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Ducumentu
De la mer à la montagne

Découvrir le Fangu

Michel Claude Weiss  -  Patrick Lepaulmier

Albiana - 2006

Parc naturel régional de Corse

des ambiances diverses   (VIRGINIE NOACK)

Le Fangu

Le Fangu recèle des paysages emblématiques : ses gorges, son delta et sa côte rocheuse. Mais s'en tenir aux paysages bordant « en vitrine la route départementale 351 qui longe la rive gauche du fleuve serait très restrictif. La vallée du Fangu possède bien d'autres atouts. En effet, barrée au Sud-Est par la chaîne centrale de la Corse cristalline, à proximité immédiate du Monte Cintu (2 706 m), elle débouche à peine à une vingtaine de kilomètres de là, sur la Méditerranée dans le golfe de Galeria.

Cette importante dénivellation est propice au développement d'une diversité de biotopes : depuis la côte à falaise du littoral jusqu'aux milieux rocheux des versants vertigineux de la Grande Barrière, en passant par tous les stades évolutifs du maquis jusqu'à la forêt d'yeuse, qui recouvre l'essentiel du versant à « l'umbria » (ubac).

Voici donc une sélection de quelques paysages du Fangu incontournables pour qui daigne emprunter ses sentiers.

Le delta du Fangu

Le delta du Fangu constitue l'un des paysages les plus significatifs de la vallée. Après avoir eu un écoulement souterrain depuis plusieurs kilomètres au sein d'une large plaine alluviale, le Fangu resurgit juste avant son embouchure dans le golfe de Galeria où il forme un bras actif de direction Sud-Est/Nord-Ouest. Encadré par des promontoires rocheux qui avancent dans le golfe, le trait de côte est découpé en indentations aiguës dans lesquelles s'engouffrent les vagues. Il contraste avec l'aspect rectiligne du cordon littoral formé par un bourrelet de galets et de sables d'environ 5 m de haut issus de la décomposition de la rhyolite chargée par le fleuve. Le Fangu débouche dans la mer grâce à un petit exutoire, taillé dans la roche au pied de la tour génoise. II restitue à la mer le trop-plein d'eau douce tout en conservant la continuité du cordon dunaire. Un bras fossile de direction Nord/Nord-Est communique avec le bras actif. II témoigne des fluctuations du fleuve et du précédent tracé de celui-ci, plus au centre de la plaine vers le Nord. Ce bras, aujourd'hui mort, confère à cet endroit une ambiance marécageuse. Qu'on ne s'y trompe pas, le Fangu retrouve son chenal aérien à la faveur du maximum pluviométrique d'octobre et surtout lors de la fonte des neiges au printemps. Le fleuve emporte alors une partie du cordon littoral qui fait obstacle à son passage.

Ce paysage frappe par son immensité et le point de vue imprenable qu'il offre sur la Grande Barrière : A Muvrella, Punta Minuta, Paglia Orba, Capu Tafunatu, ils sont tous là! Que de milieux depuis le cordon littoral, les affleurements de rhyolite de la côte rocheuse balayée par les embruns, une pelouse interstitielle composée d'espèces halophiles sur le cordon dunaire, l'arrière-plage boisée d'un taillis de chênes verts, l'aulnaie qui encercle le bras mort du Fangu, la zone humide où se côtoient les roselières et les joncs, les saules, quelques aulnes, ormes et chênes verts et enfin la plaine alluviale avec ses chenaux anastomosés et sa morphologie constamment remodelée par les crues du Fangu qui bloquent la dynamique de la végétation à un stade de cistaie équienne ! Une vieille oliveraie, au lieu-dit Piana di l'Olmu, traversée par un ancien canal, crée un élément de diversité dans ce paysage. Ailleurs et partout sur les versants qui encadrent le delta, le maquis domine. Qu'il soit bas dans les stations sèches où dominent les cistes, l'immortelle d'Italie, la lavande sauvage et le genêt de Salzmann ou bien plus haut et alors inextricable avec son cortège d'oléastres, de chênes verts, d'arbousiers, de pistachiers lentisques ou de myrtes.

L'élevage extensif de bovins et de porcins constitue la seule activité pratiquée dans le delta avec celle de la chasse, alors que la plage attire les touristes durant la période estivale.

Le delta du Fangu a été acquis par le Conservatoire de l'Espace Littoral et des Rivages Lacustres en 1987. Cent dix-sept hectares sont ainsi soustraits de toute spéculation foncière et immobilière qu'induit le développement touristique du village de Galeria tout proche. La vocation scientifique de ce site est affirmée par les actions envisagées dans le cadre d'un plan de gestion et visant toutes à assurer le maintien de la biodiversité.

La plaine du Marzulinu          

La plaine du Marzulinu, allongée du Nord vers le Sud, constitue l'entrée septentrionale du Falasorma par la porte naturelle que forme la Bocca di Marzulinu, à 443 m d'altitude.

