le cultiver auprès de cette Méditerranée où plus d'un signe nous indique qu'il est né, où plus d'un signe nous rappelle qu'il sommeille. Si nous ne sommes pas portés par ce mystère, le quotidien aura raison de nos efforts. Et pourtant c'est au quotidien que nous devons à présent le porter pour qu'il avance en nous de rôle en spectacle, de diplôme en recherche, de tel public au tout public. D'une chose à l'autre, il va en nous comme il va en tous, et même si jamais il nous quittait, nous ne l'oublierions pas car il resterait dans ce qu'il a fait : le meilleur de nous-même.
Pour toutes ces raisons, ne devrions-nous pas appeler la première promotion de licence professionnelle Acteurs-Sud : Paul Puaux. Il vient de nous quitter. Il était instituteur. En Avignon, il a été le double de Jean Vilar. A la “mort” d'Avignon, il en est resté l'efficace semence.