Atelier de Littérature de la Rive Sud Méditerranéenne - 2
Cunferenze
Scontri di 01.02.2004
C’est à un enrichissant voyage à travers la littérature du Maghreb que nous ont convié le Centre Culturel Universitaire et le Musée de la Corse, pour l’Atelier de Littérature de la Rive Sud Méditerranéenne qu’ils ont ouvert à Corti dans les salons du Musée. Découverte d’auteurs dont les œuvres sont autant de témoignages d’un vécu de cet historique espace temps qui les a propulsés de la colonisation à l’indépendance. Période fertile en heurs et malheurs. La pensée de ces écrivains, expression de leur double culture, est une leçon pour tous ceux qui refusent de sortir du vase clos des idées reçues ou persistent à croire que le monde s’arrête aux frontières de leur nombril. Le 28 janvier c’est à Abdelkebir Khatibi, écrivain de renommée mondiale, poète, romancier, critique d’art, chercheur, directeur de l’Institut Universitaire de la Recherche Scientifique de Rabat, de développer le thème de sa conférence : "Le romancier et l’invention du lecteur". Son impressionante bibliographie est surtout marquée par ses romans: "La mémoire tatouée" (1971), "Amour bilingue" (1983) et "Un été à Stockolm" (1990), ses études semiologiques par : "Maghreb pluriel" (1983) et "La blessure du nom propre" (1986), et artistique : "L’art calligraphique de l’Islam" (1994), "L’art contemporain arabe" (2001), "Le corps oriental" (Hazan 2002), toutes illustrations donnant les clés qui ouvrent à la compréhension de l’être de la genèse à nos jours, du religieux au profane, de l’art à l’ordinaire. "L’aimance" (Ed. Almanar, janvier 2004) est son dernier recueil de poèmes. Khatibi s’ouvre "à l’autre" car, dit-il, "j’appelle identité aveugle, l’illusion d’un moi absolu et la différence sauvage, l’illusion d’une altérité absolue."
Le 18 février c’est au tour de Tahar Ben Jelloun d’explorer les "Désillusions sentimentales". On ne présente plus l‘auteur de "La nuit sacrée" (Goncourt 1987), pas plus qu’on en énumère l’œuvre imposante. À paraître en mars prochain : "Le dernier ami" (Seuil) lequel rejoint l’objet de sa conférence et où l’on retrouve développé le sentiment contraire qu’éprouvent deux hommes face à l’événement simultanément vécu et différemment ressenti. Danielle Maoudj l’a qualifié d’artiste du langage décrivant les couleurs du silence, alors que Ghjacumu Thiers rappelait ses talents de poète en citant "Les amandiers" morts de leurs blessures. Rappelant que "les poètes sont des animaux intuitifs", Tahar Ben Jelloun ajoute que "la littérature a toujours accompagné les déchirures humaines, qu’elle est une manière de lutter contre toutes les injustices et que l’écrivain travaille dans le possible pour aller vers l’impossible."
Enfin c’est le 19 février qu’était reçu Yasmin Rhadra. Il est accueilli par un chant, beau, splendide !- interprété par Anghjula Potentini. Publié dans 14 pays, un des rares auteurs francophones de polars traduit aux Etats Unis, Mohamed Moulessehoul de son vrai nom, est entré en littérature comme on entre en religion. Mieux, il est un roman à lui tout seul. Ancien officier supérieur de l’armée algérienne, il décide de prendre sa retraite à 45 ans. En 1999, il part au Mexique avec femme et enfants, en 2000 il arrive en France où il dévoile sa véritable identité après onze ans de clandestinité.
Entre corruption ruineuse et intégrisme dévastateur, cet auteur décrit avec rigueur et réalisme dans "À quoi rêvent les loups" (Julliard 1999), son vécu de l’horreur abyssale dans laquelle est plongée l’Algérie. Du même fil est "Les Agneaux du Seigneur" (Julliard 2000), poignante relation d’un scénario événementiel tragique. Extrait : "le poète avait raison : il y a sûrement une part de Diable en chaque religion que Dieu propose aux hommes. Une petite part mais qui dévie le fanatique de la barbarie. Cette part de Diable c’est l’ignorance. Il est trois choses que l’on ne doit pas donner à un ignorant : la fortune, il en serait esclave ; le pouvoir, il deviendrait tyran ; la religion, il nuirait aux autres autant qu’à lui même." Avec "L’Ecrivain" (Julliard 2001, primé à l’Académie Française), l’auteur est bouleversant de tendresse et de vérité. Récit d’une vie d’adolescent placé dans une école de cadets par un père, lui-même officier, d’où il sortira, trente ans plus tard… écrivain ! Car telle a été sa volonté depuis toujours, témoigner quitte à déranger, dénoncer quitte à risquer la mort. Mais l’homme sait aussi se dépayser. Le voici avec "Les Hirondelles de Kaboul" (Julliard 2003), dans cette ville de "routes crevées, de collines teigneuses, d’horizons chauffés à blanc et de cliquetis d’armes. La poussière a enseveli les jardins, aveuglé les yeux et cimenté les cerveaux. En certains endroits, le murmure des mouches et la puanteur d’animaux crevés collent à une désillusion sans retour. Le monde semble se pourrir, sa gangrène a choisi de se développer ici, dans le Pashtoun, tandis que la désertification se glisse comme un serpent à travers les consciences et les mentalités des hommes." Avec ses personnages en quête de dignité dans une nation martyre où sévissent la guerre, la folie, le fanatisme et la tyrannie des talibans, Moulessehoul y cherche la lumière qui peut éclairer l’avenir d’un islam incertain entre féodalisme et modernité. Le vol de ces hirondelles voilées s’étend depuis l’horreur jusqu’au délire mortel. Poète, Moulessehoul l’est, même s‘il s’en défend. Il émeut autant par l’écrit que par le verbe. L’entendre parler des peurs de son épouse mais aussi de son indéfectible soutien lors de sa clandestinité faite de périls, de menaces, de terreurs ; relater les espoirs d’une jeunesse vouée au chômage, aux privations, aux déviances ; rappeler les vertus d’humanisme, de tolérance, de courage, de charité, révèle le fondement de son engagement, non démuni d’émotion. Au cours des prochains mois le CCU, le Musée de la Corse et son responsable scientifique, Madame Poli-Mordiconi, nous invitent à d’autres rencontres : Le 24 mars, à 14 h. 30, Zahia Rahmani, historienne d’art, pour son premier roman : "Moze" (Ed. Wespieser) et le thème "La fabrique du supplétif dans l’héritage colonial : l’exemple du harki". Le 14 avril même lieu, même heure, Denise Brahimi, universitaire, essayiste et écrivain, auteur de "Un aller et retour à Cipango", pour le thème : Taos Amrouche romancière : exil et solitude. Elle y révèle l’œuvre de la première romancière algérienne de langue française, sœur de l’écrivain Jean Amrouche, comme lui formée à la double culture berbère et française.