Cette dépression concentre les vestiges d'une occupation humaine très importante car c'est l'un des rares endroits, avec la basse plaine du Fangu, où la vigueur de la pente ne s'oppose pas à la mise en valeur agricole. La douceur du relief s'explique ici par le colmatage de la plaine par les produits issus de l'altération du granite tandis que les escarpements rocheux de granites alcalins sont responsables de l'exhaussement de la ligne de crête et du resserrement de la vallée, isolant ainsi le bassin supérieur du Marzulinu. L'importance des éboulis a contraint les bergers originaires de Lozzi, dans le Niolu, à constituer de nombreux tas d'épierrement au milieu des parcelles. C'est pourquoi, aussi, les murets abondent que ce soit pour délimiter le parcellaire, soutenir les terrasses qui se déploient jusqu'à 500 m d'altitude, ou pour encadrer les chemins comme celui qui relie Calenzana à Amacu.

La juxtaposition des formes molles et évasées avec des éléments de relief aigus et l'importance des milieux ouverts et des parcours distinguent ces paysages de ceux de la vallée du Fangu et les rendent très attractifs d'autant qu'ils sont situés sur l'une des principales voies de circulation. Berceau de l'activité agro-pastorale dans le Falasorma en raison de sa topographie favorable, la plaine du Marzulinu a été le siège de plusieurs conflits inter-communautaires. La relative densité des éléments bâtis : école, aires à blé, église en ruine, « pagliaghji >>, tour défensive, pressoir, murets, terrasses, témoigne de la densité de l'occupation humaine, en particulier au XIXe et au début du XXe siècle. Le hameau de Pieve concentre l'essentiel des habitants de la haute vallée. Un troupeau d'ovins estive encore sur les adrets du Cintu.

Les gorges du Fangu

Le Fangu s'encaisse à deux reprises dans la rhyolite aux teintes flamboyantes pour former des gorges étroites. La première séquence se trouve à la confluence avec le ruisseau de Perticatu jusqu'au hameau de Tuarelli. La deuxième intervient de part et d'autre du Ponte Vechju, en aval de Tuarelli. Longée par le Tra Mare è Monti, cette dernière apparaît plus accessible en l'état actuel du réseau de chemins dans le Falasorma. Dans ce tronçon, la vallée du Fangu a un tracé sinusoïdal. La rhyolite rouge affleure sous forme de larges dalles qui se développent généreusement dans les parties concaves du lit. Les gorges ainsi constituées sont tout d'abord de faible amplitude (2 m) avant d'atteindre 8 à 10 m de haut au niveau du Ponte Vechju.

Ce site accessible, propice aux activités de baignade en raison de la profondeur des gorges, est l'un des paysages caractéristiques du Fangu, d'autant que le Ponte Vechju est un élément d'architecture assez remarquable. Hormis quelques aulnes glutineux isolés dans les gorges, celles-ci sont prises en étau par le maquis assez haut avec son cortège floristique : lentisque, filaria, genévrier, arbousier, ciste, immortelle et chêne vert. Sur le versant adret, le genévrier aux teintes plus claires domine au sein d'une formation plus basse composée de myrte, de filaria, d'arbousier et de quelques oléastres ou lentisques çà et là. Les affleurements de rhyolite en bande sur le versant de Punta Arnaghjale valorisent considérablement ce paysage apparemment désertique. En effet, l'attrait de ce lieu est validé par le phénomène de privatisation des berges qui se produit sur la rive gauche du fleuve. Ce sont toutes des résidences secondaires relativement bien insérées dans le milieu.

Le plateau de Parma et la forêt de Perticatu

En aval de Mansu, on quitte la D. 351 pour emprunter, sur la gauche, la piste forestière de Perticatu qui dessert la maison forestière et le laboratoire d'écologie de Piriu. Cette piste chemine dans la forêt de chênes verts et débouche ensuite sur un vaste col, la Bocca di Melza, qui offre un panorama sur le golfe de Porto. Cette zone de replat généreuse sur cette ligne de crête partout ailleurs très abrupte, constitue en fait une enclave volcano-détritique dans la rhyolite voisine. La morphologie douce de ce site et l'interface de cette zone pastorale ouverte et des milieux forestiers fermés alentours créent un contraste qui constitue le principal atout de ce paysage. Plusieurs bergeries aménagées sur les dalles rocheuses, des enclos et des sources pérennes captées accueillaient les bergers de Tuarelli, Chjumi et Chjornia qui venaient avec leurs troupeaux durant l'estive. Par la crête vers l'Est, ils pouvaient rejoindre les bergers séjournant sur les marges du Falasorma dans les bergeries d'Astenica, de Cutarca, ainsi que sur le plateau de Tusella, derrière le col de Caprunale, dans le haut de la vallée de Lonca. Aujourd'hui, la surface en herbe se réduit, le pâturage extensif de quelques bovins ne suffit plus à freiner la progression de la bruyère arborescente surtout, mais aussi des ronciers, des fougères, et ce, malgré quelques mises à feu périodiques pour contrarier ce phénomène. En effet, l'écobuage est ici le mode de gestion du maquis nécessaire pour réouvrir ce milieu et favoriser les herbacées face à la concurrence des ligneux bas. Cependant, les espèces du maquis qui ont la capacité à rejeter sur souche se régénèrent très rapidement. Cette porte d'entrée dans le Fangu constitue bel et bien une frontière : un muret qui court le long de la ligne de crête matérialise la limite entre la Haute-Corse et la Corse-du-Sud. Du haut de ses 1 619 m d'altitude, Capu a Ghjallichiccia domine le plateau de Parma et la forêt de Perticatu. Sur ses pentes, avoisinant 50 %, les différents milieux boisés s'étirent en altitude en épousant les courbes de niveaux. Un maquis boisé jusqu'à 600 m d'altitude cède la place à la yeuseraie sous forme d'une futaie régulière jusqu'à 1 100 m. Au-delà, le port élancé du pin lariciu domine, en futaie, avant la pelouse sommitale disséminée au sein des nombreux escarpements rocheux qui créent une discontinuité au sein des peuplements forestiers.

