PREMIU DI U LIBRU CORSU 2021
Prosa
La société se raconte à travers le Prix du livre corse
Par: Sébastien Pisani
Publié le: 11 octobre 2021 à 17:50
Dans: Culture - Loisirs
Des regards auxquels le jury du Prix du livre corse a été sensible. Pour ce cru 2021, qui a fait l'objet d'une remise de prix officielle hier à Santa Riparata di Balagna, Francesca Serra a donc été primée dans la catégorie fiction en français, pour son roman Elle a menti pour les ailes (Éditions Anne Carrière), Ghjilormu Padovani dans la catégorie langue corse, pour À l'alba di u cantu (Albiana) et Kevin Petroni dans celle réservée aux essais, pour L'adieu aux aspirations nationales (Classiques Garnier).
Si ce type de cérémonie génère toujours son lot d'émotions, elles étaient peut-être encore un peu plus vives dans cette Casa Fratelli Vincenti où la mémoire de Petru Guelfucci a résonné d'un discours à l'autre. Une voix s'est éteinte, mais elle a creusé un tel sillon au creux du patrimoine corse qu'elle est promise à marquer encore de nombreuses générations. Et ce n'est pas notre collègue Ghjilormu Padovani qui dira le contraire, lui dont le parcours musical doit tant au chanteur de Sermanu, à cet album Corsica qui fut pour lui, comme pour tant d'autres, une révélation.
"Faire trace et symbole"
La partition du journaliste mélomane qu'il est devenu est intimement liée au souci de la transmission que portait un Petru Guelfucci. Désormais, c'est lui qui transmet, dans les pages de Corse-Matin, de Settimana où étaient publiées ces chroniques consacrées aux chansons corses et à leur histoire qui ont constitué le socle de À l'alba di u cantu. Soit 130 textes, ceux des chansons associés aux récits qu'ils consacrent à chacune d'entre elles, qui ont trouvé leur chemin auprès d'un large public. "Cet accueil si favorable, je l'ai perçu comme la preuve de l'attachement viscéral de la Corse à sa culture musicale, relève Ghjilormu Padovani. Chez nous, le chant est bien plus qu'un simple divertissement. Par le biais de la langue, de la poésie, c'est de notre âme dont il est question."
Des racines, profondes, pour aller où, vers quel type de société ? Marcellu Torracinta, le maire de Santa Riparata di Balagna, était heureux hier de souligner le rôle si crucial de ceux qui témoignent par le verbe, "l'essence du travail de ces femmes et de ces hommes qui ont choisi de faire trace et symbole en ces temps de vécu social aussi virtuel qu'éphémère".
Dans ce registre, Francesca Serra a su bouleverser ses lecteurs. Récit parfaitement maîtrisé et sensible d'une modernité parfois cruelle, où les réseaux sociaux alimentent une violence qui peut finir par broyer l'individu. Chez elle, la Corse se raconte à travers des images et des sentiments qui percent suffisamment fort pour que les lieux n'aient pas besoin d'être nommés.
Passeurs
Ce dimanche, la lauréate du Prix littéraire Le Monde 2020 était encore émerveillée que son roman figure dans le palmarès de celui du livre corse. "C'est le premier prix que je reçois en main propre, celui du Monde m'avait été décerné en pleine crise sanitaire et donc à distance, glisse Francesca Serra. Dans ce livre, qui est une première aventure pour moi, la Corse apparaît en filigrane. J'y ai mis beaucoup de souvenirs d'enfance, d'images que je souhaitais projeter et je suis heureuse que les membres du jury aient aussi vu cet aspect-là."
De la fiction à la réalité crue d'un essai qui trouve son origine dans une approche universitaire, il n'y a qu'un pas. Celui que Kevin Petroni a gaillardement franchi pour nous inciter à réfléchir à ce qui se cache derrière Le Sermon sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrari, Murtoriu, de Marcu Biancarelli, et Nos anges, de Jean-Baptiste Predali.
Trois romans, trois perceptions d'une Corse qui bascule, qui perd son rapport au village, à l'univers rural qui l'a façonnée. "Je ne me considère pas comme un auteur, plutôt un lecteur qui met en question et suscite le débat", livre un Kevin Petroni dont le travail met pourtant en exergue la nécessité d'une analyse des œuvres contemporaines. Parfois mieux qu'un traité de sociologie, elles savent nous raconter.
À la clé, entre rapport aux racines et regard sur le présent, une jeune génération d'auteurs qui jouent un rôle de précieux passeurs. "La particularité de cette édition, c'est que les lauréats signent tous leur premier livre, se félicite Jocelyne Casta, la présidente du jury du Prix du livre corse. Au départ, ce n'est pas un choix délibéré de notre part, car nous fonctionnons d'abord aux coups de cœur. Comme nous n'avons pas décidé de récompenser cette année des livres en rapport avec notre société et ses bouleversements, même si ces trois ouvrages sont en lien avec ce thème."
Des auteurs inspirés. Un jury qui l'a été tout autant, comme avant eux chaque éditeur concerné et les lecteurs qui ont été, le seront peut-être, tentés de se plonger dans ces pages.