LA COMPLAINTE DU CHÂTAIGNIER AUX CORSES.
Ai-je commis quelque outrage
A l’égard du Corse ingrat ?
"A MORT" voilà son langage.
Quel jugement scélérat,
Sans le moindre témoignage
Et sans le moindre débat.
Il m’a déclaré la guerre
Comme au plus grand malfaiteur,
Ses sbires, que j’ai derrière,
Mettent mon corps en moiteur.
Réfléchis, Corse, mon frère,
De quel cœur es-tu porteur ?
Qui m’abat reçoit la prime
De qui prend un malandrin
De ma race, qu’on décime,
Tu veux voir venir la fin.
S’il te plaît, pour ta victime,
D’où vient donc tout ton venin ?
Tu t’y mets à l’arme blanche,
Afin d’être un peu plus sûr,
Quand la fleur est sur la branche
Ou le fruit près d’être mûr.
Quel respect, quand je me penche
Vers toi, Corse, au cœur si dur.
Tant que la fin n’est sonnée,
La saison t’importe peu.
Scie et coins, dans ta tournée,
Exécutent sans non-lieu.
Frapper toute la journée
N’est pour toi qu’un noble jeu.
Ta main, dès que je m’incline,
Me réduit à presque rien.
A me conduire à l’usine,
Tes mulets s’entendent bien.
Pourtant tu fais ta ruine,
Réfléchis comme l’ancien.
A quel supplice innommable,
Corse, m’as-tu condamné ?
A la scie impitoyable,
Succède un feu de damné
Qui fait d’un suc impayable
Un pauvre acide entonné.
On entend dans ces vallées
Bruits rythmés de lourds grelots
Jurons, mules emballées,
De la scie aigres échos.
De mes fibres trimballées
La route entend les sanglots.
Cette guerre déclarée
Est loin d’être un jeu d’enfants.
La chimie est préférée
Avec ses moyens tentants,
Et ma famille épeurée
Va s’éteindre avant longtemps.
As-tu perdu souvenance,
Corse, des temps révolus ?
Sampiero, plein de vaillance,
Sambucucciu de vertus,
Usaient par leur résistance
Tant d’ennemis résolus.
Qui soutenait tes ancêtres ?
Qui fournissait tout l’effort
Pour nourrir ces pauvres êtres
Dont le moindre était si fort ?
Les séchoirs jusqu’aux fenêtres,
Bondés par mon seul effort.
La bûche était adorée
Un vendredi soir en vain
Par ta famille serrée
Que tenaillait fort la faim.
Ce soir, elle était sevrée
Du moindre morceau de pain.
D’où vient le secours bien vite
En ce mémorable soir ?
Une polenta gratuite
En cercle vous fit asseoir
Pour passer l’heure maudite
Puis dormir avec l’espoir.
Une fois, ce fut disette.
Pas plus d’orge que de blé.
D’envois de la Joliette,
Nul alors n’avait parlé.
Pour ta faim, quelle récolte ?
Tu n’es plus aussi troublé.
D’où te vient le sauvetage,
O Corse, en cette saison ?
Le samedi, au village
Eut mes gâteaux à foison.
Maintenant, Corse, volage,
Tu veux perdre la raison.
Voici les moments difficiles
Auxquels pour toi j’ai paré.
Le dernier des domiciles,
Fut la faim libérée.
Hors, pour des motifs futiles,
Contre moi tu t’es cabré.
Tu tirais de mes largesses
De quoi boucher tous les trous
Chaussures, habits, tes espèces
Te permettaient tous les goûts.
Le porc s’aveuglait de graisse
Et, chez toi, sonnaient les sous.
Du meunier ta voix vibrante
Chantait la vie au moulin,
Et l’allure était dansante
Du cheval sur le chemin
La châtaigne appétissante
Valait seule un bon festin.
Tu devais portes et fenêtres,
Armoires, planchers et bancs,
Charpentes simples mais fortes
D’un bois défiant les ans,
Et meubles de toutes sortes,
A mes fils devenus grands.
Ta bière à l’heure suprême,
Sera faite dsans retard
Du bois de l’arbre qui t’aime
Et qui n’est pas un vantard.
Réfléchis, rentre en toi-même,
De Sambucucciu bâtard.
Quand finira cette guerre
Que deviendras-tu mesquin ?
Ton four ne servira guère,
Moins encore ton moulin.
Tu courras la terre entière,
Errant, sans un fifrelin.
Ou tu cireras les bottes
Ou tu tiendras l’étrier.
Tu passeras dans les grottes
Tes nuits comme un sanglier.
L’arbre qui fait les ballottes
A soif de te châtier.
De la plaine à la montagne
On te verra loqueteux,
Demandant à la campagne
Le repos le moins coûteux.
Le châtaignier t’accompagne
De sa haine, vaniteux.
Tu trouveras sur ta route
La faim qui conseillera,
Si fière d’être à toi toute
Que partout elle suivra
Portant bien haut, je l’ajoute,
Ton drapeau qu’elle vendra.
Tu mourras dans une ornière
Affamé comme un vieux chien.
Et l’usinier dira "Terre,
Tant pis s’il n’avait plus rien,
Quant à moi, j’ai fait mon affaire."
Corse, réfléchis-y bien.
Tu te remettras peut-être
De tant d’erreurs et de maux.
Mais il faut envoyer paître
Tes exploiteurs déloyaux.
Toute usine, sans un maître,
Doit cesser tous ses travaux.
Et le châtaignier sincère
Restera dans le pays,
Pour te donner sans prière
Le sucre de fruits exquis.
Envié comme naguère,
Tu seras, Corse, compris.
Paoli di Taglio (traduction du capitaine Paulu Arrighi de Casanova).