La forêt de chênes verts a été utilisée par le passé pour la fabrication de charbon de bois comme en témoignent les nombreux trous de chauffe que l'on découvre encore le long des pistes et des chemins de ronde. La forêt est actuellement inexploitée en raison de la vigueur des pentes et de l'inaccessibilité des peuplements.

La Punta Minuta et la haute vallée de la Cavichja

Point culminant du bassin-versant du Fangu à 2556 m d'altitude, Punta Minuta double à l'ouest le Monte Cintu (2706 m).

La piste de la Cavichja qui mène au captage d'eau permet de desservir cette vallée éloignée. II faut ensuite ne pas craindre de ramper dans un tunnel façonné par le passage des animaux pour se rapprocher du cirque de la Solitude dont la morphologie laisse supposer l'existence d'un petit épisode glaciaire ou en tout cas périglaciaire. La présence de blocs gigantesques dans le lit de la Cavichja, plus en aval, qui s'apparentent à une moraine de front, et la symétrie des versants en gorges corroborent cette hypothèse. Cette vallée est historiquement marquée par la pratique d'une transhumance estivale qui a pris ici une forme tout à fait originale puisque les bergers séjournaient dans les grottes et les nombreux abris sous roche visibles sur les versants, cavités qui ont été aménagées par eux comme celle de Saltare ou de Bocca à e Poste. La succession et l'étagement de la végétation sur les versants sont ici aussi tout à fait remarquables.

L’une des portes d’entrée dans le Fangu : la Bocca di Caprunale

En empruntant la piste forestière des Rocce, au-dessus de Barghjana, on quitte les derniers villages de la vallée pour se replonger dans la forêt d'yeuse. La route, qui a une emprise de trois mètres de large, est dallée de rhyolite. Elle est bordée d'un fossé bâti pour l'évacuation des eaux de ruissellement. Très vite, on rejoint ensuite un paysage ouvert en forme d'amphithéâtre dont les versants, jalonnés de vallons secs, sont tapissés d'éboulis. Le sentier se rétrécit alors et dessine, pour s'affranchir de la pente, de nombreux lacets, tous soutenus par un mur d'environ un mètre de haut. À l'approche des affleurements rocheux, il vient s'adosser à la paroi. Celle-ci est même parfois creusée peu avant d'aboutir, enfin, au col de Caprunale à 1329 m d'altitude. Premier col largement ouvert le long de la Grande Barrière, il sculpte la ligne de crête de sa forme caractéristique en auge, à la faveur d'une discontinuité géologique.

Par la vallée de Lonca puis celle du Golu, en passant par le col de Guagnerola, le col de Caprunale relie le Fangu au Niolu. Cette route de transhumance historique était empruntée par les bergers niolins venant hiverner dans les zones de « piaghja ». Son tracé, à l'origine, longeait la rive droite du vallon principal et affrontait la pente de manière rectiligne à proximité du thalweg. Il franchissait le vallon peu avant le col pour décrire plusieurs lacets. L’ouverture de la route forestière n° 8 par l'Administration des Eaux et Forêts, à la fin du XIXe siècle est à l'origine de la modification de son tracé. Ce nouvel itinéraire, plus large, permettant grâce à ses ponts et à ses gués de franchir plus aisément les cours d'eau, offrait davantage de sécurité.

La montagne : source du Fangu et Capu Tafunatu            

Le Fangu naît à 2100 m d'altitude dans les pentes vertigineuses de la Grande Barrière qui ferme le bassin-versant à l'Est. Ici, la vigueur des pentes atteint 50 % et met à nu la rhyolite du complexe annulaire du Cintu. Paysage sauvage, inaccessible, «  bout du monde » minéral tourmenté, déchiqueté par des pics, des tourelles, des parois subverticales. Cet espace est dominé par le Capu Tafunatu à 2335 m d'altitude et son arche célèbre dont la légende raconte qu'il aurait été transpercé par le marteau de Satan. L'importante dénivellation (environ 2000 m) est propice à la succession et à l'étagement de la végétation. Le maquis haut à bruyère arborescente, genévrier, lentisque, arbousier, boisé de chêne vert et de quelques pins maritimes isolés, cède la place à la futaie irrégulière dense de chênes verts sur un sous-bois de bruyère arborescente de la forêt domaniale du Fangu. Quelques pins lariciu isolés annoncent ensuite l'étage de cette espèce qui, à partir de 900-1 000 m d'altitude, colonise courageusement à l'ubac les croisillons, éperons, ressauts et vires; tandis qu'à l'adret des banquettes de pins maritimes s'installent en futaie irrégulière assez claire sur les vires.

Au-delà de 1 600-1 700 m d'altitude, on trouve une formation basse d'aulne odoriférant à l'ubac et une pelouse où domine la fétuque, accompagnée çà et là jusqu'à 2000-2200 m d'altitude de genévrier nain et d'épine-vinette de l'Etna. Quoi qu'il en soit, les affleurements de rhyolite occupent plus de 75 % de ce paysage essentiellement minéral.

VIRGINIE NOACK

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Michel Claude Weiss  -  Patrick Lepaulmier

Albiana - 2006

Parc naturel régional de Corse

La vallée du Fangu au XIXe siècle

Pp. 80 – 81  ( EVELYNE GABRIELLI )

À l'aube du XIXe siècle, la région du Fangu, aux dires des voyageurs et des fonctionnaires, est réputée déserte, situation qui tranche avec la période médiévale où les anciennes pièves de Chiumi, de Marsolino tout comme celles de Luzzipeo et de la Paratella étaient profondément humanisées. L'histoire troublée de la vallée, marquée par les luttes féodales, les épidémies de peste et les razzias barbaresques, a nourri les revendications des communautés de Calenzana et de Moncale, héritières des pièves disparues.

En effet, pendant toute la période moderne, cette zone constitua légitimement une terre de pacages pour les troupeaux balanins, mais ce vaste espace, jugé abandonné par ses habitants, devint aussi un objet de convoitise pour les pasteurs du Niolu en quête de lieux de transhumance pour les mois d'hiver. Cette concurrence entre les communautés balanines et niolines fut une source de conflits et d'affrontements que ni les autorités génoises ni les autorités françaises ne réussirent à régler.

En 1806, les rapports des sieurs Buonaccorsi et Maraninchi, respectivement maires de Calenzana et de Moncale, témoignent de la vigueur des revendications, Calenzana et Moncale se prévalant avec force d'une exploitation de ces lieux depuis le XVle siècle, les villages du Niolu arguant d'une concession emphytéotique accordée par les Génois et reconnue officiellement par les autorités françaises qui, par ailleurs, voulaient faire passer une partie de ces terres dans le domaine public.

Pour mettre fin à cet imbroglio juridique, mis en évidence entre 1809 et 1812 par la Commission d'enquête impériale, les gouvernants proposèrent une convention de partage entre les communes concernées et l'administration des Domaines en avril 1827, convention entérinée par la loi du 17 mai 1834: environ 40 % des terres passèrent à l'État sous forme de forêts domaniales, soit 14397 ha, 35 % échurent aux communes du Niolu, 20 % à Otan et Evisa et 5 % à Calenzana et Moncale.

Est-ce pour autant la renaissance de la région? Pour les communautés niolines, un décret ne pouvait d'un trait de plume réduire un territoire vital à leur survie! Des heurts sporadiques continuèrent à se produire aux marges du Falasorma, dans le Marzulinu et le Luzzipeu, entre Niolins, Calvais et Calenzanais. Certes, la région occupée par une dense forêt de chênes verts et un haut maquis où abondent les arbousiers, devient le lieu de production d'un excellent charbon de bois, que viennent charger à Galeria un grand nombre de navires, mais la vallée du Fangu demeure un espace de parcours géré collectivement par les communautés du Niolu.

Les témoignages des fonctionnaires mentionnant la double résidence des bergers (7 mois à Mansu, 4-5 mois au Niolu) ou l'occupation saisonnière de la vallée montrent bien l'existence d'un peuplement fluctuant, mal stabilisé, gêné par la forte impaludation de la région. II faut attendre la création des communes de Mansu et de Galeria (loi du 18 mai 1864) sous le second Empire pour voir l'habitat se cristalliser autour de quelques noyaux importants comme Barghjana, Prizzuna, Mansu, Calca, Galeria. La population se sédentarise progressivement sans pour autant rompre les liens avec les « communes mères du Niolu.

La permanence des patronymes, Acquaviva, Santucci, Bicchieray à Mansu, Spinosi, Luciani, Alfonsi Corteggiani à Galeria tout comme l’étude des aires matrimoniales mettent en évidence des réseaux privilégiés entre Corscia, Lozzi et Mansu, entre Pietra-Zitamboli, Calasima, Albertacce et Galeria. L'existence d'une mairie, d'une église et d'une école favorise la croissance de Galeria, qui passe de 910 habitants en 1866 à 1127 en 1896, tout comme elle permet l'essor de Mansu (258 habitants en 1866, 499 en 1896) ; toutefois, à la fin du XIXe siècle, la vallée du Fangu constitue toujours avec le Niolu un espace culturel, avec ses liens, ses noeuds, ses réseaux.

EVELYNE GABRIELLI

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La vie traditionnelle

Pp. 86 – 88  ( HELENE NIVAGGIOLI )

Les habitants du Falasorma s'identifient de manière duelle : même si d'aucuns nomment le Falasorma « Petite Balagne », eux-mêmes ne se considèrent pas de Balagne, région qu'ils n'apprécient pas toujours, mais se sentent profondément du Niolu, région qu'ils portent dans leur coeur. Une formule résume leur identité de berger niolin « Surtemu di u pilone

« nous sortons du pilone » (pèlerine en poils de chèvre imperméable, portée par les bergers).

Les Balanins étaient considérés comme riches par les habitants du Falasorma, des chevriers essentiellement. Ainsi, la majorité des marchands qui achetaient les fromages et récupéraient le fruit d'un dur labeur (ces affineurs étaient nommés péjorativement incittaghji : accapareurs) étaient originaires de Balagne (Calenzana, Santa Reparata...). Il convient d'envisager cette division d'un point de vue diachronique. En effet, au XIXe siècle, la hiérarchie était inverse car le Falasorma était la propriété des communes ou des familles (absence de bail). Quant aux bergers balanins, ils étaient locataires de leurs pâturages et ce jusqu'à l'implantation de la Société Roquefort qui modifia profondément cette structure.

Jusqu'aux dernières décennies du XXe siècle, les rites de passage (mariage, baptême...) avaient majoritairement lieu dans le Niolu. D'ailleurs, « la transhumance des morts » effectuée sur un mulet, pour être enterré dans le village d'origine - pratique qui perdura jusqu'à la première guerre mondiale - témoigne de l'attachement viscéral au Niolu. Aujourd'hui encore, tout comme à l'époque paludéenne, en été, certains vieux bergers montent se refaire une santé dans le Niolu, ce qui dénote le maintien de liens organiques.

La transhumance était imposée au Niolu par les conditions climatiques rudes (empêchant de s'adonner à l'agriculture) et, dans le Falasorma, par les risques d'attraper le paludisme et la chaleur excessive induisant un manque de nourriture. Ces conditions climatiques imposèrent aux hommes la pratique de la transhumance qui leur permit une utilisation optimale de l'écosystème et de l'espace. I'impiaghjera (vers la plaine) - a muntagnera (vers la montagne)

Même si ces deux transhumances empruntaient le même parcours, il s'agit de deux choses bien distinctes : l'une amenait les bergers vers des lieux déchargés de valeurs symboliques et sentimentales, l'autre les ramenait vers leur village natal; d'ailleurs, le voyage vers les terres basses était considéré comme le trajet aller (ce qui est le contraire aujourd'hui).

La plupart des discours sur la transhumance sont enflammés et empreints de nostalgie. Certes, des moments difficiles voire tragiques sont parfois évoqués, mais les propos dithyrambiques concernant cette époque sont les plus fréquents.

La nostalgie d'un lieu (de parcours) induit un embellissement de la réalité. Les activités agro-pastorales ont laissé place à une société sclérosée qui vit sur ses souvenirs. La transhumance d'autrefois favorisait les contacts et toute une vie communautaire (entraide, échanges, veillées, fêtes...). Aujourd'hui, nos enquêtes font apparaître que la sociabilité liée à ces activités a disparu ou ne perdure que sous des formes résiduelles, dégradées, souvent identifiées négativement.

Une des spécificités que revêt la transhumance, en Corse, est son aspect familial. Certains auteurs, d'ailleurs, emploient le terme de « semi-nomadisme », mais cela correspond plutôt à la situation antérieure au XIXe siècle, la sédentarisation progressive s'étant faite à la fin du XIXe siècle, avec le développement d'une agriculture vivrière et d'une polyculture. Ces différentes modalités de la transhumance doivent être étudiées dans une perspective historique. Au XIXe siècle, le berger et sa famille circulaient ainsi sur le territoire communal. L'organisation spatio-temporelle résidait en trois actes :

- Le lieu d'habitation principal, « point fixe d'enracinement du groupe familial » (Mémorial des Corses) était le village niolin. Les bergers le quittaient pour aller faire pâturer leurs bêtes entre 1500 m et 2000 m d'altitude. Là, ils vivaient entre hommes, dans leurs bergeries d'été respectives qu'ils occupaient aux mois de juin et juillet. Les repas se composaient essentiellement de pulenda, fromage, oignon et charcuterie, même si les adolescents montaient fréquemment à la bergerie avec quelques victuailles (tomates, pane biscottu...).

- À partir de fin juillet, lorsque les chèvres ne produisaient plus de lait, les bergers lâchaient leur troupeau et redescendaient dans leur village, ne montant plus qu'une fois par semaine dans leur estive. Pour les habitants de Lozzi, par exemple, c'est la date de la fête patronale [Saint-Jacques le Majeur (le 25 juillet)] qui marquait la redescente vers le village.

- Ils y restaient jusqu'à I'impiaghjera. La transhumance vers le Falasorma ou le Marzulinu avait lieu fin septembre ou début octobre. La foire de A Santa di u Niolu, le 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge Marie, donnait en quelque sorte le signal de départ de l'impiaghjera. La transhumance vers le Niolu s'effectuait soit dès les premiers jours de juin, soit après la Saint-Antoine, patron des bergers (cette date étant celle ultime du départ di a muntagnera). Basée sur l'observation du comportement de leurs bêtes (on pourrait la qualifier d'éthologie empirique), la date de départ était décidée quand les chèvres, en quête d'une nourriture devenue trop rare s'éloignaient afin de trouver quelque pâturage nécessaire à leur subsistance.

Actuellement, a muntagnera se fait après tarissement des bêtes.

Le calendrier pastoral des transhumances et le fait que tout le groupe familial ne migrait pas en même temps permettaient la pratique cyclique d'activités agricoles. Les familles étaient, en effet, scindées en deux afin de pouvoir effectuer tous les travaux agro-pastoraux, au Niolu et dans le Falasorma. Une partie s'établissait à la plaine où elle se consacrait aux activités agricoles, tandis que l'autre partie transhumait plus précocement.

Cela permettait une vie en autarcie où produits du Niolu (châtaignes, raisin, seigle, céréales...) et produits du pastoralisme du Falasorma constituaient une réserve suffisante à l'autosubsistance.

L'évolution du Falasorma et du Marsulinu, au XXe siècle, perceptible dans le paysage comme dans les activités, se résume à un abandon de la vie quasi autarcique reposant sur une polyactivité familiale et à l'entrée dans un système économique où troc et entraide ont progressivement été remplacés par l'argent.

HELENE NIVAGGIOLI

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L’Antiquité tardive et le Moyen Age

( JEAN JEHASSE ) Pp. 72 - 73

L'architecture religieuse des Xe-XIe siècles au Fangu, par le plan des édifices, l'ampleur et le travail de la pierre rose ou jaune en petits blocs taillés, fait des grandes pievanies San Ghjovanni et Chjumi des réalisations spectaculaires témoignant à époque carolingienne et prépisane d'une réelle prospérité. Mais auparavant? Les fouilles paléochrétiennes manquent encore et l'antiquité des dénominations conservées, comme Lucia, Andrea ou Michele, n'assure pas de la réelle ancienneté des témoignages des lieux-dits.

Néanmoins, le poids de la tradition antique reste bien établi. La région relèvera toute de l'évêché de Sagone, qui en consacre l'unité et la spécificité face à celui d'Aleria. Le cadre romain ne s'impose pas seulement par les circonscriptions mais par le système plus ou moins théorique de l'élection, où la plebs élit directement ses évêques, à Calvi sans doute, à Galeria peut-être.

Le souvenir de trois de ces pievi s'est ainsi conservé. La pieve d'Armitu occupe la rive droite du Marzulinu. Défigurée, l'église San Ghjovanni rappelle son importance au centre de la pieve, où l'on dénombre encore des restes à S. Andrea et Santa Lucia et, d'après G. Moracchini-Mazel, le souvenir d'un canonicat à San Michele.

D'un relief plus tourmenté, la rive droite se rattache davantage au fleuve Fangu dont le cours se divise en trois secteurs.

La pieve de Chjumi en effet s'étend de Lucca à Prizzuna et, par-delà les crêtes dominant le Fangu, à la spectaculaire église San Petru, assignée comme celle d'Armitu au XIe siècle.

Quant à la pieve de Santa Maria, elle s'organisait à partir d'une petite église nichée dans le haut du Fangu, auprès de laquelle on distingue les ruines de deux couvents placés au départ d'un chemin vers le Niolu.

Mais qu'en est-il du bas Fangu, en aval du Ponte Vechju? Curieusement, Mgr Giustiniani par une dénomination nouvelle le cite comme fleuve delle Ripe, attestant ainsi qu'il le nomme à partir de Galeria, dont il souligne l'importance. On peut songer, comme pour Calvi, à un évêché primitif.

Bref, si nous ignorons encore les à-coups du développement économique, démographique et social du VIe au IXe siècle, ainsi que les avancées et reculs de la christianisation évoqués au VIle siècle par Grégoire le Grand, on ne peut que souligner l'épanouissement qu'en dépit des Sarrasins a connu le Fangu du IXe au XIIe siècle. 

JEAN JEHASSE

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Le domaine de Galeria dans la première moitié du XVIIIe

P. 78 (ANTOINE LAURENT SERPENTINI )

La carte ci-jointe a été dressée à l'occasion de la concession du domaine ou procoio de Galeria à Luigi Saoli. En fait, tout commence en l'an 1704, le samedi 23 août au matin, à Gênes, dans les locaux de la chancellerie du Magistrato di Corsica. Ce jour-là, devant Maître Gio Battista Fabiano, greffier dudit Magistrato et en présence des témoins requis, la République de Gênes, représentée en la circonstance par Gerardo Spinola, concède sous forme de bail emphytéotique le domaine de Galeria au Magnifique Luigi Saoli, fils du feu Gio. Battista, patricien génois. Après un préambule qui présente les protagonistes et précise les limites du procoio, suivent 23 articles qui décrivent les droits et les devoirs du concessionnaire. Nous retrouvons là les clauses habituelles du contrat emphytéotique qui est la formule juridique privilégiée par Gênes au XVIIe et au XVIIIe siècle pour mettre en valeur les terres domaniales du littoral insulaire après l'échec de la politique d'inféodation précédente. Nous ne connaissons pas la superficie exacte du procoio; cependant, tel qu'il est décrit par le contrat d'emphytéose, il s'étendait de part et d'autre du lit du Fangu, entre la chapelle dédiée à San Quilico et la mer, et englobait sur la rive droite les terres de rivo et vale di Ciucciaggia, Manso di Filosorma et Mozzicone, Chiornia, Tovarelli, Novalizza, Capitelli et Chiattone.

Sur la rive gauche, il englobait les terres dites de Barigione ou Barigiana, Fango, Valle di Tedi, e Canne et il Cafone, ce jusqu'à la mer, y comprises donc dans celles-ci les terres de Calca et Tanclagio, et, précise le notaire, les terres situées en ces endroits telles qu'elles ont été délimitées, définies et désignées dans le plan présenté par le Magnifico Saoli.

À la suite de cet acte notarié portant concession, signé à Gênes le 23 août 1704, le Magistrato di Corsica adresse, le 30 mars 1705, au commissaire de Calvi des lettres patentes mettant officiellement Luigi Saoli en possession du procoio. Cette annonce va faire immédiatement monter la tension dans la région car les habitants de Balagne, et surtout les Calenzanais, voyaient d'un mauvais oeil la concession, à un patricien génois, de terres sur une partie desquelles au moins ils prétendaient avoir des droits utiles, et ce depuis toujours.

Mais ces sentiments ne sont rien à côté de la consternation qui s'empare des Niolins qui désormais se sentent menacés dans leur existence même. En effet, le domaine de Galeria composait, avec les terres du Filosorma, du Marzulinu et du Sia un vaste no man's land, presque vierge d'habitat permanent, qui constituait l'un des principaux débouchés traditionnels de la transhumance des Niolins, obligés de quitter à la mauvaise saison leurs montagnes enneigées pour nourrir leurs très importants troupeaux. Aussi le domaine, objet de nombreux procès durant toute la période génoise, sera toujours en butte à l'hostilité des bergers niolins et victime d'incessantes déprédations.

ANTOINE LAURENT SERPENTINI

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Découvrir le Fangu

Michel Claude Weiss  -  Patrick Lepaulmier

Albiana - 2006

Parc naturel régional de Corse

L’ époque génoise   (  PIA ROTA-GUERRIERI )

Pp. 74 - 77

Du XIIIe au XIVe siècle : une période troublée

En accord avec le renforcement de la présence génoise sur l'île durant cette période, la partie nord-occidentale de la Corse est dynamisée par l'essor de Calvi. La cité balanine, fondée en 1268, devient en peu de temps le second comptoir insulaire après Bonifacio. Les activités commerciales se multiplient dans tout le secteur; elles s'effectuent localement grâce aux chemins intérieurs ou par voie de mer le long de la route Gênes-Calvi-Gallura. Ce processus concerne certainement Galeria et ses environs où les anciens chemins entre la côte et l'intérieur des terres étaient parcourus par les marchands génois. Le sentier qui va du Fangu au bassin du Niolu illustre bien ce type de parcours. Le réseau de chemins côtiers qui relie entre eux les mouillages de moindre importance mais très fréquentés comme Galeria et Girolata était aussi utilisé par ces marchands. Ces ports-abris permettaient l'échange de marchandises d'importation contre des productions locales. Le porc, le blé et surtout le bois formaient le gros des exportations. Toute la région était renommée pour ses forêts où venaient s'approvisionner, à partir de Galeria et plus tard de Calvi, les grands chantiers du bâtiment ou de construction navale de Gênes mais aussi d'autres plus modestes, notamment ceux de Calvi.

Ce contexte économique positif favorisa le développement des villages situés entre les confins des pièves de Chjumi et d'Armitu (E Canne, Chjumi, Erbaghju...) qui possédaient leurs centres religieux respectifs (églises de San Petru sur le versant droit de la basse vallée du Fangu et de San Ghjuvanni dans la vallée du Marzulinu). Par ailleurs, les nombreux hameaux disséminés sur tout le territoire étaient souvent situés dans les environs d'anciennes églises et chapelles établies sur les parcours les plus fréquentés.

Cependant, les faiblesses internes de la République et l'incapacité de maîtriser les querelles entre feudataires corses eurent des conséquences désastreuses sur l'économie. Cette situation était aggravée sur la côte comme à l'intérieur par la piraterie catalane et, à partir du XIVe siècle, par celle des Turcs. Bien protégés par les multiples anses de Scandula, ces derniers effectuaient des razzias dans tout le secteur à la recherche d'esclaves.

Dans le courant du XVe siècle, la République céda la gestion de la Corse à la Banque de Saint-Georges qui mit un terme entre 1487 et 1510 à la sanglante répression féodale conduite dans cette zone par Renuccio della Rocca et Giovan'Paolo di Leca. Les villages furent détruits et abandonnés par leurs habitants, au point que les pièves de Chjumi et d'Armitu disparurent des inventaires relatifs à la Balagne. Au début du XVIe siècle, Agostino Giustiniani écrit que cette portion de côte ne comporte « aucun secteur habité », pas même « une seule cabane ». En réalité, ces observateurs trop pressés et extérieurs à l'île ne pouvaient percevoir que ces terres étaient cultivées mais pas de manière constante. Ces occupants discrets étaient aussi bien des anciens villageois chassés par les guerres des

« Cinarchesi » puis par le péril turc que des bergers d'Ascu ou du Niolu utilisant ces

« piaghje » pour l'hivernage des troupeaux.

C'est dans ce cadre d'abandon apparent qu'à partir du XVIe siècle les Génois décidèrent de s'implanter et d'inféoder la plaine côtière. Le but était de repeupler et cultiver les zones désertées tout en protégeant le trafic maritime de la République grâce à la construction d'une tour érigée à l'embouchure du Fangu en 1551.

Des informations apparaissent sur le plan environnemental (climat plus rude avec fortes neiges, évolution du cours inférieur du Fangu qui devient de plus en plus tortueux et insalubre, végétation constituée de forêts et de maquis); elles éclairent aussi sur l'intensité de la présence humaine et ses activités.

Les Génois à la recherche de sapins

S'il reste peu d'informations au sujet des cultures génoises sur ces territoires, on en sait beaucoup plus sur l'exploitation des ressources forestières. En 1522. la République de Gênes avait réinvesti le domaine forestier corse dans le cadre d'une revalorisation de la flotte d'état. Cela se fit particulièrement sentir entre 1595 et 1609 dans la vallée de Prizzuna ou se trouvait le Bosco di Lucca, très riche en pins (essentiels pour la construction de mâts) et de plus assez proche de la mer. Ce qui limitait les dépenses de construction de routes et de transport de troncs vers Calvi où ils étaient embarqués.

La prolongation dans le temps de cette importante activité forestière nécessita la construction d'infrastructures notamment pour l'hébergement des forestiers. Le plus souvent dans des baraques en bois mais aussi dans une maison fortifiée à Prizzuna; celle-ci fut saccagée par les bergers d'Ascu. D'autres équipements intéressaient la première transformation du bois (scieries hydrauliques) pour le transport jusqu'à la mer. Outre les pistes forestières, trois autres routes furent construites à des périodes diverses : la première reliait la vallée de Prizzuna à la mer grâce à l'édification de ponts; la deuxième allait du bois d'Eltri à celui de Perticatu (La chênaie de Piriu). La dernière menait de Perticatu à la mer.

À l'exception de la présence d'une tour sur la marine, il ne subsiste aujourd'hui que peu de traces des activités des Génois sur ce territoire. Parmi celles-ci, la plus importante est sans doute la disparition quasi totale des forêts de pins.

L’avancée des bergers

Parallèlement se déroulait sur un autre plan une lutte pluriséculaire entre bergers et agriculteurs pour le contrôle du territoire. Les bergers niolins affirmaient leur droit d'occuper une région qu'ils considéraient comme la leur. Ils étaient opposés aux descendants des anciens propriétaires qui n'ayant jamais complètement abandonné leurs terres ni les villages détruits exercèrent des pressions plus fortes dès le milieu du XVIIe siècle (des villages furent aussi réinvestis par des bergers comme à Mansu). Par ailleurs, la sécurisation des côtes et surtout les terribles famines qui se succédèrent entre 1648 et 1662 ont certainement poussé les habitants de Balagne à venir dans cette région. Ce n'est qu'au milieu du XVIIIe siècle qu'un compromis put être établi en attribuant aux Niolins des concessions dans le Filosorma, le Marzulinu, Galeria et Paratella. Après la cession de l'île au Royaume de France et à la suite de quelques péripéties, le district de Galeria fut donné en fief au Comte de Maudet pour qu'il y installe une colonie agricole constituée de nombreuses familles. Leur séjour fut court, un an tout au plus, mais un village fut construit pour l'occasion; il constitue le noyau primitif de l'agglomération de Galeria. D'autres infrastructures furent aussi implantées parmi lesquelles un aqueduc qui changea la physionomie du territoire après des siècles de prédominance pastorale.

Le Fangu à la fin de l'époque génoise

Les archives génoises, auxquelles s'ajoutent celles relatives aux premiers temps de l'occupation française au XVIIIe siècle, sont plus abondantes que par le passé. Elles donnent l'occasion d'apprécier l'évolution du territoire dans son ensemble.

Ce qui surprend surtout parmi les changements environnementaux déterminés par des processus naturels ou par les activités humaines, c'est l'amenuisement des secteurs boisés, y compris ceux formés par des essences secondaires comme l'aulne, le chêne ou le frêne (pastoralisme, déboisement, agriculture, fabrication de charbon de bois). C'est aussi l'amplification des aires marécageuses à l'embouchure du Fangu comme dans le milieu du bassin du Marzulinu. L'absence d'un centre même mineur est évidente et ceci jusqu'à la fin du siècle, période à laquelle fut construit le village de colons qui forme la partie la plus ancienne de l'actuelle Galeria. Près du village existaient aussi d'autres constructions liées aux activités pastorales (réalisées en pierre sèche et au toit en terrasse).

La sédentarisation progressive des bergers avait contribué à agrandir les espaces agricoles sur les coteaux ou en fond de vallée, très souvent près des villages ruinés. Cela appuie l'hypothèse selon laquelle ces secteurs furent toujours temporairement ou partiellement habités, hypothèse confirmée par la présence de nombreux édifices religieux comme l'é‑

glise de S. Antone, les chapelles de S. Ghjorghju, S. Quilicu et Santa Cristina. L'anthropisation du territoire est surtout perceptible à travers le réseau de chemins à moyen ou long rayonnement. À ceux-ci s'ajoutait un réseau local reliant les agglomérations entre elles et permettant d'accéder aux cultures ou aux pacages.

Toutes ces traces sont celles d'activités ancestrales qui ne purent se développer en quelques années ni même décennies. Il apparaît aussi que la région ne fut jamais abandonnée à la période génoise.

MARIA PIA ROTA-GUERRIERI